Fil d'Ariane
Le président de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, le Bissau-Guinéen Umaro Sissoco Embalo, s'est rendu à Kiev et à Moscou, rencontrant Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine. Il a proposé une médiation africaine entre les deux parties. Sans succès. Cette tournée diplomatique intervient quatre mois après la rencontre entre le président de l'Union africaine Macky Sall et le président russe. L'Afrique peut-elle peser diplomatiquement sur le conflit russo-ukrainien. Analyse de Francis Laloupo, journaliste et chercheur associé à l'IRIS.
L'Afrique "porte la paix et veut rapprocher ces deux pays frères", l'Ukraine et la Russie, a assuré mercredi le président en exercice de la Communauté économique des Éats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), le Bissau-Guinéen Umaro Sissoco Embalo, lors d'une visite en Ukraine.
Premier président africain à se rendre à Kiev depuis le début de l'invasion russe en Ukraine le 24 février, le président Embalo a rencontré le président ukrainien Volodymyr Zelensky ce 26 octobre, au lendemain d'une visite en Russie où il s'est également entretenu avec le président Vladimir Poutine.
Nous on est venu porter un message de paix entre nos deux frères. Et on peut faire le pont pour les retrouvailles.Le président de la Cédéao, Umaro Sissoco Embalo devant le président Zelensky le 26 octobre
"Ce n’est pas juste des engrais, des fertilisants ou de céréales dont l’Afrique a besoin. L’Afrique aussi porte la paix et veut rapprocher ces deux pays frères, qu’on puisse vraiment trouver un chemin pour la paix entre la Russie et l’Ukraine", a dit le président de la Guinée-Bissau, lors d'un point-presse avec le président Zelensky.
"Frère...", a-t-il dit en se tournant vers son homologue ukrainien, "j'ai dit aussi à Poutine, frère, parce qu'un jour ils vont se retrouver, c'est pour cela que nous on est venu porter un message de paix entre nos deux frères. Et on peut faire le pont pour les retrouvailles", a-t-il plaidé.
Lire : après la visite de Macky Sall en Russie, “l’Afrique montre qu’elle veut peser dans les affaires du monde”
Volodymyr Zelensky s'est lui montré plus sceptique sur l'idée d'un dialogue avec Vladimir Poutine. L'offre de service et de médiation de la Cédéao n'aura pas en effet fait long feu. Le Kremlin a accusé jeudi 27 octobre l'Ukraine de s'être retirée des négociations de paix en mars avec la Russie "sur ordre" des États-Unis, alors qu'"un équilibre très, très difficile avait été atteint" entre Kiev et Moscou.
D'autres visites d'organisations régionales d'États africains vont suivre pour appuyer les offres de médiation d'une diplomatie continentale
Francis Laloupo, journaliste et chercheur associé à l'Iris
La visite du président de la Cédéao intervient quatre mois après la visite du président en exercice de l'Union africaine, Macky Sall. Selon Francis Laloupo, journaliste spécialiste du continent et chercheur associé à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), cette visite est complémentaire de celle du président de l'Union africaine. "Ce déplacement n'est pas en contradiction avec la visite de Macky Sall à Moscou intervenue quatre mois plus tôt. On peut parler de complémentarité. D'autres visites d'organisations régionales d'États africains vont suivre pour appuyer les offres de médiation d'une diplomatie continentale et pour appuyer les démarches de l'Union africaine", constate Francis Laloupo.
Lire : qu'est-ce que l'Union Africaine peut dire à la Russie et l'Ukraine ?
Que peut justement peser cette diplomatie africaine dans la résolution du conflit entre la Russie et l'Ukraine ? "Le poids diplomatique de l'Afrique reste très relatif. L'Afrique ne pèse pas beaucoup financièrement. Le président de la Cédéao a proposé une médiation entre Kiev et Moscou. Il a fait offre de bons offices. C'était un passage obligé. Mais cette visite place l'Afrique au sein de la Communauté internationale sur ce dossier ce qui n'est pas rien", estime le chercheur et journaliste.
La visite du président de la Cédéao est la première d'un dirigeant africain à Kiev depuis le déclenchement du conflit. Assiste-t-on à un changement d'attitude de la part de certains États africains sur le conflit ? Lors du vote d'une résolution à l'Assemblée générale de l'ONU condamnant l'invasion russe de l'Ukraine du 24 février 25 pays africains s'étaient abstenus le 2 mars dernier.
Lors du dernier vote à l'Assemblé générale de l'ONU, le 13 octobre, pour condamner les annexions de la Russie de territoires ukrainiens, ils n'étaient plus que 19 à s'abstenir, certains d'entre eux étant des partenaires historiques de la Russie comme l'Algérie.
Le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kuleba s’est lui félicité du résultat du vote. "J’ai été particulièrement heureux de voir que les quatre pays que j’ai visités en Afrique –Sénégal, Côte d’ivoire, Ghana et Kenya – ont soutenu cette résolution", soulignait le ministre ukrainien.
La dépendance aux céreales provenant d'Ukraine mais surtout de Russie explique une certaine prudenceFrancis Laloupo, journaliste et chercheur associé à l'Iris
Francis Laloupo rappelle qu'"une majorité de pays africains ont voté la résolution qui condamnait l'invasion russe de l'Ukraine". "L'absentation ne signifie pas forcément un soutien à l'invasion russe mais certains pays ont nourri des partenariats notamment sur les questions de défense avec Moscou lors de ce que l'on a appelé l'offensifve russe sur l'Afrique. La dépendance aux céreales provenant d'Ukraine mais surtout de Russie explique une certaine prudence. La question de la dépendance de certains États vis-à-vis de la Russie est ressorti lors des votes", précise Francis Laloupo.
"On constate d'ailleurs que Macky Sall en tant que président de l'Union africaine n'a pas tenu les mêmes position qu'en tant que président du Sénégal. Les organisations régionales et l'Union africaine ont permis de rappeler où se trouvait le droit. L'Union africaine condamne d'ailleurs toute forme d'annexion. L'intégrité territoriale des États fait partie de la charte de l'Union africaine", ajoute Francis Laloupo.
"L'Ukraine est un partenaire de l'Afrique au même titre que la Russie. Il n’y pas d’ambiguïté dans mon propos, cela ne peut pas être interprété", a insisté le président Embalo, en rappelant le vote de la Guinée-Bissau, le 13 octobre à l'Assemblée générale de l'ONU, pour une résolution condamnant les "annexions illégales" russes de territoires en Ukraine.