Fil d'Ariane
"J'ai rencontré des gens qui se sont fait refuser le visa plus de cinq fois", alors qu'ils avaient été acceptés par des universités, raconte Serge Nouemssi, blouse blanche et pipette à la main.
Originaire du Cameroun, l'étudiant en biologie de 33 ans effectue son doctorat depuis plus de trois ans dans un laboratoire de l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
On a vu des refus allant jusqu'à 80% pour des dossiers venant d'Afrique
Christian Blanchette, recteur de l'Université du Québec
Avec ses grands pavillons entourés de verdure et construits dans les hauteurs de la ville située à mi-chemin entre Montréal et Québec, l'UQTR accueille près de 15.000 étudiants, dont la plus grande proportion d'Africains de la province (65% des étudiants internationaux).
"On a vu des refus allant jusqu'à 80% pour des dossiers venant d'Afrique", déplore pourtant le recteur de l'université, Christian Blanchette qui observe ce phénomène "depuis plusieurs années".
"Pour nous les Africains, généralement ils (les agents de l'immigration) insistent sur la preuve financière", explique pour sa part Serge Nouemssi.
En plus de devoir s'acquitter de frais démarrant en moyenne à 17.000 dollars canadiens (12.200 euros) par année et pouvant aller jusqu'à 50.000 pour étudier au Québec, les étudiants africains doivent également fournir de nombreuses garanties financières.
"Il y a des dossiers où on a démontré des ressources financières qui frôlaient le million", explique Caroline Turcotte-Brûlé, avocate en droit de l'immigration. Pourtant, "l'agent répondait que notre client n'avait pas assez de ressources financières", ajoute-t-elle.
"J'ai l'impression que c'est un peu aléatoire", confie l'avocate en précisant que le motif de refus est souvent le même, c'est-à-dire "la crainte que la personne ne retourne pas dans son pays d'origine après" ses études.
"C'est un peu une hypocrisie du système", dénonce à son tour l'avocate Krishna Gagné, en ajoutant que les étudiants ont le droit légalement d'envisager de rester après leurs études.
Un motif qui surprend au regard des différentes mesures mises en place ces derniers mois par le gouvernement fédéral pour inciter les étudiants étrangers à rester afin de pallier la pénurie de main d'œuvre qui frappe le pays.
Au niveau de l'immigration, on ne semble pas comprendre les nuances et les parcours de certains étudiants, donc on a des refus qui sont un peu absurdes
Mathieu Piché, directeur de recherches
Assise à son bureau, dans un petit laboratoire perdu au fond d'un dédale de couloirs sous-terrains, Imene Fahmi raconte qu'elle a dû s'y reprendre à deux fois avant de pouvoir venir étudier au Québec.
"J'ai rencontré beaucoup de difficultés", explique la médecin algérienne, qui a été refusée une première fois car le programme choisi n'était "pas en relation avec ses études antérieures", alors même qu'elle avait été rigoureusement sélectionnée par son futur directeur de recherche.
"Au niveau de l'immigration, on ne semble pas comprendre les nuances et les parcours de certains étudiants, donc on a des refus qui sont un peu absurdes", souligne avec frustration son directeur de recherche, Mathieu Piché.
Les refus et retards ont des conséquences sur les étudiants mais aussi "sur le travail des professeurs", ajoute-t-il.
Selon des données fédérales, le Québec est la province canadienne avec le plus haut taux de refus d'étudiants africains, soit environ 70% entre 2017 et 2021 pour les pays francophones.
Par comparaison, les demandes pour étudier au Québec venant de France, du Royaume-Uni ou d'Allemagne ont un taux de refus très largement inférieur, d'environ 10%.
Il y a un problème de racisme systémique depuis longtemps
Caroline Turcotte-Brûlé, avocate en droit de l'immigration
Le problème ne touche pas seulement les étudiants. En juillet, le Canada avait déjà fait face à de nombreuses critiques lorsque des problèmes de visas avaient empêché des centaines de délégués, notamment africains, d'assister à la conférence AIDS 2022.
Dans son rapport, le gouvernement dit vouloir changer les choses en intégrant davantage de formation pour ses agents, envisage de créer un poste de médiateur pour les litiges, et a promis d'"évaluer" son logiciel de traitement de dossiers Chinook, très décrié pour son manque de transparence.
Des mesures saluées par Caroline Turcotte-Brûlé qui soulignent toutefois qu'il y a "un problème de racisme systémique depuis longtemps" au Canada et que "ça ne va pas se régler du jour au lendemain".