Fil d'Ariane
La rébellion indépendantiste de Casamance a condamné le massacre de 13 personnes dans cette région forestière du sud du Sénégal, où le trafic de bois précieux pourrait être à l'origine de cet accès de violence, qui a entraîné un deuil de deux jours à partir de lundi.
Dans les environs de Ziguinchor, plus grande ville de cette province agricole et touristique, située entre la Gambie au nord et la Guinée-Bissau, l'armée recherchait toujours lundi soir les auteurs du massacre.
Dans la ville, où les drapeaux étaient en berne, les enterrements se succédaient. Devant une mosquée, des hommes priaient, alignés le long d'un cercueil où gisait le corps d'une des victimes, recouvert d'un drap blanc, avant de le porter en terre.
"Du bois de chauffe. C'est ça qu'il vendait", explique à l'AFP, dans la cour d'une maison, Mamadou Diallo, le fils d'une autre victime, montrant un tas de bois, vendu "à 200 francs (CFA, soit 0,30 euro)" l'unité.
Faute de travail en ville, son père était "obligé d'aller en brousse", même si "c'est dangereux", selon Mamadou Diallo. Mais, jusqu'ici, les "bandes armées" se contentaient de "prendre les vélos et les téléphones portables".
L'attaque s'est produite samedi dans la forêt de Borofaye, proche de Ziguinchor, lorsque des hommes venus chercher du bois ont été surpris par une bande armée. "Ils nous ont fait coucher à plat ventre et ont commencé à tirer", a raconté à l'AFP un rescapé, Ayib Ly.
Elle a causé la mort de treize hommes, "dont dix par balle, deux par arme blanche et un brûlé" et une demi-douzaine de blessés, selon les autorités. Trois des tués sont des ressortissants de la Guinée-Bissau voisine, a rapporté l'Agence de presse sénégalaise APS (officielle).
Dans un communiqué, le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), qui lutte depuis 1982 pour l'indépendance, a condamné "fermement cet acte" et incité les autorités à "orienter leurs enquêtes" vers des responsables administratifs et militaires locaux "à la tête d'un vaste réseau de coupe clandestine et de vente illicite de bois de teck".
La rébellion lie plus précisément le massacre à un conflit entre des scieries locales, dont la "forte concurrence a fini par instaurer une atmosphère d'animosité entre les employés".
"Cette tuerie est liée a l'exploitation du bois" et "n'a rien à voir avec le processus de paix", relancé en octobre, a assuré à l'AFP un spécialiste de la crise casamançaise ayant requis l'anonymat.
Après le départ en janvier 2017 du président gambien Yahya Jammeh, dont le pays était une plaque tournante du trafic de bois précieux, et le renforcement des contrôles, les exploitants clandestins se sont repliés plus au sud, près de la frontière avec la Guinée-Bissau, où la "pression est moins forte", selon cet observateur.
"Des fractions du MFDC se sont impliquées dans cette lutte contre l'exploitation forestière, de même que les populations. Ces fractions ont interdit la coupe de bois. Il y a une convergence entre l'Etat et le MFDC sur cette question", a-t-il dit.
Conflit entre exploitants clandestins rivaux, ou entre trafiquants et villageois protégeant les forêts ou participant au pillage des ressources? Dérapage d'éléments de la rébellion? Le porte-parole de l'armée, le colonel Abdou Ndiaye, interrogé par l'AFP, refuse de se prononcer tant que les auteurs "n'ont pas été appréhendés".
Mais il souligne que "l'économie du bois" concerne aussi bien des "villageois qui utilisent des charrettes" que des trafics "nécessitant des moyens importants", évoquant des "saisies impressionnantes".
Le teck, arbre tropical qui produit un bois précieux très recherché notamment pour la fabrication de ponts de bateaux et de meubles de jardin, pousse en Casamance, une des régions les plus boisées du Sénégal.
Sur le plan politique, le MFDC a réaffirmé son engagement au dialogue, assurant qu'il ne se laisserait "pas distraire ni désorienter par les fossoyeurs de la paix" .
"Nous allons descendre dans le maquis pour situer les responsabilités", a déclaré à une radio privée un responsable local de la rébellion, Oumar Ampaye Bodian, sans se prononcer sur l'éventuelle implication de membres de celle-ci.