Pas de charte déontologique « On ne doit pas toucher ou contester la religion. C’est le grand tabou », explique Larbi Chouikha, universitaire et spécialiste des médias tunisiens. Il est à l’origine du décret 115 qui instaure juridiquement la liberté de la presse en Tunisie, au lendemain de la chute de Ben Ali. « Le public tunisien est aujourd’hui composée en grande partie de gens qui ont porté au pouvoir Ennahda lors des premières élections libres du pays. Ce public très conservateur est attaché à l’héritage religieux. La question des mœurs reste également sensible. La nudité est proscrite dans les programmes télévisés. Il n’est pas question de passer un film hollywoodien où le sein d’une femme serait visible. Autre exemple, l’homosexualité n’est jamais abordée. Cela n’existe pas » ajoute le chercheur. Le contenu des dernières fictions à succès reflète ainsi l’état d’esprit majoritaire du public. Les chaines puisent souvent leurs succès d’audience dans le catalogue des télévisions égyptiennes ou turques. « Harim Sultan a conquis un large public sur Nessma. La série turque retrace la vie de Soliman le Magnifique. Elle est diffusée tous les soirs à 20h50. C’est la grande épopée historique de l’islam conquérant qui est mise en avant », poursuit Larbi Chouikha. Les attaques judiciaires contre les chaines et les radios tunisiennes sont également rendues possibles par la faiblesse de l’Haica, l’autorité de régulation. Elle manque de moyens, alors qu’en quelques mois, après la Révolution, le paysage audiovisuel tunisien s’est transformé. Sous Ben Ali, il comprenait deux chaines publiques et deux grandes chaines privées Hannibal TV et Nessma. Les deux entités privées n’avaient pas le droit de produire de l’information. Aujourd’hui, le pays compte vingt chaines privées. « Elles se créent toutes seules s’installant sur un signal et on ne connaît pas la provenance de leurs ressources comme Zitouna TV qui est proche de Ennahda », juge Larbi Chouikha. « Aucune charte déontologique n’anime ces chaines. La qualité de l’information reste faible. Aucune chaine tunisienne ne fait d’enquête, d’ailleurs. On organise surtout des débats où l’on s’invective, s’insulte et se menace. Faits et opinions sont souvent confondus ». Hichem Snoussi, membre de l’Haica reconnaît les faiblesses de l’audiovisuel tunisien. « Le manque de déontologie, voire même de professionnalisme, des journalistes, qui se sont trouvés un peu livrés à eux même après avoir longtemps suivi les consignes du régime de Ben Ali, ont aussi permis aux islamistes de les attaquer devant la justice Paradoxalement, une meilleur régulation des médias permet d’éviter justement la censure ou la condamnation devant les tribunaux ». Ainsi, l’Haica désirerait devenir l’équivalent du CSA en France mais reste dépourvue de moyens. Des appels au meurtre ont été plusieurs fois entendus sur certaines radios et aucune d’entre elles n’a été suspendue. La production des médias tunisiens, faute de cadre clair, est donc aujourd’hui partagée entre liberté de ton et censure à l’image de Nessma TV. Si la chaine s’interdit la rediffusion de « Persépolis », elle produit et diffuse, cependant,
« les Guignols du Maghreb » où la personne de Moncef Marzouki, président de la République, est caricaturée presque tous les soirs. Une chose bien entendu impensable sous Ben Ali.