L’ancienne vice-présidente du Zimbabwe, Joice Mujuru, vient de créer son parti politique. Elle est désormais l’un des fers de lance de l’opposition à Robert Mugabe, qui vient tout juste de célébrer son 92e anniversaire.
C’est l’histoire d’un gros gâteau de 92 kg, qui a fait le tour du monde : le 27 février 2016, le fastueux anniversaire du président du Zimbabwe, Robert Mugabe (né le 21 février 1924), n’a échappé à personne. Comme l’année passée, un kilo de gâteau par année de vie a été servi aux 50 000 convives. Ajouté aux autres ingrédients de la fête (
lâcher de 92 ballons et abattage de 60 bêtes notamment), ce sont en tout 800 000 dollars qui ont été dépensés, d’après la presse locale.
Parmi les images qui ont circulé sur les réseaux sociaux,
celle de cette femme ramassant des miettes après la fête...
« Quand vous avez un chef qui dépense 800 000 dollars pour son anniversaire et que des milliers de gens n’ont rien à manger, vous vous demandez quel genre de père (de la nation) vous dirige », a réagi auprès de l’AFP Okay Machisa, président de l’Association des droits de l’Homme au Zimbabwe.
Catastrophe naturelle et forte sécheresse
Dans un pays
déclaré en état de catastrophe naturelle en raison d’une forte sécheresse (2015 a été l’année la plus sèche enregistrée depuis un siècle), un tel festin fait désordre. 2,44 millions de personnes, soit le quart de la population, se trouvent en situation d’insécurité alimentaire, selon les propres estimations du ministre des Gouvernements locaux et des Travaux publics, Saviour Kasukuwere. D’après lui, 16 000 vaches sont déjà mortes du fait de la sécheresse, et 75 % des récoltes ravagées. Ce à quoi s’ajoute le fait que les réservoirs d’eau du pays sont à moitié vide… Désormais, le Zimbabwe, ancien grenier à blé de l’Afrique australe, doit importer sa nourriture.
Alors, le 23 février, à quelques jours des festivités, des membres de la ligue des jeunes du principal parti d’opposition (MDC, Mouvement pour le changement démocratique) sont descendus dans la rue pour protester, armés de pancartes et de slogans comme « pas d’anniversaire quand les enfants meurent de faim », ou « nous voulons des emplois, pas une fiesta ». Pour cause, au Zimbabwe,
le taux de chômage des adultes s’élève à 86 % (chiffre 2012), et seuls 11 % des Zimbabwéens en âge de travailler son employés par l’économie formelle.
Cerise sur le gâteau pour les détracteurs de la fête, la veille (26 février), Kindness Paradza, qui est à la tête de la commission parlementaire des Affaires étrangères, annonçait le don de 300 vaches à la Fondation de l’Union africaine « suite à une promesse que Robert Mugabe avait faite l’année dernière lorsqu’il était président de l’U.A. ». Cela dans l’objectif de favoriser l’indépendance économique de l’institution.
« Nous sommes le peuple d’abord », nouveau parti
C’est dans ce contexte que Joice Mujuru, populaire ancienne vice-présidente du pays, a officiellement lancé son parti d’opposition ce mardi 1
er mars (elle en avait déjà fait l’annonce une dizaine de jours plus tôt). Son nom : « Nous sommes le peuple d’abord » (« We are the people first »). Son objectif : ne pas être le « parti d’une femme. Il s’agit d’un parti où le peuple est au centre du pouvoir », a-t-elle assuré lors d’une conférence de presse. Elle a déclaré à cette occasion : « Nous vivons dans un système injuste. Il faut absolument mettre fin au fléau de la corruption. » Déjà en septembre,
elle avait publié un manifeste préconisant de revenir sur certaines lois phares de Robert Mugabe. Par exemple : les mesures d’indigénisation qui imposent que la majorité des parts des entreprises soient détenues par des Zimbabwéens. Une mesure réputée représenter un obstacle majeur pour les investissements étrangers.
Joice Mujuru ne s’est pas toujours située dans l’opposition à Robert Mugabe : elle a occupé des postes ministériels dans tous les gouvernements depuis l’indépendance de 1980. Mais à la fin 2014, alors qu’elle était vice-présidente, elle a été évincée à l’occasion d’une purge, ainsi que certains de ses soutiens. Elle était jusque-là considérée comme l’une des favorites pour succéder à Robert Mugabe. Elle a également été éjectée du parti au pouvoir, la Zanu-PF (pour Union nationale africaine du Zimbabwe - Front patriotique), car soupçonnée de comploter contre le président. Une accusation qu’elle a toujours rejetée. Elle l’a encore fait lors de la conférence de presse du 1
er mars, assénant : « Je jure devant vous que je ne suis ni une sorcière, ni un assassin ».
Parmi les personnes ayant appuyé ces accusations : Grace Mugabe, la « jeune » épouse du président (elle est de 41 ans sa cadette). Aujourd’hui à la tête de la ligue des femmes de la Zanu-PF mais guère appréciée des habitants du pays, elle fait partie des prétendants à la succession de Robert Mugabe. L’actuel vice-président, Emmerson Mnangagwa, se verrait lui aussi à sa place.
La création de ce nouveau parti par Joice Mujuru pourrait déboucher sur la mise en place d’une coalition.
Selon RFI, des échanges sont en cours avec le MDC de Morgan Tsvangirai.
Ces tractations se déroulent alors que Robert Mugabe, doyen mondial des chefs d’État et en poste depuis maintenant 29 ans (il a été élu en 1987, alors qu’il était Premier ministre depuis l’indépendance en 1980), est d’ores et déjà le candidat de la Zanu-PF pour les prochaines élections… de 2018. Qu’à cela ne tienne : il a un jour déclaré sur le ton de la boutade pouvoir gouverner jusqu’à l’âge de cent ans…