Back to top
Kinshasa ne se réveille pas seulement au son des clochers des églises et des cathédrales de l'église catholique du pays mais également avec les chants des premiers cultes de 6000 de ses églises dites du réveil. La RDC est un désormais un grand pôle du monde évangélique sur le continent africain. Plus de 35 % des Congolais, selon le Pew Research Forum, think tank américain, fréquentent des églises évangéliques, pentecôtistes ou néo protestantes.
Les pasteurs évangéliques sont partout présents dans la vie quotidienne des gens en RDC.Jean-Pierre Dozon, anthropologue et chercheur émérite à l'EHESS
Jean-Pierre Dozon, anthropologue et chercheur émérite à l'EHESS travaille sur le paysage religieux africain. "Les évangéliques sont partout dans la vie quotidienne des gens. Ils sont dès le matin présent dans les bus, les taxis collectifs pour précher la parole de Dieu. Ils démarchent les gens. Ils font prier les gens dans la rue. Et ces pasteurs ont une force qu'ils soient à la tête d'une petite église d'une vingtaine de membres ou à la tête de ce que l'on appelerait nous une mégachurch avec plusieurs milliers de personnes, celle d'être dans la vie quotidienne des gens", décrit l'anthropologue.
Des fidèles catholiques n'hesitent pas à aller voir des pasteurs pour guerir de telle ou telle maladie. Cela ne les empêchera pas de se rendre à la messe du dimanche.Jean-Pierre Dozon, anthropologue et chercheur émérite à l'EHESS
"On voit le pasteur évangélique pour régler ses problèmes qu'ils soient materiels, de santé, de coeur, de couple. On croit que le pasteur de ces églises dites du réveil a une capacité de prise en charge que beaucoup de prêtres n'ont pas", explique le chercheur émérite. En quelques décennies l'Eglise catholique a perdu une partie importante du marché religieux du pays au profit des évangéliques selon le chercheur.
Mais l'appartenance à telle ou telle mouvement religieux est extrêmement poreuse en RDC. "Des fidèles catholiques n'hesitent pas à aller voir des pasteurs pour guerir de telle ou telle maladie. Cela ne les empêchera pas de se rendre à la messe du dimanche. C'est pour cela que cela reste très compliqué de compter, d'avoir rééllement des chiffres fiables sur la place de telle ou telle religion dans le pays religieux congolais", explique le chercheur.
"Les pasteurs, révérends, bishops, archbishops, prophètes et apôtres plus ou moins autoproclamés, empathiques, parlant bien, habillés comme des "sapeurs" et possédant des chaînes de télévision, font des promesses de vie meilleure", explique à l'AFP Gauthier Musenge Mwanza, enseignant chercheur au département de sociologie de l'université de Kinshasa.
Lire : RD Congo, jusqu'où va l'influence de l'Église catholique dans le jeu politique ?
Un temps toute puissante l'Eglise catholique en RDC est donc bousculée par ces nouveaux venus dans le paysage religieux depuis un peu plus de trente ans. Comment expliquer une telle percée ? "L'Eglise catholique reste très institutionnelle. Il y a bien sur les écoles, les universités catholiques. Mais le sentiment qui prédomine chez de nombreux Congolais est celui d'une Eglise qui reste encore assez distante avec les gens dans leur préoccupation quotidienne", explique Jean-Pierre Dozon. "Des prêtes catholiques dits charismatiques ont repris dans leur prêche le discours très direct des évangéliques. Mais ils ont été assez rapidement marginalisés par l'Eglise", explique le chercheur. La théologie est binaire, entre le mal et le bien, constate Jean-Pierre Dozon. "Le 'diable' revient souvent dans le discours de ces pasteurs. Et pour régler ces problèmes il faut faire sortir la mal en soi, le diable. La figure de l'exorciste est très présente chez ces pasteurs", décrit l'anthropologue des religions.
Dans les années 90, la RDC mais également d'autres pays africains ont été victimes de la part des grandes institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale de ce que l'on a appelé les 'ajustements structurels'. L'Etat congolais a dû réduire ses dépenses dans la santé, l'éducation. Les évangéliques ont alors pris le relais.
Jean-Pierre Dozon, anthropologue et chercheur émérite à l'EHESS.
La réussite de tel ou tel pasteur charismatique n'est pas étrangère à la culture religieuse de la RDC selon Jean-François Dozon. La figure du chef religieux, presque prophétique est présente dans l'histoire de la RDC. "Le cas le plus connu dans le pays est celui de Simon Kimbangu. En 1921 ce dernier déclare avoir eu une vision de Jésus Christ qui lui aurait permis d'accomplir une guerison miraculeuse. Il fonde ce qui deviendra l'Eglise Kibanguiste. Ce mouvement religieux qui existe toujours en RDC sera reconnu par le pays colonsiateur la Belgique", décrit Jean-Pierre Dozon. Certains pasteurs évangéliques cherchent à reproduire la figure charismatique de Simon Kimbangu.
L'absence de l'Etat congolais dans la vie sociale et la vie économique du pays explique également la percée des évangéliques dans le pays. "Dans les années 90, la RDC mais également d'autres pays africains ont été victimes de la part des grandes institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale de ce que l'on a appelé les 'ajustements structurels'. L'Etat congolais a dû réduire ses dépenses dans la santé, l'éducation par exemple. Les évangéliques ont alors pris le relais de cette puissance publique absente", décrit Jean-Pierre Dozon.
Le nombre de ces églises du réveil a explosé à partir des années 1990, fortes d'une énorme popularité auprès de populations pauvres, au chômage, sans perspective d'avenir.
Une théologie va percer dans le monde africain, la théologie dite de la prospérité. Il faut chercher les faveurs de Dieu pour devenir riche. Très présente en Amérique latine dans les années 80, elle va traverser l'Atlantique portée par des pasteurs évangéliques brésiliens. Le Nigeria sera alors la première grande terre africaine d'évangélisation de ces mouvements néo-protestants.
Gagner de l'argent, se marier, voyager en Europe? Il suffit de prier Jésus, danser et chanter, et de donner des dollars aux prédicateurs.Gauthier Musenge , sociologue à l'université de Kinshasa.
"Les pasteurs brésiliens et américains ont formé des pasteurs au Nigeria qui eux ont fondé leur entreprise spitituelle et ces pasteurs nigerians sont partis à la conquête de l'Afrique", décrit Jean-Pierre Dozon. "Les années 90 correspondent à un moment où le libéralisme économique a le vent en poupe et le mouvement évangélique correspond à ce moment. Les pasteurs sont des entrepreneurs et entendent s'enrichir par le versement de la dîme des fidèles (10% des revenus). Ils incarnent une réussite materielle, une réussite du libéralisme économique", explique le chercheur.
"Gagner de l'argent, se marier, voyager en Europe? Il suffit de prier Jésus, danser et chanter, et de donner des dollars aux prédicateurs", ironise de son côté le sociologue Gauthier Musenge à l'AFP.
Pour l'instant les mouvements évangéliques n'arrivent pas comme en RDC et dans d'autres pays de la région à peser sur la vie politique nationale. "L'Eglise catholique en RDC reste une Etat dans l'Etat, capable de contester ou de soutenir tel ou tel pouvoir. Un cardinal a un pouvoir institutionnel plus important que n'importe quel pasteur évangélique dans le pays. Un cardinal peut être proche du pape. Il a une aussi une formation de diplomate. Il va à la rencontre des chancelleries. Cette force permet encore à l'Eglise catholique de supplanter les évangéliques sur le plan politique", estime Jean-Pierre Dozon, chercheur à l'EHESS.
Dans les années 80, les années 90 cette puissance institutionnelle de l'Eglise a été une aussi des causes de son déclin. Le dictateur Mobutu Sese Seko ( président de la RDC alors nommée Zaire) avait soutenu les églises évangéliques contre la puissance de l'Eglise catholique selon Gauthier Musenge , sociologue à l'université de Kinshasa.
Certains fidèles qui avaient déserté l'Eglise catholique pour ces chapelles plus séduisantes sont depuis revenus dans son giron, ayant constaté que les miracles tardaient à venir.
Malgré tout, les églises de réveil continuent d'attirer les foules. Leur nombre est difficile à établir, mais l'année dernière, un député congolais voulait que les autorités en ferment 10.000, critiquables selon lui en termes de business, tromperie et escroquerie.
Les évangéliques en Afrique : combien de divisions ?
Selon le Pew Forum, think tank américain travaillant sur les données religieuses dans le monde, l’Afrique subsaharienne compte aujourd’hui 63 % de chrétiens, dont 21 % de catholiques, 5 % d’orthodoxes et 36 % de protestants. Parmi ces derniers, les mouvements pentecôtistes et évangéliques sont en très forte progression, sans qu’il soit possible de disposer de chiffres précis pour la mesurer, selon le Pew Forum. Sebastien Fath, chercheur au CNRS, avance le chiffre de 170 millions évangéliques en Afrique. Ils seraient un peu plus de 55 millions au Nigeria et 20 millions au Kenya.