L'Afrique du Sud, connaît depuis dimanche 1er septembre 2019, un regain de violences xénophobes. Dans le viseurs des émeutiers, les populations immigrés accusées de voler le travail des natifs. Mais les raisons de cette colère sont peut-être bien plus profondes. Entretien avec la sociologue Bénédicte Champenois- Rousseau.
Emeutes, magasins pillés, véhicules incendiés. Depuis dimanche 1er septembre 2019, les rues de Johannesburg et de Pretoria sont le théâtre de violents affrontements orientés contre les populations immigrées, accusées d'être responsables du chomâge et de la pauvreté. Au total, 7 personnes ont été tuées.
Resté dans un premier temps silencieux, le président sud africain, Cyril Ramaphosa, a condamné ces agressions dans une vidéo postée sur Twitter "Les attaques visant des commerçants étrangers sont totalement inacceptables (...) je veux que cela cesse immédiatement" a-t-il déclaré.
De l'autre côté des frontières, les représailles n'ont pas tardé. Au Nigeria- dont beaucoup d'habitants migrent vers l'Afrique du Sud - un appel au boycotte est lancé contre les entreprises et enseignes sud-africaines dont certaines ont été vendalisées. Un climat hostile qui a contraint de nombreuses sociétés à fermer leurs portes à l'image du géant de télécom, MTN. Malgré un retour au calme dans la nuit de mercredi à jeudi, l'Afrique du Sud a choisi de fermer temporairement son ambassade au Nigeria pour des mesures de sécurité.
Pour autant, la situation actuelle n'a rien d'exeptionnel. Les violences xénophobes sont fréquentes en Afrique du Sud et révèlent un problème bien plus profond. Première puissance industrielle du continent, l'Afrique du Sud connaît de fortes inégalités sociales et un taux de chômage élevé (29%). Les populations immigrées devienennt des boucs émissaires. Une violence qui sexplique par la crise économique et à un système politique défaillant, rencontre avec la sociologue Bénédicte Champenois- Rousseau.
TV5MONDE : 25 après la fin de l’apartheid, qu’est-ce qui explique que la xénophobie continue de faire rage en Afrique du Sud et particulièrement à l’encontre des immigrés ?
Bénédicte Champenois- Rousseau : Il est important de rappeler que la société sud-africaine - bien que nous soyons effectivement 25 ans après la fin de l’apartheid - reste une société violente pour tous. Elle est violente à la fois pour les populations blanches et noires, mais aussi et surtout pour les populations immigrées.
Les immigrés sont au bout de la chaîne. Ils se trouvent souvent dans les quartiers difficiles où la sécurité n'est pas bien assurée et de ce fait, ce sont eux effectivement qui sont désignés comme boucs émissaires, lorsqu’il y a des problèmes en Afrique du Sud.
A-t-on une idée du nombre d’immigrés présents en Afrique du Sud ?
Il est très difficile d’avoir des chiffres. Une très grande partie des immigrés ne sont pas enregistrés par le ministère des Affaires intérieures, c'est pour cela que nous avons du mal à avoir une idée de leur proportion. En revanche, ce qui est certain, c'est qu'une grande part d'entre eux se trouve dans des « informal settlements » (habitations informelles).
Aujourd’hui les autorités parlent d’émeutes urbaines, est-ce que ce discours politique n'est pas le moyen de relativiser la xénophobie présente en Afrique du Sud ?
Ce qu'il se passe en ce moment en Afrique du Sud est embarrassant pour les politiques et c'est compréhensible. Aujourd'hui, on ne connaît pas les raisons exactes de ces troubles mais ce qui est sûr c'est que les étrangers sont pris comme boucs émissaires parce qu'ils sont considérés par les Sud -Africains comme ayant plus d'avantages que les classes défavorisées.
En effet, les classes défavorisées ont besoin d’emplois, or le taux de chômage est particulièrement élevé en Afrique du Sud. Elle a également besoin de sécurité mais cette sécurité, la police ne lui offre pas puisque les policiers sont souvent complices à la fois des dealers de drogue - c'est d'ailleurs ce qu'ont dénoncé les personnes à l'origine des émeutes à Pretoria - et sont facilement corruptibles.
Est-ce que l’image d’une nation "arc-en-ciel" où tout le monde est accepté n’est-elle pas une utopie ?
Ça a toujours été une utopie, c’est le but vers lequel Mandela voulait tendre, mais le problème c’est que depuis 1994, cette nation n’a pas réussi à se construire. Certes il y a eu la Constitution la plus splendide au monde et la Commission "Vérité et Liberté" qui a été saluée par tous, mais malgré cela, les inégalités sociales, raciales, spatiales ont continué à se creuser et le gouvernement a failli et a complètement abandonné la partie la plus pauvre et la plus défavorisée de la population.
On peut clairement dire que c'est un échec du Congrès national africain, (ANC) qui n'a pas réussi à mettre en place des institutions capables de servir l'ensemble de la population, y compris les plus pauvres.