Gilles Yabi - Économiste - Fondateur du groupe de réflexion Wathi
Fil d'Ariane
Autrefois promesse de paix et de sécurité, pourquoi la CEDEAO, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, est-elle aujourd’hui décriée ?
"CEDEAO Dégage !" "A bas la CEDEAO!"
Des slogans, des pancartes brandies par des manifestants notamment au Niger, au Burkina Faso ou au Mali, illustrent la rupture entre une partie des populations d’Afrique de l’Ouest et leur organisation multilatérale régionale, accusée d’être inefficace, voire d’être un instrument néocolonial.
C’est la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Jusqu’en 2023, elle réunissait : le Bénin, le Burkina Faso, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Liberia, le Mali, le Niger, le Nigeria, le Sénégal, la Sierra Leone et le Togo.
Le 28 janvier 2024, le Burkina Faso, le Mali et le Niger, annoncent leur retrait au profit d’une nouvelle organisation : l’AES, l’Alliance des États du Sahel.
Parmi les motifs avancés : la CEDEAO serait incapable de lutter contre l’insécurité, alors même que l’organisation se trouve au cœur du dispositif de sécurité de toute l’Afrique de l’Ouest.
Lorsqu’elle est fondée le 28 mai 1975 à Lagos (Nigeria) sur l'initiative conjointe du Général Gnassingbé Eyadéma, président du Togo, et du Général Yakubu Gowon, président du Nigeria, la CEDEAO vise d’abord à favoriser les échanges économiques au sein de la communauté.
Le 24 juillet 1993, les États membres adoptent à Cotonou (Bénin) un traité révisé : la CEDEAO doit désormais aussi œuvrer pour la coopération politique, la paix et la sécurité régionales.
La guerre civile qui éclate au Liberia en 1990 constitue un véritable tournant. Les États membres décident alors de créer une force d’intervention, l’ECOMOG, pour intervenir dans ce conflit intérieur sanglant.
Cette force de la CEDEAO intervient ensuite très souvent en Afrique de l’Ouest. Elle retourne plusieurs fois au Liberia, elle est déployée en Sierra Leone, plusieurs fois en Guinée Bissau, mais aussi en Côte d’Ivoire et en Gambie. L'ECOMOG compte jusqu’à plus de 20.000 soldats selon les interventions.
Pour s’insérer dans l’architecture de paix et de sécurité de l’Union africaine, l'ECOMOG change de nom et devient la « Force en attente de la CEDEAO », la FAC. Il ne s’agit pas d’une armée sous-régionale permanente mais d’une force composée de soldats, de policiers et de civils ouest-africains, cantonnés dans leur pays d’origine et mobilisables à tout moment.
En 1999, « le Protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des conflits, de Maintien de la Paix et de la Sécurité » fixe les rôles des différentes institutions :
- la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO, c’est la plus haute instance de décision.
- le Conseil de Médiation et de Sécurité : composé seulement de neuf États, il peut en principe prendre des décisions à la majorité des deux tiers, mais il ne se réunit quasiment jamais.
- le Président de la Commission, avec les départements de l’organisation, est chargé de mettre en œuvre les décisions des dirigeants.
Gilles Yabi - Économiste - Fondateur du groupe de réflexion Wathi
« La prise de décision à la CEDEAO relève des dirigeants politiques des États membres qui sont issus des élections, démocratiques ou non, rappelle Gilles Yabi, fondateur du groupe de réflexion citoyen Wathi. Le principal reproche que l'on peut faire à la CEDEAO, c'est l'absence de mise en œuvre d'un certain nombre de décisions, et cela relève directement de la volonté politique des États membres. Il y a parfois des choix qui ne correspondent pas nécessairement à ce qui serait optimal pour la région, c'est de la responsabilité des dirigeants politiques au plus haut niveau. De mon point de vue, l'analyse aujourd'hui de ce qui doit changer doit porter d'abord sur les États membres, les dynamiques politiques internes, la qualité de leur fonctionnement, y compris des administrations, et ensuite, évidemment, sur les réformes internes à effectuer au sein de la CEDEAO elle-même, sans remettre en cause la raison d'être de cette organisation qui est la solidarité régionale et l'intégration régionale.»
D’autres organes contribuent au dispositif comme la Commission de Défense et de Sécurité, avec le Comité des chefs d’état-major, qui propose des plans d’opérations pour la Force en attente de la CEDEAO, ou encore ECOWARN, le système d’observation de la sécurité ouest-africaine, chargé de suivre et d'alerter sur les risques de crises.
D’abord, parce que la CEDEAO n’a pas réussi à intervenir militairement au Sahel dès le début de la crise en 2012. Des effectifs ouest-africains ont bien été déployés au Mali quelques mois plus tard, mais sous la bannière de l’Union africaine, avant de passer sous le mandat de l’ONU avec la MINUSMA.
Le 18 octobre 2012 à Bamako, ces Maliens protestent contre une intervention des forces de la CEDEAO au Mali pour participer à la reprise de territoires du Nord sous contrôle des islamistes. Cette manifestation intervient au lendemain d'une forte mobilisation de leurs compatriotes favorables à une intervention.
Ensuite, parce que les différentes initiatives adoptées pour lutter contre le terrorisme n’ont jamais permis d’enrayer l’aggravation continue de l’insécurité, malgré certaines promesses budgétaires s’élevant jusqu'à 900 millions de dollars.
Enfin, parce que la CEDEAO a envisagé d’intervenir au Niger après le renversement du président Mohamed Bazoum, le 26 juillet 2023. Cette éventualité a suscité de telles protestations dans les opinions publiques ouest-africaines que l’option militaire a finalement été abandonnée.
La CEDEAO est aussi régulièrement accusée d’être instrumentalisée au profit de l'ancienne puissance coloniale française.
Gilles Yabi - Économiste - Fondateur du groupe de réflexion Wathi
« Il faut nuancer ces accusations, estime Gilles Yabi, fondateur du groupe de réflexion citoyen Wathi. Parmi les 15 États membres, il y a des pays comme le Nigeria, le Ghana et d'autres qui ne sont pas des anciennes colonies françaises et qui n'avaient pas des relations historiques particulièrement fortes avec la France. Les intérêts politiques des dirigeants des États membres de la CEDEAO peuvent parfois peuvent coïncider avec les intérêts de la France. Cela ne signifie pas nécessairement que ces décisions sont prises sous injonction. Il faut toutefois reconnaître que la CEDEAO, comme beaucoup d'organisations, dépend pour financer une partie de ses programmes, des apports extérieurs, notamment de l'Union européenne. Il existe une possibilité d'influence de la part de ces acteurs extérieurs, pour autant cela ne signifie pas que les États membres et la Commission ne sont pas capables de mettre en avant l'intérêt supérieur de la communauté.»
Des Burkinabè, soutiens du Capitaine Ibrahim Traoré, manifestent contre la France et la CEDEAO à Ouagadougou (Burkina Faso) le 4 octobre 2022.
De nouveaux dispositifs sont imaginés comme la création d’une force anti-coup d’Etat et d’une force anti-terroriste. Mais les textes en vigueur prévoient déjà de nombreux scénarios d’intervention notamment en cas de conflit interne ou entre Etats membres, de violations massives des droits de l’Homme, ou encore de renversement d’un gouvernement démocratiquement élu.
Mais plus que l’adoption de nouveaux textes ou la création de nouvelles forces, c’est peut-être davantage une vision renouvelée, fondée avant tout sur les besoins des populations d’Afrique de l’Ouest qui est attendue, cette « CEDEAO des peuples » que les Chefs d’États s’étaient engagés à créer au plus tard en 2020.
Site internet de la CEDEAO - ECOWAS
Architecture institutionnelle de la CEDEAO - Observatoire de la Gouvernance Hybride de la Sécurité en Afrique
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