Zimbabwe : Mugabe fête son anniversaire

Robert Mugabe fête ses 90 ans, mais la population, elle, n’est pas à la fête : chômage record, faible espérance de vie, répression quotidienne. Le plus vieux dirigeant africain du monde, qui continue de tenir son pays d’une main de fer, reste interdit de visite sur le sol européen. Et il ne semble pas prêt de prendre sa retraite.
Image
Zimbabwe  : Mugabe fête son anniversaire
Robert Mugabe, 90 ans
Partager5 minutes de lecture
Ne pas contredire Surtout ne pas le fâcher, ne pas le contredire, mais bien au contraire, abonder dans son sens. Toujours. Sinon ? Eh bien sinon, gare à vous ! Condoleeza Rice, l’ancienne secrétaire d’État américaine s’est vue traiter de “petite esclave”.  Robert Mugabe estimait qu’elle servait son maître blanc (Georges Bush ndlr) avec une parfaite soumission. Autre victime de ces dérapages plus ou moins contrôlés, la diplomate sud-africaine Lindiwe Zulu. Essayant de faire revenir Robert Mugabe sur sa décision d’imposer une date pour des élections, et cela malgré l’accord conclu avec l’opposition, la diplomate s’est vue  qualifier de “femme des rues stupide et idiote”. Le Guardian, qui rapporte les faits, cite également Grace Mugabe, sa femme, quarante ans plus jeune que lui, surnommée “la dépensière en chef” et qui n’hésite pas à qualifier Morgan Tsvangirai de “laid”, “comme si les élections étaient un concours de beauté,” s’étonne le journal. Et attention, dans les rues de Harare, la capitale, la police veille au grain. Et n’hésite pas à faire du zèle. On ne touche pas à l’image du président. Toute personne surprise (ou aimablement dénoncée), qui se serait rendue coupable d'une simple blague sur Son Excellence se voit aussitôt arrêtée et conduite devant les tribunaux.
Zimbabwe  : Mugabe fête son anniversaire
Une affiche lors de la dernière élection présidentielle, en juillet 2013 (photo AFP)
25000 % d'inflation Tout cela  prêterait plus ou moins à sourire s’il n’y avait la situation économique de ce pays de 13 millions d’habitants, et où l’espérance de vie ne dépasse pas, selon les chiffres de la Banque Mondiale, 56 ans (contre 43 ans en 2002). Il y a quelques années,  l’ancienne colonie britannique comptait 25 000 % d'inflation annuelle. Aujourd’hui, on estime que 90 % de la population est au chômage. Le lancement, en 2000, de la réforme sur la redistribution des terres au Zimbabwe, s'est traduite par l'expulsion de 93 % des 4500 fermiers blancs. Inexpérimentés, ceux qui ont pris les commandes peinent, toujours, depuis, à optimiser les récoltes du tabac, la principale culture d’exportation du pays. Le groupe de la Banque africaine de Développement ne fait pas dans la métaphore pour évoquer les perspectives économiques du pays. Il note dans son dernier rapport : "Les principales difficultés qui entravent la pratique des affaires sont l’instabilité politique, le manque de financement, la corruption, la lourdeur excessive et le mauvais fonctionnement des administrations publiques, et l’inadéquation des infrastructures." Une éclaircie cependant : l'Union européenne, qui vient de suspendre la plupart des sanctions frappant encore le Zimbabwe, (elles étaient en vigueur depuis 2002 en réponse aux violations des droits de l’Homme dans le pays). Mais ces sanctions continuent cependant de toucher le président Robert Mugabe et son épouse qui restent persona non grata en Europe. Un geste qualifié de "non événement" par l'intéressé.
Zimbabwe  : Mugabe fête son anniversaire
Robert Mugabe et sa femme Grace
Le héros à la main lourde Né le 21 février 1924 dans la mission catholique de Kutama, Mugabe est un brillant élève qui  collectionne sept diplômes universitaires, dont un master en droit obtenu en prison. Marxiste aux premières heures, il  découvre la politique à l'université de Fort Hare, la seule ouverte aux Noirs dans l'Afrique du Sud de l'apartheid, où il a rencontré nombre des futurs dirigeants de la région. Son métier, l'enseignement, le mène en Rhodésie du Nord (la Zambie actuelle), puis au Ghana fraîchement indépendant, dont le président panafricaniste Kwame Nkrumah exerce sur lui une profonde influence. Son aura, le vieux chef la tient encore de son engagement, très jeune, pour les indépendances en Afrique. Et de ses années de prison, entre 1964 et 1974. Le Zimbabwe, qui s'appelle alors la Rhodésie du Sud, est une colonie britannique dont la minorité blanche, en rébellion contre Londres, va bientôt, en 1965, proclamer unilatéralement son indépendance, instaurant un système ségrégationniste. Mugabe a 40 ans. Libéré au bout de dix ans après avoir passé plusieurs diplômes en prison, le militant trouve refuge au Mozambique d'où il prend la tête d'une guérilla. En 1980, l'accession à l'indépendance et ses efforts en faveur d'une réconciliation avec les anciens dirigeants rhodésiens blancs lui valent l'acclamation des foules dans son pays, et une admiration sans borne à l'étranger. On encense alors ses réussites - réelles -, ses programmes de construction d'écoles, d'établissements de santé et de nouveaux logements pour la majorité noire auparavant marginalisée. Pourtant, ce héros africain a la main lourde avec ses opposants. Une brutale répression s'abat dès 1982 sur la province du Matabeleland, terre des Ndebele acquise à son adversaire Joshua Nkomo. Le bilan des massacres est de 10 000 à 20 000 morts. On le compare à Hitler. Il s'en moque. On lui reproche sa législation homophobe, il traite les homosexuels de "pires que des chiens ou des cochons".                
Zimbabwe  : Mugabe fête son anniversaire
Robert Mugabe, au pouvoir jusqu'à 99 ans ?
99 ans Mugabe explique sa longévité par "la volonté de Dieu". Il rappelle l'objectif de son gouvernement, qui cherche à faire céder aux entreprises étrangères la majorité de leurs parts à des Zimbabwéens noirs dans le cadre de l'"indigénisation" de l'économie. On le dit atteint d'un cancer de la prostate. Il s'en moque. Jamais les spéculations sur sa santé n'ont été confirmées. Et lui-même explique ses fréquents bilans médicaux à Singapour par le traitement d'une cataracte. Il confie : "Je ne sais pas comment j'ai vécu aussi longtemps. C'est la volonté de Dieu". Et malgré une politique économique qui a ruiné le Zimbabwe, il a été réélu en 2013 pour un nouveau mandat de cinq ans. Ses adversaires, confortés par certains observateurs indépendants, assurent qu'il a triché. Robert Mugabé hausse les épaules. Il a fait voter après les élections une nouvelle constitution qui pourrait lui permettre de rester au pouvoir jusqu'à... 99 ans. Robert Mugabé, ou le pouvoir jusqu'à la mort.