Ouganda 1989. Un jeune insurgé acholi guidé par des esprits, Joseph Kony, forme un nouveau mouvement rebelle contre le pouvoir central, « l’Armée de Résistance du Seigneur ». Au fil des ans, la LRA se développe en enlevant des adolescents – plus de 60 000 en 25 ans – dont moins de la moitié sont ressortis vivants du « bush ». Le journaliste et romancier Jonathan Littell a recueilli leurs témoignages dans un documentaire, à la fois sobre et puissant, intitulé "Wrong Elements".
Tourné par le prix Goncourt 2006, le romancier et journaliste franco-américain Jonathan Littell, le documentaire "Wrong Elements" (sortie en salles mercredi en France) se penche sur le sort d'ex-enfants soldats de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA). Pour son premier film, présenté hors compétition au dernier Festival de Cannes, l'auteur des "Bienveillantes" suit plusieurs jeunes ougandais, enlevés par la LRA alors qu'ils étaient encore enfants ou adolescents, pour devenir des soldats de la milice menée par le chef de guerre ougandais Joseph Kony.
En marge de la sortie de son documentaire, Jonathan Littell a lancé une campagne de récolte de fonds pour les enfants et adolescents victimes de la LRA:
"Un avenir pour les anciens enfants-soldats" via Kisskissbankbank, avec pour objectif d'atteindre la somme de 10.000 euros.
Créée dans la deuxième moitié des années 80, la LRA, en rébellion contre le gouvernement de l'Ouganda, a tué plus de 100.000 personnes et enlevé plus de 60.000 enfants, selon l'ONU. Parmi eux, Littell a rencontré Geofrey, Mike, Nighty et Lapisa : enlevés à 12 ou 13 ans et forcés à combattre dans les rangs de la LRA, ils tentent aujourd'hui de se reconstruire, de retrouver une vie normale, et reviennent sur les lieux qui ont marqué leur enfance volée. À la fois victimes et bourreaux, témoins et acteurs d’exactions qui les dépassent, ils sont toujours les “Wrong Elements” que la société a du mal à accepter...
Pourquoi un documentaire sur la LRA?
"J'avais déjà fait deux reportages pour Le Monde Magazine sur la LRA en 2010 et 2011, donc c'est un sujet que je connaissais déjà assez bien et qui continuait à m'intéresser. Quand il y a eu l'idée de faire un documentaire, je me suis assez naturellement focalisé sur ça", expliquait Jonathan Littell à l'AFP à Cannes. "Il y a eu un énorme travail de préparation, j'ai beaucoup travaillé avec des chercheurs", a poursuivi l'auteur, qui a passé au total un an sur ce film, dont deux mois de repérages et autant de tournage, pour aboutir à "120 heures de rushs, donc une très grosse matière".
Le cinéaste dit avoir recherché "une forme très construite, très travaillée", pour rendre au plus près les émotions des personnages et leur environnement. Le choix du cadre 4/3 suit la même logique, explique-t-il dans la note d'intention du documentaire, afin de mettre les paysages en scène comme des tableaux, recréant le sentiment d'enfermement que donne cette vision bornée par un mur d'arbres ou de hautes herbes."
Un documentaire sobre et en retrait
Composé de séquences souvent longues, "Wrong Elements" alterne les témoignages de ces jeunes face caméra et des moments où le réalisateur les fait revenir sur les lieux où ils sont allés avec la LRA, en particulier l'ex-base du mouvement à Djebelin, au Soudan du Sud. "Là, je me suis vraiment inspiré de la tradition des films de mémoire", dans la lignée de "Shoah" de Claude Lanzmann, "S21, la machine de mort khmère rouge" de Rithy Panh ou "The Act of Killing" de Joshua Oppenheimer, explique Jonathan Littell.
A travers les souvenirs de ces jeunes, qui racontent, tantôt bouleversés, tantôt en riant, leur vie dans la brousse, la façon dont ils ont appris à tuer, les entraînements, les viols et les exécutions, le réalisateur les montre dans leur complexité. "Ce qui m'intéresse, ce sont les fonctionnements humains, le côté universel", explique-t-il. Dans la note d'intention de son documentaire, l'auteur s'interroge notamment sur la notion de "bourreau", de "crime" et de "tueur" : "que devient le concept de faute, de responsabilité, quand l'exécutant, enlevé enfant, devient, à l'intérieur du seul système de référence qu'on lui laisse un tueur volontaire?"
"Pour la génération d'enfants enlevés par Daech, la question sera la même, pour longtemps, comme elle l'a été autrefois pour les enfants enlevés par le régime nazi, stalinien ou maoiste ou khmer ; ce n'est pas un problème africain, loin de là."
Jonathan Littell - Note d'intention du documentaire "Wrong Elements"
Les derniers soldats de la LRA...
Le journaliste et documentariste franco-américain suit aussi l'ancien chef de guerre Dominic Ongwen, lui-même ex-enfant soldat, actuellement jugé par la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, lors de sa reddition aux forces spéciales américaines en janvier 2015 en Centrafrique. Embarqué avec les soldats de l'armée ougandaise (UPDF), Jonathan Littell suit aussi la traque, dans l’immense forêt centrafricaine, des derniers rebelles de la LRA dispersés dans la région.
Tour à tour chassé de l'Ouganda, du Soudan puis de la RDC, Joseph Kony s'est réfugié depuis 2013 dans l'enclave de Kafia Kingi, une zone contestée à la frontière du Soudan et de la RCA., Les troupes ougandaises aidées des forces spéciales américaines ont à maintes reprises tenté de l'y surprendre. Sans succès. A chaque fois, le chef d ela LRA a réussi à s'enfuir. Aujourd'hui, malgré les patrouilles incessantes dans la jungle et les millions de dollars dépensés, il court toujours...