VIH - Financement de la lutte contre le sida

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VIH - Financement de la lutte contre le sida
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“On n'arrête pas la dynamique épidémique alors qu'on aurait les moyens de le faire“

Entretien depuis Le Cap avec Jean-Paul Moatti, économiste de la santé et conseiller pour le Fonds mondial de lutte contre le sida

“On n'arrête pas la dynamique épidémique alors qu'on aurait les moyens de le faire“
Quelles sont les ressources financières dont on dispose aujourd’hui pour lutter contre le sida ? Il y a deux principaux financeurs pour la lutte contre le sida : le Fonds mondial et le programme bilatéral lancé par l’administration Bush et repris par celle d’Obama. Cela représente 80% de l’aide internationale. Il faut y ajouter les financements qu’apportent les gouvernements pour leur propres programmes nationaux de lutte contre le VIH et l’argent que versent les malades eux-mêmes. Beaucoup paient leurs traitements dans les pays du Sud. Actuellement, la totalité du montant des aides disponibles sur 2008 est de 10 milliards de dollars. Des ONG ont tiré la sonnette d’alarme. Partagez-vous cette inquiétude ? Avant de s’inquiéter, il faut d’abord dire que la lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria est le plus grand succès de la santé publique depuis l’éradication de la polio. En 2000 à la Conférence de Durban, on espérait dépasser le chiffre des 4 millions de malades du sida traités dans les pays du sud, ce qui est le cas aujourd’hui. Ce chiffre doit être annoncé par l’ONU à la fin du Congrès du Cap. Fin 2007, on en était à 3 millions de personnes traitées. On a donc gagné un million en un an ! L’inquiétude ici au Cap, c’est que cette dynamique s’arrête. Pour quelle raison les pays du Nord décideraient-ils de diminuer leur aide ? A cause de la crise principalement et pour plusieurs raisons. Dans les pays du sud, les patients paient eux-mêmes plus de moitié du prix total de leurs traitements. Si ces malades sont touchés par la crise, ils ne pourront plus payer. Ensuite, la crise réduit aussi la marge de manœuvre des gouvernements qui voulaient consacrer une grande part de leur budget à la santé publique et donc au sida. Concernant l’aide internationale, il n’y a pas eu d’arrêt de financement. Le problème c’est qu’il faut augmenter les sommes pour pouvoir tenir les engagements pris. Et c’est là que ça se complique. Craint-on déjà de manquer de fonds pour les années à venir ? Les promesses de dons pour le Fonds mondial pour la période 2007-2010 prises par les gouvernements donateurs en 2007 sont à hauteur de 9 milliards de dollars. Aujourd’hui, on n’est pas sûr d’avoir suffisamment pour 2009 et surtout pour 2010. Par exemple, pour le prochain appel d’offres du Fonds mondial pour les projets de 2010 qui aura lieu à l’automne, les financements sont loin d’être bouclés. Et si l’on pense aux projets pour 2011-2014, il faudrait multiplier par trois cette somme de 9 milliards de dollars si on veut tenir nos engagements. Et là, le point d’interrogation est encore plus grand. Que se passera-t-il si les pays donateurs décident de diminuer leurs aides financières ? Dans les pays du sud, la moitié des malades traités ne sont pas sûrs que l’on augmentera à l’avenir le financement de leur programme de traitement. Or si on ne poursuit pas cet effort de financement, on risque de revenir en arrière. Des gens vont souffrir, car on n’aura pas les moyens d’améliorer leur traitement en fonction de l’évolution de la maladie par exemple, de passer de ce que l’on appelle un traitement de première ligne à un traitement de seconde ligne, plus sophistiqué et plus puissant. Mais c’est déjà presque le cas. Actuellement, 2 à 3% des 4 millions de personnes traitées dans les pays du sud sont sous traitement de seconde ligne. Il devrait déjà y en avoir au moins 10%. En clair, une partie de ces gens soit survivent sous un traitement qui n’est pas adapté, soit vont mourir. Le scenario pourrait-il être plus noir ? Toutes ces projections sont sur la base des critères de mises sous traitement actuels. Mais il faudrait commencer à traiter les malades beaucoup plus tôt dans les pays du sud, comme nous le faisons déjà dans les pays du nord. Cela aurait un effet bénéfique sur l’évolution de l’épidémie. Traiter massivement plus tôt est une manière efficace de contrôler l’épidémie sur une période de 5 à 10 ans car on limiterait de fait le nombre de contaminations. Aujourd’hui, pour une personne sous traitement, trois sont contaminées. A long terme, on peut même imaginer éradiquer l’épidémie de cette manière, en l’absence de vaccin. Mais il faudrait alors financer des traitements pour deux à trois fois plus de monde qu’aujourd’hui ! En bref, on n’arrête pas la dynamique épidémique alors qu’on aurait les moyens de le faire. Ce qui nous manque, ce sont les financements. Propos recueillis par Laure Constantinesco 21 juillet 2009

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