L’annonce du décès de Valéry Giscard d’Estaing a suscité des réactions sporadiques en Afrique, et pour cause. Lui qui prétendait vouloir rendre "l’Afrique aux Africains" a vu son image ternie par les frasques de Bokassa, l’intervention militaire de la France au Zaïre et le financement de centrales nucléaires en Afrique du Sud. Entretien avec le journaliste et professeur de géopolitique à l’IPJ Paris Dauphine, Francis Laloupo.
En Afrique, les hommages sont discrets. Au Sénégal et au Niger par exemple, c’est par un tweet plutôt pudique que les présidents Macky Sall et Issoufou Mahamadou ont présentés leurs condoléances à la famille de Valéry Giscard d’Estaing. Au Gabon, Ali Bongo Ondimba est un peu plus expansif. Il dit garder
"en mémoire l’image d’un chef d’Etat brillant, moderne et réformateur",
"un passionné de l’Afrique".
"Passionné de l’Afrique", Valéry Giscard d’Estaing l’était en effet, sur le plan personnel en premier lieu. Bien avant ses débuts en politique, c’est son goût pour la chasse qui l’amène à multiplier ses voyages sur le continent, une passion dont il témoigne d’ailleurs dans plusieurs ouvrages.
En politique pourtant, sa passion pour l’Afrique est plus ambigüe. Ses choix politiques et ses relations avec certains dirigeants africains ont terni son image sur le continent.
"Pour les Africains, Valéry Giscard d’Estaing est un président relativement lointain. Je pense qu’il y a dans la mémoire collective une sorte de confusion entre de Gaulle, Pompidou et VGE, mais on ne peut pas dire qu’il ait marqué la mémoire de la collectivité africaine", explique Francis Laloupo, journaliste et professeur de géopolitique à l’IPJ Paris Dauphine.
De "l’Afrique aux Africains" à Kolwezi
Rendre "l’Afrique aux Africains", ce sont les mots forts prononcés par Valery Giscard d’Estaing en 1976, lors du troisième sommet France-Afrique. Elu deux ans plus tôt à la présidence de la République française, il entend vouloir "donner une nouvelle impulsion à la coopération entre la France et les États francophones d’Afrique" et rompre ainsi avec la politique africaine de ces prédécesseurs.
Dès son arrivée à l’Elysée, Valéry Giscard D’Estaing supprime donc le secrétariat général aux Affaires africaines et malgaches. Il se sépare par la même occasion de son chef historique Jacques Foccard, proche conseiller de ses deux prédécesseurs, Charles de Gaulle et Georges Pompidou, sur les relations avec l’Afrique.
"Il a multiplié des gestes ou plutôt des paroles qu’on appellerait aujourd’hui de "rupture "avec le système gaullien en appelant à une indépendance économique et politique de l’Afrique", explique Francis Laloupo. "On observe cependant que son changement de paradigme entre l’Afrique et la France ne se réduisait qu’à des discours (…). Il a finalement été dans la continuité de la politique postcoloniale gaullienne", nuance-t-il.
Durant son septennat en effet, Valéry Giscard d’Estaing multiplie les interventions militaires françaises : au Tchad, en Mauritanie, en Centrafrique et au Zaïre. Là, il signera en 1978 l’une de ses actions militaires les plus emblématiques de son septennat, sur la ville de Kolwezi, alors en proie à des rébellions. "On peut parler d’une approche schizophrénique de la politique africaine. Cette intervention montre bien que la rupture qu’il promettait se limitait à des incantations, des mots et des slogans", explique Francis Laloupo.
VGE et la Centrafrique
Un autre événement majeur symbolise le paradoxe giscardien : l’opération Barracuda. "
L’opération Barracuda est une caricature massive de l’ingérence française post-coloniale. Le schéma de cette opération s’inscrit dans ce que l’on a pu voir dans plusieurs pays africains après leur indépendance : les régimes étaient faits et défaits depuis l’Elysée", dit-il.
VGE entretient en effet des relations particulières avec le président centrafricain. Jean-Bédel Bokassa arrive au pouvoir par un coup d’Etat en 1965, il est alors soutenu par la France. "
Le coup d’Etat de Bokassa a été clairement orchestré par l’armée française", rappelle Francis Laloupo.
Mais les frasques de Bokassa, qui s’est entre-temps autoproclamé empereur, commencent à peser lourd sur l’image de la France. C’est finalement le massacre de centaines d’étudiants qui poussera la France à intervenir militairement dans le pays en 1979. "
Des troupes françaises ont été envoyées vers Bangui, elles ont défait Bokassa pour installer son successeur. J’ai encore en tête ces images ahurissantes, filmées par la télévision française, où des militaires français allaient et venaient dans le palais présidentiel à Bangui. Tout cela pour sortir tous les documents qui pouvaient être compromettants pour l’Elysée, en ce qui concerne notamment les relations entre VGE et Bokassa", se rappelle Félix Laloupo.
"L’affaire des diamants"
Si l’opération est un succès militaire, elle pèsera lourd sur la réputation du président français. D’autant que la même année, Le Canard Enchainé révèle que Valéry Giscard d’Estaing a reçu, en 1973, des pots-de-vin du président centrafricain, alors qu’il était ministre de l’Intérieur. Le scandale est un dernier coup porté au président français. Il lui vaudra sa défaite à la présidentielle de 1981.
- (Re)voir aussi : Valéry Giscard d'Estaing et l'Afrique : des opérations très discrètes et des diamants trop voyants
Le nucléaire en Afrique du Sud
Sur le plan économique aussi, VGE déroge à ses promesses et veut étendre l’influence de la France sur le continent. La France va par exemple participer au financement de deux centrales nucléaires en Afrique du Sud.
"C’est l’un des épisodes les plus amers de cette politique", explique Francis Laloupo.
"Nous étions en plein apartheid. La livraison par la France de matériaux pour la construction d’usines nucléaires a fait craindre que l’Afrique du Sud ne se dote de la bombe atomique. Or, cela aurait renforcé le pouvoir sud-africain et son régime de l’apartheid. Quelque part, la France de VGE n’était pas à l’avant-garde de la lutte contre l’apartheid", ajoute-t-il.
Un président
"réformateur" et
"moderne", ce n’est finalement pas ce qu’il restera de Valéry Giscard d’Estaing en Afrique.
"Ces exemples montrent que la politique africaine de VGE ne s’est jamais placée du côté des mouvement progressistes en Afrique", conclut Francis Laloupo.