Visite du roi des Belges en RDC : "C'est quelque chose symboliquement, mais on aurait souhaité un geste beaucoup plus fort"

Le roi des Belges Philippe achevait ce lundi 13 juin sa première visite officielle en RDC. Restitution d'oeuvres, expression de ses regrets mais pas d'excuses, retour prochain de la dent de Patrice Lumumba,... Jean Omasombo, chercheur congolais au Musée royal de l'Afrique centrale de Bruxelles, dresse le bilan de cette visite. 
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visite roi des Belges au Congo
Philippe, roi des Belges, vient de passer six jours en visite officielle en RDC, où il a notamment rencontré le dernier vétéran congolais de la Seconde guerre mondiale. AP/ Samy Ntumba Shambuyi.
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TV5MONDE : Pour la première fois officiellement, le roi des Belges s’est rendu au Congo. Comment interpréter le fait que le roi ait simplement réitéré ses regrets, sans présenter d’excuses au sujet de la colonisation, comme certains l’attendaient ?

Jean Omasombo, politologue congolais, chercheur au Musée royal de l'Afrique centrale de Bruxelles : Ça ne semble pas étonnant lorsqu'on suit les relations entre la Belgique et le Congo, depuis l'indépendance. La Belgique n'avance que sous pression, de manière vraiment calculée lorsque cette pression devient très forte.

La Belgique a fait un nouveau petit pas. On l'avait vu par exemple à la fin des années 90, avec l'affaire Lumumba. Des travaux dans les milieux universitaires avaient mis en avant beaucoup d'éléments sur la responsabilité du pouvoir belge à ce moment-là. La Belgique a mis en place une commission d'enquête parlementaire en 2000, sans qu’elle n’aille au-delà que d’établir la responsabilité morale du pays.

Le gouvernement avait aussi parlé de la mise en place d'une fondation Lumumba, mais ça s'est s'est arrêté là. Il y a eu aussi les débats autour Léopold II. Donc dans cette continuité, on sent globalement que les lignes bougent.

On sait bien que le roi ne peut rien sans l'aval du gouvernement. Et pour arriver à un compromis au niveau du gouvernement belge, ce n'est pas chose facile. 

Cette fois-ci, il évoque « ses plus profonds regrets ». Le roi a fait un pas, en insistant sur "très profonds", en amenant un objet d'art comme symbole. Mais ce n'est pas suffisant.

(Re)voir : RD Congo : le roi des Belges renouvelle ses regrets, mais pas d'excuses

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TV5MONDE : Où en est la Belgique sur la reconnaissance des crimes coloniaux ? 

Jean Omasombo : Avec le mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis, on a abordé la question du déboulonnement les statues, notamment de Léopold II. Il y a eu une forme de panique, et c'est à ce moment que le roi a fait un pas. Pour anticiper, pour trouver une stratégie pour faire passer l'orage. C'est comme si la Belgique, à travers son souverain, découvrait à ce moment là les méfaits de la colonisation. 

Et depuis, on a mis en place une commission parlementaire sur le passé colonial. Depuis quelques mois, on dit que la Belgique devra restituer un certain nombre d'objets dont l'origine est encore floue. On suit un modèle : parce que la France l'a fait avec le Bénin et quelques pays africains.

TV5MONDE : Comment évoluent les travaux de cette commission ? Quels débats soulèvent-ils ? 

Jean Omasombo : Au début de l’année, un premier rapport a été rendu public. C'est un texte de travail d'à peu près 500 pages, qui n'est pas encore fini, pour montrer que l’étude évolue. Mais le Parlement et la Commission rencontrent des difficultés sur l'orientation à donner à ce travail. Parce que pour certains, il s'agit de présenter les bienfaits et les méfaits de la colonisation. Les bienfaits, c'est à dire la création de routes, d’hôpitaux, d’écoles,… Mais il faut se rappeler : À qui ont servi ces routes, ces hôpitaux ? 

Il existe toujours un discours affirmant aux Congolais : "On vous a laissé un grand pays. Aujourd'hui, c'est un grand pays avec beaucoup de richesses. Ça, c'est la création de Léopold II." Et d'ailleurs, dans le discours du roi à Kinshasa, il a semblé mettre l'accent sur cet élément. 

Comme son oncle Baudouin, le 30 juin 1960, lors de la proclamation de l'indépendance, qui a loué très lourdement la colonisation. Cette fois-ci, dans son discours, le roi se réfère de manière assez subtile au Congo, vaste pays « qui est notre création ensemble et dont Lumumba lui-même mettait l'accent sur l'importance de l’unité ». Ça reste dans l’héritage d’un certain discours autour de la colonisation, qui aurait quand même laissé une œuvre importante.

(Re)voir : Philippe de Belgique en RDC : "La population congolaise attend plus que des regrets"

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TV5MONDE : Selon vous, ces démonstrations sont encore insuffisantes. Quelles voies pourraient emprunter les autorités belges pour affronter plus frontalement ces questions ? 

Jean Omasombo : Au niveau de la compensation financière, la Belgique ne sera jamais capable aujourd'hui de payer, je ne sais combien de milliards, pour 10 millions de morts.

Pour moi, il s’agit d’abord la connaissance de l’histoire. On ne doit pas effacer la colonisation. Notre travail est d'approcher le vécu de la colonisation pour mieux le comprendre, pour comprendre ce qui s'est passé afin que cela ne puisse plus se reproduire. Parce qu’aujourd'hui, le Congo continue de rester d'abord un espace qui n'a pas assez de mémoire. Il n’y a presque pas d’archives. 

Par ailleurs, on a voulu occulter l'affaire Lumumba. Il a fallu la pression des études et des années pour qu'on arrive à la reconnaître. Il faut d’abord qu'on apprenne à regarder en face cette réalité qu'on ne doit pas édulcorer ou éluder.

Lundi prochain, la Belgique va remettre à la famille la dent de Lumumba. Le roi n'y a pas fait allusion. Il n’y a pas encore eu de jugement : les enfants de Lumumba ont porté plainte, mais il n'y a pas de procès. Jusque-là, la Belgique ne s'était pas prononcé. On va remettre la dent sans que ce procès nécessaire ne soit mené.

On semble reconnaître aujourd'hui qu'il y a un gros problème, lié à la colonisation. Mais comment traiter ce problème ? On cherche des astuces pour le contourner à l’amiable, sans se plonger dans ses racines.

(Re)voir : RDC : le roi des Belges entame une visite hautement symbolique

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TV5MONDE : Que représente la restitution de cette dent, seule relique du corps de l’homme politique assassiné en 1961 ?

Jean Omasombo : La question de la dent de Lumumba est fondamentale. Lumumba a fait l’identité du Congo, par ses discours, par son action, par son engagement. 

Or il n'a pas de tombe, ou de corps retrouvé. Le retour de la dent, c'est la construction de l'identité du Congo, comme nation appartenant aux Congolais. Pour que le Congo redevienne la propriété des Congolais. Symboliquement, c'est un élément important.
 

C'est comme si la Belgique, à travers son souverain, découvrait à ce moment là les méfaits de la colonisation. Jean Omasombo.

TV5MONDE : En ce qui concerne la restitution des objets d’art, est-ce une étape importante pour les Congolais ?

Jean Omasombo : Lorsque le président Mobutu a prononcé son premier discours aux Nations unies en 1973, il a insisté en disant que ces œuvres d’art pillées n’étaient pas des matières premières. Ce n'est pas à mettre au même niveau que l'or, le diamant ou le cuivre. Mais Mobutu réclamait quand même la restitution, parce que sans elles, nous nous retrouvons à être un peuple sans mémoire, sans références culturelles. 

Lorsque le Premier ministre congolais est venu en Belgique, on l'a amené au Musée Royal pour dire que la Belgique allait restituer des oeuvre. Aujourd’hui, c’est déjà un pas positif, que le roi amène un masque kakuungu.

Mais certains Congolais critiquent, il y a par exemple des caricatures qui circulent interpellant le roi : « À quoi ça sert de nous ramener ça, où est l’or ? C’est tout ce que tu nous rends ? Et tu as oublié la statue de ton arrière arrière grand-oncle ». D’autant plus que la crise congolaise dure depuis des années. « Le roi ne nous amène qu’un masque, alors que les Blancs ont beaucoup volé ». Pour une bonne partie de l’opinion, c’est ça le discours.

(Re)voir : RDC : "Après les regrets, cette visite du roi des Belges doit être celle des excuses"

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C’est quelque chose symboliquement, mais on aurait souhaité au Congo que le geste soit beaucoup plus fort. On reste davantage dans le formel. Certains pensent que cela commence réellement, mais pour l’instant ça ne va pas très loin. Donc je dirais que c'est mitigé. Ce n’est ni rien, ni une grande victoire.