« Il y a des complicités dans le monde maritime qui rendent possibles ces actes de piraterie » souligne Thierry Vircoulon, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (IFRI).
Fil d'Ariane
De la Somalie au golfe de Guinée, plongée au cœur de la piraterie en Afrique. Qui sont les pirates et les brigands du XXIe siècle ? Où agissent-ils et quelles solutions sont mises en place pour lutter contre cette criminalité ? Décryptage avec « Les Mots de la Paix ».
Oubliez les galions, les trésors de pièces d’or et les aventuriers au grand cœur qui naviguent à travers les mers du globe, épée à la main. Cet imaginaire révolu n'existe que dans les films hollywoodiens. Comme le rappelle, en mars 2024, le Chef d'état-major de la Marine indienne l'amiral Radhakrishnan Hari Kumar, les pirates d'aujourd'hui « utilisent des missiles, des missiles balistiques, des missiles terre-navire et des drones ».
Selon les Nations unies, la piraterie rapporte chaque année près de 2 milliards de dollars aux réseaux criminels impliqués, et l’Afrique est particulièrement concernée.
En septembre 2012, ce pirate somalien se tient près d'un navire de pêche taïwanais qui a échoué sur le rivage après que les pirates ont reçu une rançon et libéré l'équipage.
Selon la Convention des Nations unies de 1982 sur le droit de la mer, la piraterie est « un acte illicite de violence commis en haute mer, à des fins privées, contre un navire ou un aéronef, ou contre des personnes ou des biens, à leur bord ».
Attention à ne pas la confondre avec le brigandage qui définit les mêmes faits, mais commis dans les eaux intérieures, les archipels ou la mer territoriale d’un État.
Un pirate peut donc devenir un brigand, et vice-versa.
Contrairement aux Caraïbes, à la Méditerranée ou à l’Asie du Sud-Est, cet assaut des pirates sur les eaux africaines est relativement récent... à l'exception de Madagascar.
Entre les XVIIe et XVIIIe siècles, la «Grande île» était utilisée comme base arrière par des pirates européens qui ciblaient le commerce des Indes orientales. Mais globalement, la domination des puissances coloniales européennes le long des côtes d’Afrique a longtemps dissuadé les activités de piraterie et de brigandage.
C’est dans les années 1970 que l’Afrique de l’Ouest connaît ses premières attaques de pirates, particulièrement au Nigeria. Ces attaques restent assez artisanales, avec des pirates équipés de simples couteaux ou de machettes, sans violence à grande échelle.
De l’autre côté du continent, à l’Est, c’est à partir des années 1980 que la piraterie et les attaques à main armée apparaissent au large des côtes somaliennes.
1989 marque le début des assauts contre les navires commerciaux. Un groupe rebelle opposé au régime militaire d'alors s’empare de plusieurs bateaux au large de la Somalie. Avec l’effondrement de l’État, ces eaux territoriales deviennent une zone maritime de non-droit, évitée par tous les navires. Un triste record : 212 attaques sont recensées dans la zone pendant la seule année 2011.
À Lagos (Nigeria) en février 2016, un officier de la marine nigériane montre des pirates arrêtés, après le sauvetage du navire Maximus battant pavillon panaméen qui avait été détourné.
Aujourd’hui, deux régions sont particulièrement concernées par la piraterie et le brigandage.
Le golfe de Guinée est devenu au fil des ans l’épicentre de l’insécurité maritime africaine avec une forte recrudescence des enlèvements dans l’arc allant du Ghana au Gabon.
La zone des attaques s’est ensuite étendue du Sénégal à l’Angola, le long d’une côte de 5 700 kilomètres, avec une intensification autour de l’archipel de Sao Tomé-et-Principe.
La plupart des assauts sont menés par des brigands près des côtes, mais il y a aussi des raids de pirates au large du Togo et de la Guinée équatoriale.
Dans l’océan Indien en revanche, après le pic de 2011, la piraterie a significativement baissé, même si certains groupes restent actifs. Le nombre d’enlèvements à proximité des côtes somaliennes est désormais faible.
La zone qui s’étend du sud de la mer Rouge à l’est du golfe d’Aden, notamment le détroit de Bab-el-Mandeb, connaît aussi des incidents, davantage liés à des activités de pêche illégale, d’immigration clandestine, ou encore d’extension des conflits du Moyen-Orient depuis les attaques du 7 octobre 2023.
À l'Est, le chaos politique en Somalie à la fin du XXe et au début du XXIe siècle a contribué à l'essor de la piraterie. Il s’agissait généralement de « voyous des mers », des pêcheurs pauvres, qui rejoignaient des organisations criminelles.
Alors qu’à l’Ouest, dans le golfe de Guinée, c’est une révolte sur terre qui s’est étendue vers la mer à la fin des années 2000. À l’origine, des Nigérians, issus des différents groupes criminels du delta du Niger, s’insurgeaient contre une redistribution jugée inéquitable des richesses de l’exploitation du pétrole. Après avoir attaqué des oléoducs sur terre et développé leurs propres raffineries artisanales, ils ont recruté des gens de mer pour viser les tankers qui transportaient l’or noir au large des côtes.
« Il y a des complicités dans le monde maritime qui rendent possibles ces actes de piraterie » souligne Thierry Vircoulon, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (IFRI).
Thierry Vircoulon, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (IFRI), souligne que s'en est suivi un changement de mode opératoire : « Premières cibles des pirates nigérians, les bateaux pétroliers ont vu leur sécurité renforcée progressivement par les armateurs. Les pirates, étant opportunistes, se sont alors tournés vers des navires de transport de marchandises, beaucoup moins défendus. La circulation maritime importante dans le golfe de Guinée leur a offert un large choix pour à la fois pour voler ce qui se trouvait sur ces bateaux, mais aussi kidnapper des équipages et demander des rançons. »
«La baisse du nombre d'actes de piraterie dans le golfe de Guinée est en grande partie liée à l'apaisement de la situation dans le delta du Niger » estime Thierry Vircoulon, chercheur associé à l'IFRI.
Des solutions plutôt efficaces ont été trouvées à la fois par les États africains, les organisations régionales du continent et les partenaires internationaux.
À l’Est du continent, les actes de piraterie ont fortement diminué grâce à l’installation de gardes armés à bord de navires commerciaux, l’utilisation de systèmes de localisation satellitaire, mais surtout grâce au déploiement de bâtiments de guerre internationaux.
L’opération Atalanta (ou Atalante) de l’Union européenne, la force de police maritime du Puntland, la force multinationale CTF-151, et la marine indienne sont particulièrement actives dans la zone.
En juin 2009, un accord régional clé est adopté par les États de la région : le Code de conduite de Djibouti organise la coopération interétatique et la répression des actes de piraterie et des vols à main armée à l'encontre des navires dans l'océan Indien occidental et le golfe d'Aden.
Les attaques sont devenues si rares que le Conseil de sécurité des Nations unies n’a pas renouvelé sa résolution autorisant la lutte contre la piraterie dans les eaux territoriales somaliennes.
Après avoir déjoué une tentative de piraterie sur le navire de pêche Al Naeemi, battant pavillon iranien, au large de la côte est de la Somalie, en janvier 2024, la marine indienne exhibe 10 pirates somaliens capturés. Selon un communiqué de la marine, 19 membres de l'équipage pakistanais ont été libérés.
Le golfe de Guinée a également connu une évolution positive. Depuis 2013 et le Code de conduite de Yaoundé, les Communautés économiques des États d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, la CEDEAO et la CEEAC, collaborent pour lutter contre l’insécurité maritime. Les centres régionaux de sécurité maritime sont reliés via le centre de coordination interrégional. C'est l'Architecture de Yaoundé.
Les attaques sont désormais marginales : en moyenne 1 à 2 par mois en 2024, du jamais vu depuis 30 ans.
À l’Est comme à l’Ouest de l'Afrique, l’évolution des conflits à terre conjuguée aux efforts nationaux, internationaux et privés ont permis le déclin de la piraterie. On constate souvent l’échec des efforts pour enrayer la violence et l’insécurité sur le continent ; la lutte contre la piraterie démontre qu’il y a aussi des politiques couronnées d’un certain succès.
Thierry Vircoulon, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (IFRI) : «La piraterie n'est plus un sujet dans le golfe d'Aden et n'en sera bientôt plus un dans le golfe de Guinée.»
Convention des Nations unies sur le droit de la mer - 1982
Piraterie et vols à main armée à l'encontre des navires - Organisation maritime internationale
Code de conduite de Djibouti - 2009
Contenu et évolution du Code de conduite de Djibouti - Organisation maritime internationale
Code de conduite de Yaoundé - 2013
Architecture de Yaoundé - YARIS
Résolution A.1159 relative à la piraterie dans le golfe de Guinée - Organisation maritime internationale - 2021
Résolution 2364 relative à la piraterie dans le golfe de Guinée - Conseil de Sécurité des Nations unies - 2022
Carte en temps réel de la piraterie et des attaques à main armée - ICC Commercial Crime Services
Rapports d'incidents sur la piraterie - Organisation maritime internationale (lien en anglais)
Francois Vreÿ et Mark Blaine, Les attaques en mer Rouge et dans l’Océan Indien révèlent la vulnérabilité maritime de l’Afrique - Centre d'études stratégiques de l'Afrique - 2024
Ifesinachi Okafor-Yarwood, La côte de l'Afrique de l'Ouest était un paradis pour la piraterie et la pêche illégale : comment la technologie change la donne - The Conversation - 2024
Enjeux de la piraterie en Afrique - École de guerre économique - 2021
Thierry Vircoulon et Violette Tournier, Sécurité dans le golfe de Guinée : un combat régional, Politique étrangère, Automne(3), 161-174 - 2015
Stefan Eklöf Amirell, La piraterie maritime en Afrique contemporaine : Ressorts locaux et internationaux des activités de piraterie au Nigeria et en Somalie - Politique africaine, 2009/4 N° 116, p.97-119 - 2009
Golfe de Guinée : faut-il craindre le retour de la piraterie ? - TV5MONDE - avril 2023
Piraterie : des chiffres au plus bas depuis 30 ans - Ports et corridors - novembre 2024
Les actes de piraterie réapparaissent au large de la Somalie - Le Monde - février 2024
Piraterie : le golfe de Guinée zone de tous les dangers - La Croix - avril 2023
Le golfe de Guinée, mer de tous les dangers et royaume de la piraterie mondiale - Le Monde - décembre 2021
L’opération européenne de lutte contre la piraterie au large de la Somalie a encore été prolongée de deux ans de plus - Opex360.com - décembre 2024
L’Afrique bientôt débarrassée de la piraterie maritime ? - Classe Export - mars 2023
Trois marins chinois portés disparus au large du Ghana, dans une attaque présumée de pirates - Projet Afrique Chine - avril 2025