L’État islamique est l’un des groupes armés les plus actifs et les plus violents en Afrique. Ce mouvement a perpétré de nombreuses attaques contre des civils et des militaires africains, mais aussi contre de jeunes humanitaires à Kouré au Niger. Et depuis 10 ans, son influence ne cesse de progresser à travers un réseau d’affiliés au Nord, à l’Ouest, au Centre, à l’Est du continent.
Qu'est-ce que l’État islamique ?
Le groupe État islamique, ou EI, est une organisation djihadiste d’inspiration salafiste apparue lors de l’intervention américaine en Irak de 2003.
En 2006, cinq groupes islamistes armés, dont Al-Qaida, proclament l’« État islamique d’Irak ».
Le groupe progresse en Syrie, déchirée par la guerre civile, et se rebaptise « État islamique en Irak et au Levant » (en arabe al-Dawlah al-Islāmiyyah fī al-ʿIrāq wa al-Shām , abrégé Dāʿash), ce qui donne le surnom DAECH ou DAESH. À cheval sur ces deux pays, le groupe grossit et rompt ses liens avec Al-Qaida.
L’émir de l’organisation, Abou Bakr Al-Baghdadi, s’autoproclame calife d’un État islamique sans frontières et appelle au djihad à l’échelle internationale.
Combattu par deux coalitions politico-militaires, l’une sous commandement américain, l’autre menée par Téhéran et Moscou, DAECH perd son chef et ses derniers territoires en 2019.
Mais l’État islamique ne disparaît pas pour autant. Des cellules « dormantes » perdurent au Moyen-Orient et l'influence de l’EI s’étend, particulièrement en Afrique.
Quand l’État islamique est-il apparu sur le continent africain ?
Le groupe s’implante et s’étend d’abord en Libye dès 2014 via des combattants libyens de retour du Moyen-Orient.
Puis des groupes djihadistes locaux commencent à lui prêter allégeance ailleurs.
Les tactiques de ces groupes évoluent à un rythme rapide et alarmant. Les réseaux terroristes mettent désormais en commun leurs ressources (finances, combattants et expertise) tout en affinant leurs capacités grâce aux nouvelles technologies, notamment les drones.
Amina J. Mohammed, vice-Secrétaire générale des Nations unies, le 21 janvier 2025 au conseil de sécurité de l'ONU
En 2015, Abubakar Shekau de la secte islamiste Boko Haram se rallie à Abou Bakr Al-Baghdadi. Son affiliation est acceptée par Daech, mais face à la violence de Shekau, l’EI transfère un an plus tard sa reconnaissance officielle à des dissidents. Shekau reste à la tête d'une faction dénommée JAS (Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’adati wal-Jihad).
La même année, une partie des combattants du groupe Al-Mourabitoune et du Mouvement pour l’Unicité et le combat en Afrique de l’Ouest, le MUJAO, prête également allégeance à l’EI.
Et depuis au moins 2019, le mouvement rebelle islamiste ougandais ADF, les Forces démocratiques alliées, lui est aussi affilié.
2019, date également de l’allégeance du groupe mozambicain Ansar al-Sunna, dont les combattants sont appelés al-Shabaab. Attention à ne pas les confondre avec les combattants du groupe al-Shabaab de Somalie qui, lui, est affilié à Al-Qaida.
La progression de l’État islamique en Afrique n’est donc pas liée à l’afflux de combattants venus du Moyen-Orient.
« Il n'y a pas de modèle univoque pour expliquer les différents mouvements djihadistes aujourd'hui, il faut regarder au cas par cas, détaille Vincent Foucher, politologue, chercheur au CNRS. On a par exemple au Nigeria une sorte de mouvement social de masse qui, face à la répression de l'État, bascule dans le djihadisme et avec lequel l'État islamique va se connecter. On a en Afrique centrale une guérilla déjà existante, les Allied Democratic Forces (ADF), qui va chercher dans l'État islamique un nouveau parrain. On a au Sahel une sorte de projection du djihad algérien qui petit à petit s'enracine, s'allie à Al-Qaïda et puis à la suite d'une scission, tout un groupe bascule vers l'État islamique. Donc au fond, d'une province à l'autre, puisque c'est comme ça que l'État islamique appelle les différentes factions qu'il soutient en Afrique, on a vraiment des logiques d'enracinement de l'État islamique qui sont différentes. »
« Les djihadismes s'insèrent dans des situations de tensions, de crises, de violences étatiques ou de conflits intercommunautaires mal gérés par l'État, où ils trouvent à s'enraciner et développer leur base » explique Vincent Foucher, politologue et chercheur au CNRS.
Où l’État islamique est-il le plus actif en Afrique ?
Le groupe a organisé sa présence sur le continent en différentes provinces, appelées aussi Wilayas.
Tout d’abord, sa province en Afrique de l’Ouest, généralement désignée sous son acronyme anglais ISWAP (Islamic State West Africa Province), ou en français EIAO. Elle s’articule autour de deux espaces :
- D’une part, le Bassin du Lac Tchad : dans le nord-est du Nigeria et dans la grande région du lac avec des ramifications au Tchad et au Cameroun ;
- D’autre part, le Sahel central, particulièrement au Mali, au Niger et au Burkina Faso.
Mais en 2022, la branche du Sahel central communément dénommée État Islamique au Grand Sahara (EIGS) a été érigée en province distincte : l’État islamique – Sahel, particulièrement présent dans le Liptako-Gourma.
L’État islamique a aussi institué la province d’Afrique Centrale, dite ISCAP (Islamic State in Central Africa Province), qui comportait initialement deux zones :
D’une part, la RDC où les actions du groupe se concentrent dans le nord-est et à la frontière avec l’Ouganda ;
D’autre part, le Mozambique, particulièrement au Nord, dans la province de Cabo Delgado. Mais cette branche a été reconnue autonome en 2022 et pris le nom d’ISMP (Islamic State in Mozambique Province).
Enfin, le groupe État islamique est également présent en Somalie, à travers l’ISS (Islamic State in Somalia) implanté dans la région semi-autonome du Puntland, qui constitue un pont stratégique avec les pays du Golfe. L’EI y a attiré des combattants étrangers et ouvert une base logistique et financière capable de planifier des attaques au-delà de la Corne de l’Afrique, non seulement au Moyen-Orient, mais aussi potentiellement en Europe.
Qui sont les principales figures de l’État islamique en Afrique ?
L’ISWAP est dirigée par Habib Yusuf alias Abu Musab al-Barnawi, fils du défunt fondateur de Boko Haram. L’armée nigériane affirme avoir éliminé al-Barnawi en 2021 mais beaucoup affirment qu’il siège toujours au Conseil global de l’EI.
L’État islamique - Sahel a longtemps été dirigée par Abou Wahid Al Saraouhi jusqu’à son élimination par l’armée française en 2021. Aujourd’hui, c’est Abu al-Bara al-Sahrawi qui est identifié comme son dirigeant.
En Afrique centrale et de l’Est, Musa Baluku est à la tête de l’ISCAP, tandis qu’au Mozambique, le groupe a été privé de ses deux dirigeants historiques. Le Tanzanien Abu Yassir Hassan qui dirigeait l'ISMP serait désormais en incapacité tandis que Bonomade Machude Omar, le commandant opérationnel de l'ISMP a été tué par des troupes mozambicaines en 2023.
Enfin, le chef de l’État islamique en Somalie, Abdul Qadir Mumin, est devenu une figure clé de l’organisation au niveau mondial : il est à la tête de la Direction générale des Provinces. Un rapport publié en février 2025 par l'équipe d'appui analytique et de surveillance des sanctions des Nations unies indique que certains États Membres sont « de plus en plus convaincus » qu'Abdul Qadir Mumin serait même le nouveau calife de l'État islamique au niveau mondial, connu sous le nom de Abu Hafs al-Hashimi al-Qurashi, même si d’autres États continuent d’exprimer des doutes. Pour l'heure, aucune communication officielle du groupe ne corrobore cette information.
Pourquoi, malgré l’élimination de ses plus hauts dirigeants, le nombre de combattants de l’État islamique ne cesse de grossir en Afrique ?
D’abord parce que le groupe reflète la diversité communautaire des régions dans lesquelles il opère. Au Sahel par exemple, avec des membres d’origine peule, arabe, touareg, daousahak, songhaï et zarma.
Par ailleurs, l’EI-Sahel s’est restructuré. Il a consolidé sa chaîne de commandement avec un conseil de la Choura présidé par un wali. Sous l’autorité de ce gouverneur, on trouve :
- un bureau militaire et opérationnel,
- un bureau logistique,
- un bureau du droit avec des juges et une police islamique,
- un bureau des combattants étrangers,
- un bureau chargé de la communication.
« Sur tous les fronts où il est, l’État islamique se maintient parce qu’il contrôle de manière assez ferme des zones rurales enclavées, des forêts, des marais, des zones de collines ou de montagnes, dans lesquelles ses combattants sont enracinés et sur lesquelles il exerce un contrôle sur des populations rurales, souligne Vincent Foucher, politologue et chercheur au CNRS. Et au fond dans cette base-là, il arrive à la fois à tirer des ressources, à lever l’impôt, à recruter des combattants, à faire du commerce, à avoir une logistique, et donc à se maintenir. Le problème c’est que les États ont beaucoup de mal à reprendre le contrôle des zones rurales et à requadriller l’ensemble du territoire. »
« Dans la réussite des mouvements djihadistes actuels, il y a à l'œuvre un projet de transformation des équilibres sociaux. Partout on voit ces mouvements rejoints par des groupes ou des individus périphériques, qui appartiennent à des minorités historiquement marginalisées, qui ont été exclus de l'accès à certaines ressources naturelles, ou des populations en insécurité qui ne sont pas protégées par l'État » analyse Vincent Foucher, politologue et chercheur au CNRS.
Enfin, de nouvelles générations de combattants ont également été recrutées, avec le recours à des enfants soldats. Le groupe attire ainsi des jeunes en quête d'autonomie : « Les mouvements djihadistes commencent par être un mouvement de type salafiste assez dur, mais un mouvement civil intégré à la société, et non violent au début. Ils redistribuent l’accès à des savoirs religieux, facilitent l’accès à l’éducation religieuse, ce qui est très apprécié notamment des jeunes femmes qui traditionnellement dans la société du nord-est nigériane sont exclues de l’accès au savoir religieux, précise Vincent Foucher. Ce sont des mouvements qui créent des espaces de sociabilité, où les jeunes gens peuvent se fréquenter, créer des liens. Ils peuvent faciliter l’accès au mariage pour des jeunes gens en créant un ordre qui leur permet d’échapper à la famille. Il y a aussi des mariages forcés, et même des cas d’esclavage sexuel, mais il y a aussi des logiques d’autonomisation pour un certain nombre d’acteurs considérés comme de bons musulmans. »
« Les combattants peuvent gagner une véritable autonomie, y compris par rapport à des ordres familiaux parfois assez oppressifs » explique Vincent Foucher, politologue et chercheur au CNRS.
Comment les États africains et leurs partenaires internationaux luttent-ils contre l’État islamique ?
Dans le Bassin du Lac Tchad, les armées du Nigeria, du Niger, du Cameroun, du Tchad et du Bénin ont combattu l’ISWAP aussi bien à titre national que dans le cadre de la Force Multinationale Mixte.
Depuis fin 2021, les armées ougandaise et congolaise au sein de l’opération conjointe Shujaa ont déployé des milliers de soldats pour tenter de neutraliser l’ISCAP en RDC.
Au Mozambique, après trois ans d’intervention, la SADC, la Communauté de développement de l'Afrique australe, a annoncé le retrait de sa force d’intervention. Elle avait déployé une force d'environ 2 000 soldats de huit pays. La Tanzanie et l’Afrique du Sud ont cependant annoncé vouloir maintenir des contingents. Mais à partir de 2021, c’est surtout le Rwanda qui a joué un rôle majeur pour soutenir l’armée mozambicaine.
Au Sahel, après avoir obtenu le départ des forces françaises et américaines, les gouvernements du Mali, du Niger et du Burkina Faso se sont engagés dans de nouveaux partenariats, notamment avec la Russie et la Turquie. Les résultats demeurent cependant limités.
En fait, dans la zone sahélienne, le grand rival djihadiste de l’EI, le JNIM affilié à Al-Qaida, constitue le principal rempart contre l'expansion de l’État islamique - Sahel. Comme dans d’autres régions du monde, les deux groupes se livrent en Afrique des combats acharnés, aussi bien militaires qu’idéologiques et religieux.
« D'un côté l'État islamique revendique la création immédiate d'un État islamique avec un calife, avec une logique d'imposition forte de son contrôle, et n'hésite pas devant un niveau de violence contre les civils assez élevé ; de l'autre côté, Al-Qaïda ne considère pas que le moment soit venu de fonder un califat, le groupe a une approche beaucoup plus politique et tactique, il ajuste les moyens aux fins et va essayer de limiter davantage la violence contre les civils » précise Vincent Foucher, politologue et chercheur au CNRS.
EN SAVOIR PLUS
Sources institutionnelles
Trente-cinquième rapport de l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions des Nations unies concernant l’EIIL (Daech), Al-Qaida et les personnes et entités qui leur sont associées - Nations unies - février 2025
Conseil de sécurité : l’expansion des activités terroristes de Daech et de ses affiliés en Afrique et à travers le monde exige une réponse globale et coordonnée - Nations unies - août 2024
Rapports sur le terrorisme par pays 2023 - Département d'Etat américain (lien en anglais)
Rapports, ouvrages, articles académiques
Jason Warner, The Islamic State in Africa - Hurst Publishers - 2021 (livre en anglais)
L’État islamique au Sahel vise une expansion régionale - Conflits : Revue de Géopolitique - traduction de Newly restructured, the Islamic State in the Sahel aims for regional expansion - ACLED - septembre 2024
New frontlines: Jihadist expansion is reshaping the Benin, Niger, and Nigeria borderlands - ACLED - mars 2025 (lien en anglais)
IS Sahel's tactics cause mass, indiscriminate violence - ACLED - janvier 2023 (lien en anglais)
ISIS - Counter Extremism Project (lien en anglais)
JAS face à l’EIAO : les factions de Boko Haram en guerre - International Crisis Group - mars 2024
Les violences entre factions de Boko Haram inquiètent l’État islamique - ISS - avril 2024
L'Etat islamique en RD Congo - Georges Washington University - mars 2021
Islamic State Mozambique - ACLED - octobre 2023 (lien en anglais)
Au Mozambique, Total face à la menace des djihadistes - Ifri - janvier 2021
Amanda M. Makosso et Auréole Collinet, View of Islamic State Central Africa Province (ISCAP) - The Journal of Intelligence, Conflict, and Warfare - 2021 (lien en anglais)
The Islamic State in Somalia: Responding to an Evolving Threat - International Crisis Group - septembre 2024 (lien en anglais)
Jeunes « djihadistes » au Mali : Guidés par la foi ou par les circonstances ? - ISS - août 2016
Dans les médias
Irak, qu’est-ce qu’un califat ? - La Croix - août 2014
L’Afrique, refuge des ambitions de l’organisation Etat islamique - Le Monde - janvier 2025
Comment le continent africain est devenu l'épicentre de l'activité djihadiste - Orient XXI - mars 2023
Pourquoi le Nigeria connaît-il une nouvelle vague d'attaques djihadistes ? - TV5MONDE - mai 2025
De Boko Haram à l’ISWAP : l’échec sécuritaire : épisode 2/2 du podcast Nigeria : forces et faiblesses d'un géant - France Culture - mars 2023io
Pourquoi l'État islamique attaque-t-il l'Ouganda ? - Analyse - BBC News Afrique - novembre 2021
Islamic State Central Africa Province - The Defense Post (lien en anglais)
L’État islamique revendique l’attaque de Kouré au Niger : un pied de nez à la France - Courrier International / Le Pays - septembre 2020
Contre « l’Etat islamique en RDC », des Texans et des flyers - Le Monde - mai 2024
RDC : à Beni, le combat sans fin contre les ADF - Jeune Afrique - juillet 2024
Conflit au Mozambique : est-il trop tôt pour retirer les forces de la SADC ? - BBC News Afrique - juin 2024
Une coalition internationale réunie au Maroc pour lutter contre la menace de l’Etat islamique en Afrique - Le Monde - avril 2022