C'est une vaste enquête destinée à examiner et explorer les informations contenues dans des dizaines de millions de fichiers fuitées lors des récents scandales d'évasion fiscale : Offshore Leaks, Swiss Leaks, Panama Papers et Paradise Papers. La cible : les pays d'Afrique de l'Ouest. A la manette : le Consortium international des journalistes d'investigation (CIJI) et 13 journalistes originaires de 11 pays de la région. Résultat : des millions de dollars des nations d'Afrique de l'Ouest sont détournés via des paradis fiscaux offshore.
Selon ce rapport réalisé à la demande de la Conférence des ministres de l’économie et des finances de l’Union africaine et de la Conférence des ministres africains de la CEA - Commission économique pour l'Afrique -, environ 50 milliards de dollars de capitaux sortent chaque année du continent de manière illicite, sans laisser de trace. L'Afrique de l'Ouest représente plus d'un tiers de ces 50 milliards de dollars, soit 43 milliards d'euros ainsi "défiscalisés". Sans compter que ce montant représente trois à dix fois le montant des aides étrangères reçus par le continent...
L'enquête menée par l'ICIJ en collaboration avec la Cellule Norbert Zongo pour le Journalisme d’Investigation en Afrique de l’Ouest, met à jour des malversations et des détournements fiscaux dans divers pays d'Afrique de l'Ouest qui touchent aussi bien des compagnies privées que des individus, dont certains proches des gouvernants passés et actuels. Voici certains dossiers dévoilés dans les pays francophones d'Afrique de l'Ouest, basés sur l'enquête du Consortium.Selon l'enquête de l'ICIJ, Hamadoun Touré, homme politique, candidat à l'élection présidentielle malienne et ex-responsable onusien, est détenteur d’une société offshore immatriculée aux Seychelles à partir de Dubaï. La création de 7Star holdings Limited a été facilitée par le bureau seychellois du cabinet panaméen Mossack Fonseca.
Spécialisée dans la technologie de télévision payante numérique, le 7Star holdings est, selon les documents Panama papers, gérée par procuration et immatriculée avec l’adresse suisse du Dr Hamadoun Touré, du temps où ce dernier était secrétaire général de l’Union internationale des Télécommunications (UIT) entre 2007 et 2014, avec résidence à Genève. M. Touré est, selon les documents examinés, le seul actionnaire. Mais l’administration de la société est déléguée à ses proches, dont Coumba Diawara Touré, son épouse et Fatima Touré, sa fille.
Interrogé par le journaliste David Dembélé, Hamadoun Touré a déclaré que "sa société n’a pas fait de transaction financière car ne disposant pas de compte bancaire" et qu'"elle n'existait plus". Les documents montrent pourtant des liens entre l'homme politique, le bureau de Mossack Fonseca à Dubaï, via un cabinet d'avocat canadien, Helene Mathieu legal consultants.
"Nous sommes au quartier Saga, sur le site qui doit abriter le nouvel abattoir frigorifique de Niamey. Les travaux ont été lancés, il y a plus de neuf ans, le vendredi 10 avril 2009 par le président d’alors, Mamadou Tandja, et devaient durer 19 mois. Mais, en lieu et place d’une infrastructure, "la première du genre dans l'espace CEDEAO", c’est un terrain broussailleux, difficile d’accès à cause d’un gros ravin, où s’entassent ferraille, tuyaux et charpentes, usés par le soleil ardent du Sahel, qui accueille le visiteur en ce mois de mai 2018."
C'est par ces phrases que démarre l'enquête du journaliste Moussa Aksar du journal L'Evénement, sur cet abattoir fantôme et du "marché de gré à gré d’un coût total hors taxes de 16 milliards de FCFA", "attribué par le régime de Tandja à Agriculture Africa", une société australienne créée deux mois avant l'attribution du marché justement et installée à Tortola, capitale des Iles Vierges Britanniques, un paradis fiscal reconnu.
En fouillant dans les documents des Offshore Leaks, le journaliste a ainsi découvert que malgré un appel d'offres conséquent, le marché de cet abattoir a été donné à une société offshore qui n'avait aucune expérience en la matière, malgré les dires des responsables politiques nigériens de l'époque.
Une fois le contrat signé entre Issiad Ag Kato, alors ministre de l'Elevage et des Industries Animales du Niger, et Bryan Rowe, président d’Agriculture Africa, il s'avère que l'Etat nigérien - qui devait pourtant financer l'abattoir sur ses fonds propres - n'est actionnaire qu'à hauteur de 49%, les 51% restants allant à Agriculture Africa. Sans compter que "le financement dont il (Etat du Niger) disposait au moment du projet a été perdu lorsque le coup d'Etat a eu lieu", affirme Bryan Rowe, le président d'Agriculture Africa.
Cela fait 17 ans qu'il est le maire du Plateau, le centre des affaires d'Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire : Noël Honoré Charles Akossi Bendjo, secrétaire exécutif du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, parti membre de la coalition RHDP au pouvoir) et proche collaborateur d’Henri Konan Bédié, le président du PDCI et ex-chef de l’Etat.
Depuis 2011 et jusqu'au 1er mars 2018, M. Bendjo, ingénieur de formation, était aussi président du Conseil d’administration de la Société ivoirienne de raffinage (SIR), qui assure depuis 1962 le raffinage du pétrole brut et la distribution de produits pétroliers en Côte d'Ivoire. Une société que M. Bendjo connaît très bien, puisqu'il y a fait carrière dans les années 1980 et 1990, avant d'en être nommé le directeur général en 1997.
Or, selon l'enquête West Africa Leaks, c'est en 1997 justement que M. Bendjo a décidé de créer une société dans un paradis fiscal, les Bahamas, et "pour ne pas apparaitre officiellement comme le propriétaire, il a mis en place un montage opaque et de dissimulation, avec l’aide du cabinet d’avocat Mossack Fonseca, spécialisée dans la création de sociétés offshores". Ainsi naît la Benath Company Limited avec un capital de 3 millions francs CFA, qui a, selon l'enquête, fait activement de la prospection en Côte d'Ivoire, en détenant notamment les actions d'une autre société, Klenzi distribution (capital de 700 millions francs CFA), spécialisée aussi... dans la distribution de produits pétroliers.
Interrogé par le journaliste Anderson Diédri, Noël Honoré Charles Akossi Bendjo se défend en estimant qu'"il n’y a pas d’évasion fiscale. Il n’y a pas de bénéfice qui a été distribué. La société n’a pas fait de bénéfices". Et au journaliste de s'interroger alors : "pour une société qui n’a pas rapporté de l’argent à ses actionnaires, pourquoi avoir utilisé un montage opaque et une société écran avec l’aide d’un cabinet d’avocats basé dans un paradis fiscal ?"
Selon une enquête menée par Bénin Web TV, Jean-Luc Tchifteyan, ex-conseiller du commerce extérieur de la France au Bénin et directeur général de l’hypermarché Erévan, a, lui aussi, utilisé les services du cabinet Mossack Fonseca du Panama pour créer des ramifications offshores avec certains de ses fournisseurs.
Selon des documents confidentiels révélés par les Panama Papers, il a ainsi utilisé la société offshore, Wagner Corporation, dont il est l’unique ayant droit économique, pour encaisser des commissions liées aux activités de l’hypermarché Erévan, bien connu au Bénin pour son centre commercial.
Selon les inspecteurs des impôts du Bénin, cette pratique, contraire aux dispositions fiscales en vigueur dans le pays, dénote de la fraude fiscale. "Par cette pratique, la société peut augmenter artificiellement ses charges d’exploitation dans le but de réduire ses marges bénéficiaires imposables", a répondu l'administration fiscale béninoise au journaliste Ignace Sossou qui a mené cette investigation. Jean Luc Tchifteyan n'a pas souhaité répondre aux questions des journalistes de Bénin Web TV et de l'ICIJ.