Fil d'Ariane
Un dimanche matin à Kicukiro. Les familles se pressent pour le prêche au Zion temple. Trois heures de louanges, intenses. Le Temple de Sion a été créé en 2000 par le Dr Paul Gitwaza. Ses fidèles préfèrent l'appeler apôtre, en toute simplicité. L'Eglise est fondée sur sa personne.
Aujourd'hui, elle regroupe 47 paroisses à travers le pays. 9000 fidèles prient régulièrement dans ce temple de la capitale. "Quand je suis venu, explique Paul Gitwaza, ma foi était fondée sur la personne de Jésus et ma communion avec lui dans la prière. Quand j'ai commencé, les gens sont venus me voir et m'ont dit que quand je priais et parlais, cela leur faisait du bien. La jeunesse voyait la manière dont on priait et prêchait. Ils ont été intéressés par rapport aux Eglises traditionnelles qui sont fondamentalistes dans leur façon de prier, de prêcher".
"Autre chose, raconte le docteur Gitwaza, c'était la famille. Au Rwanda, les gens manquaient souvent de famille. Il y avait beaucoup d'orphelins et ils avaient la nostalgie de la famille. Alors on a commencé à les regrouper dans des familles, avec un rôle. Chaque personne dans l'Eglise a sa famille".
Le Temple de Sion s'est construit méthodiquement. Une stratégie de conquête. Chaque fidèle est appelé à prêcher et à évangéliser.
En tant qu'évangéliste, mon rôle premier est de confesser Jésus, d'expliquer aux gens qui est Jésus, ce qu'il a fait pour nous, et quand c'est nécessaire, je livre mon témoignage qui est une sorte d'édification pour ceux qui m'écoutent.
André Gakuba, adepte du Temple de Sion
A quelques kilomètres de là, un refrain similaire mais une tactique de séduction différente. Voici l'église fondée par Alice Kabera plus connue sous le nom d'apôtre Mignonne. Ici l'assemblée est essentiellement féminine. Le créneau d'Alice Mignonne, c'est l'émancipation des femmes. Elle veut les pousser à se réveiller. Comme elle, au lendemain d'une hallucination qui a fondé son mythe : "J'ai eu une vision, raconte-t-elle. Dieu m'a montré plusieurs femmes dans une vallée. Elles n'avaient pas de bras. Dieu me disait de prendre un bâton et de le donner aux femmes qui avaient ainsi des bras et des mains. Ces bras, me disait Dieu, c'est un signe d'activité, d'administration, un signe de production."
Alice Mignonne affirme être une femme timide, et pourtant telle un Gourou elle guide des centaines de ses compatriotes qui lui concèdent un certain pouvoir. Alice, l'une de ses fidèles le reconnaît : "Le message qui est destiné aux femmes ici, c'est de ne pas rester victime et de devenir championne malgré tout, malgré les circonstances, malgré ce qu'on a à faire tous les jours, malgré les problèmes qu'on a en tant que femmes. Nous ne devons pas rester en arrière, nous devons avancer et surtout, nous devons savoir que nous le pouvons !"
Dans la famille Minani, Faustin le père est catholique, Béatrice, la mère, est pentecôtiste depuis 10 ans. Si Faustin accepte la conversion de sa femme, il reconnaît le dilemme que cela pose pour leurs enfants.
Les pentecôtistes doivent suivre des règles de vie strictes, pas d'alcool, pas de maquillage et une attitude la plus conforme possible à la Bible. Faustin raconte : "Je peux dire que je suis né catholique, puis je me suis marié catholique avec ma femme et subitement ma femme a changé d'Eglise et ce n'était pas facile de s'entendre sur ce sujet. Elle a ses manières, concède, souriant, Faustin Minani, elle a ses habitudes, elle a ses obligations en tant que membre de l'Eglise alors, souvent, tu sens une petite lourdeur".
Entre les réunions, la chorale, les messes, Béatrice est très impliquée dans la vie communautaire pentecôtiste. Car adhérer à ces Eglises suppose un investissement au sens propre comme au figuré. Donner de son temps et de son l'argent. La fameuse dîme, officiellement non obligatoire mais apparemment bienvenue.
Nous retrouvons Alice Mignonne au centre de conférence de Kigali. Elle y reçoit pour sa fondation, trois femmes pasteures venues du Kenya, du Canada et du Royaume-Uni. Le thème de la rencontre « Femmes ensemble : soyez le PDG de votre vie ».
J'encourage les gens à faire leur business. Tu peux être pasteur.e mais aussi avoir ton business qui ne t'empêche pas de prêcher ou d'être dans l'Eglise de Dieu.
Alice Mignonne, pasteure
Talons hauts, sacs de marque et bijoux : on est plus proche du show à l'américaine que de la messe de campagne. Et l'argent de ces Eglises fait l'objet de défiances et reste un sujet tabou. Selon la presse, plusieurs dirigeants pentecôtistes seraient suspectés de détournement de fonds.
Argent, business, conventions : des concepts bien peu bibliques. Alors, comment réagit l'Eglise catholique qui a longtemps dominé les consciences rwandaises mais qui voit s'échapper des ouailles. Le père Jean-Pierre Rushigajiki officie à la paroisse Regina Pacis de Remera. Un prêche bien moins démonstratif, une liturgie classique mais des fidèles toujours généreux. Pour le prêtre, les chrétiens doivent être vigilants car les Eglises du réveil pourraient s'avérer dangereuses : "Je trouve que ceux qui sont à la base de ces Eglises profitent de la faiblesse psychologique et des problèmes que nous vivons dans ce pays pour parfois arnaquer, pour gagner de l'argent alors que nous autres nous abandonnons tout pour servir Dieu et notre prochain".
La faiblesse psychologique de certains Rwandais serait donc une des causes du succès des Eglises du réveil.
En 1994, le pays subit l'horreur du génocide. Plus de 800 000 morts. Une violence qui hante toujours les esprits. Et ces morts ont été sacrifiés dans les maisons, dans les écoles, dans les églises.
► Notre dossier sur le génocide des Tutsis au Rwanda
Deux décennies plus tard, il reste difficile d'oublier ces scènes voire de pardonner au clergé. Le porte-parole de l'Eglise catholique Monseigneur Rukamba a bien conscience du devoir de réparation.
Il est certain que certaines personnes ont quitté l'Eglise parce qu'elles la pensaient la suspectaient coupable du génocide ou parce que elles n'avaient pas rencontré une certaine compréhension de la part des membres de l'Eglise (...) Après un génocide, les gens ont besoin de parler, d'être dans un petit cercle qui les comprend, qui les protège.
Philippe Rukamba, porte-parole de l'Eglise catholique au Rwanda.
A des milliers de kilomètres de là, le temple de Sion a emménagé à Bruxelles.
Un cocon rwandais justement, où l'on s'écoute, on prêche en kinyarwanda et on danse traditionnellement. Ici la diaspora se retrouve. Mais les ambitions de l'Eglise sont bien plus grandes : "Notre objectif, reconnaît Evariste Rurangwa, le pasteur du Temple de Sion à Bruxelles, est que même les étrangers puissent connaitre Jésus car, nous au Rwanda, nous avons connu les missionnaires mais au retour ici, il n'y a plus de place, plus de foi. Le Dieu qu'ils nous ont enseigné n'existe plus, on n'y croit plus. Alors, à notre tour maintenant : venir en Europe et leur donner ce qu'ils nous ont donné avant."
Et pour entrer en communication avec Dieu, toutes les voies modernes sont utiles. Bible sur smartphones messe en direct sur les réseaux sociaux, les Eglises du réveil s'immiscent dans chaque recoin, dans chaque instant de la vie du fidèle.