Le président guinéen, le général Mamadi Doumbouya, a grâcié l'ex-dictateur Moussa Dadis Camara pour raisons de santé. Il avait été condamné à 20 ans de prison pour crimes contre l'humanité pour sa responsabilité dans le massacre du 28 septembre 2009 en Guinée. Qui est-il exactement ?
Ancien petit capitaine devenu dictateur, Moussa Dadis Camara est associé à l'une des pages les plus terribles de la Guinée. Avec un groupe d'officiers, il s'était emparé du pouvoir le 23 décembre 2008 après l'annonce de la mort du président Lansana Conté. Le lendemain, il s'était autoproclamé président. Aucun civil ne pouvait gérer ce pays gangréné par la corruption et dirigé depuis l'indépendance par des autocrates, justifiera-t-il ensuite.
Le capitaine Camara était alors un inconnu, un Guerzé, ethnie de Guinée forestière, très loin de Conakry. Son père, analphabète selon lui, était paysan. "Moi, je suis un homme du peuple (...) je suis né dans une case", martèle-t-il une fois au sommet.
Après des études universitaires insignifiantes, il est entré en 1990 dans cette institution primordiale qu'est l'armée, où il a fait carrière dans l'intendance.
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C'est son engagement en 2007 et 2008 dans des mutineries pour des questions de soldes qui lui a valu le ralliement d'un certain nombre de camarades, disent ces derniers.
"Je suis le père de la Nation, c'est ce que le destin aussi a voulu", lance-t-il en 2009.
Au début, son discours pour le peuple lui vaut l'adhésion de nombreux Guinéens. Il fait au président et voisin sénégalais Abdoulaye Wade l'impression d'un "jeune pur qui veut bien faire".
Invariablement ceint de sa tenue de camouflage, béret rouge sur la tête, il met en scène son autorité devant les foules et les caméras. Vociférant ou plaisantant, le regard intense, il traite devant tout le monde un homme d'affaires russe de voleur, fait la leçon aux diplomates étrangers, suspend en direct le directeur général des douanes. C'est le "Dadis Show", exalté et confus.
Rapidement, la multiplication des arrestations et le flou entretenu par le capitaine Camara sur ses intentions en vue de la présidentielle sèment la division. Sa santé mentale est mise en doute.
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Le 28 septembre 2009, au moins 156 personnes ont été tuées, par balle, au couteau, à la machette ou à la baïonnette, et des centaines d'autres blessées, dans la répression d'un rassemblement de l'opposition dans un stade de Conakry et ses environs, selon le rapport d'une commission d'enquête internationale mandatée par l'ONU. Au moins 109 femmes ont été violées.
Les exactions, dont le nombre des victimes réel est probablement plus élevé, ont continué plusieurs jours contre des femmes séquestrées et des détenus torturés dans ce qui est considéré comme l'un des épisodes les plus sombres de l'histoire contemporaine de la Guinée.
Seuls 57 corps sur au moins 156 tués ont été retrouvés, selon les familles et les organisations des droits de l'homme.
Le 3 décembre 2009, son aide de camp lui tire dans la tête parce qu'il aurait tenté de faire peser toutes les charges sur lui. Il est évacué vers le Maroc puis le Burkina Faso où, en janvier 2010, sur médiation ouest-africaine, il renonce à gouverner.
En exil, forcé à l'abstinence politique, il se convertit au christianisme. Il annonce sa candidature à la présidentielle de 2015 mais est rattrapé la même année par le 28-Septembre, inculpé et empêché de se présenter.
Il rentre en septembre 2022 pour le procès. Il entend "dire (sa) part de vérité". Il connaît l'avanie d'être incarcéré.
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C'est la junte, arrivée au pouvoir par un putsch en 2021, qui a permis la tenue de ce procès historique et très attendu par les victimes qui dura deux ans.
En août 2024, quinze ans après les faits, Moussa Dadis Camara a été condamné à 20 ans de prison pour crimes contre l'humanité pour sa responsabilité dans le massacre du 28 septembre 2009.
Moussa Dadis Camara avait été déclaré coupable "sur la base de la responsabilité du supérieur hiérarchique", avait déclaré Ibrahima Sory II Tounkara, le président du tribunal. Il avait aussi été reconnu coupable pour "son intention de réprimer la manifestation" et pour avoir manqué à son devoir de sanctions contre les auteurs du massacre.
L'ex-dictateur répondait d'une litanie de crimes d'assassinats, violences sexuelles, actes de torture, enlèvements et séquestrations. Il encourait la perpétuité.
Aux côtés de Moussa Dadis Camara (au pouvoir de 2008 à 2010), sept autres personnes ont été condamnées en août 2024 à des peines allant jusqu'à la perpétuité pour leur responsabilité dans ce massacre.
Deux ans après sa condamnation, le jour de commémoration du massacre du 28 septembre, l'ancien dictateur guinéen Moussa Dadis Camara, a été gracié pour "raison de santé" par le chef de la junte en Guinée, selon un décret.
"Sur proposition du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, une grâce présidentielle est accordée à M. Moussa Dadis Camara pour raison de santé", indique le décret lu le soir du vendredi 28 septembre 2025 à la télévision nationale par le général Amara Camara, porte-parole de la présidence.
Interrogé samedi par l'AFP, Jean Dadis Camara, jeune frère de Moussa Dadis Camara, a fait part de sa joie. "Tout Gboyeba, tout N'Zérékoré, comme à Koulé aussi, tout le monde est content. On remercie monsieur le président (...). J'ai suivi le décret à la télévision", a-t-il réagi, très ému.
"Nous remercions infiniment le président Mamadi Doumbouya pour cette grâce. C’est le plus grand cadeau pour toute la famille. Tout le monde est content aujourd’hui à N’Zérékoré et partout dans la région. Moussa Dadis Camara est un pilier pour toute la famille. Tout le monde danse", a déclaré de son côté à l'AFP Marcus Olivier Théa, un proche qui se présente comme son confident depuis de longues années.
Le 26 septembre 2025, dans une série de décrets lus à la télévision nationale le soir, le chef de la junte en Guinée, le général Mamadi Doumbouya, avait annoncé la "prise en charge des frais d'indemnisation des victimes du massacre du 28 septembre 2009".
Les annonces de la junte viennent appliquer les réparations ordonnées par le juge pour les victimes, allant de 200 millions de francs guinéens (plus de 20.000 euros) à 1,5 milliard de francs guinéens (plus de 160.000 euros), selon les cas.
Ces annonces par décret interviennent dans un contexte de sévère restriction des libertés en Guinée.
De nombreux opposants à la junte ont disparu ou sont inquiétés par la justice, des manifestations réclamant le départ des militaires sont régulièrement interdites et plusieurs médias ont été fermés dans le pays.