A l'origine de cette formidable aventure journalistique française, deux hommes : Maurice Maréchal et H. P. Gassier.

Sa femme, la journaliste Jeanne Maréchal, est aussi de l'aventure. Au décès de son mari, en 1942, et parce qu'elle possède 54,1 % des actions, elle prendra le contrôle de la société éditrice. Aujourd'hui, le capital est détenu à 100 % par l'équipe du Canard.
Henri-Paul Gassier, lui, est un Marseillais né à Paris. Fils d'un représentant de tissus, le jeune homme ne vit que pour le dessin, et particulièrement pour la caricature. Il collabore en 1908 à l'Humanité, créée par Jean Jaurès. Son sens du contact et son talent de conteur font qu'il est rapidement adopté par la faune artistico-bohème de Montmartre.
Le journaliste et écrivain Roland Dorgelès écrit au sujet de son ami : "Les bras fluets, les épaules basses, la barbiche chétive et un binocle de bureaucrate au bout du nez, il paraissait inoffensif, mais armé de son crayon, cela changeait."
La détestation du mensonge

La naissance du Canard est la conséquence d'une réaction quasi-chimique contre le bourrage de crânes que distillent les "grands journaux" d'alors où l'on trouve des pages truffées de fausses nouvelles, un patriotisme virulent teinté d'un chauvinisme éhonté...
Le ton de son premier édito donne le ton :
"Le Canard Enchaîné a décidé de rompre délibérément avec toutes les traditions journalistiques établies jusqu'à ce jour. C'est assez dire qu'il s'engage à ne publier, sous aucun prétexte, un article stratégique, diplomatique ou économique, quel qu'il soit. Enfin, le Canard Enchaîné prendra la liberté grande de n'insérer, après minutieuse vérification, que des nouvelles rigoureusement inexactes. Chacun sait, en effet, que la presse française, sans exception, ne communique à ses lecteurs, depuis le début de la guerre, que des nouvelles implacablement vraies."
Anasthasie, l'ennemie intime

Pas de publicité au Canard
Une interdiction inviolée depuis donc 100 ans.

Cette indépendance combinée de satire et cette honnêteté éditoriale infusée d'ironie payent.
Ses comptes, scrupuleusement publiés chaque année, font pâlir de jalousie nombre de confrères français.
L'affaire du Watergaffe
Bien entendu, le pouvoir a toujours rêvé de voler dans les plumes du Canard. Il enrage de ne pas savoir les sources de ses journalistes. En décembre 1973, les services secrets tentent d'installer des micros au sein de la rédaction. Pris sur le fait par un journaliste de la maison, le scandale, immense, sera baptisé "L'affaire des plombiers", ou Watergaffe.Comme à son habitude, le Canard tournera l'affaire en dérision. L'hebdomadaire, dans ses locaux, posera une plaque en hommage à Raymond Marcellin, ministre de l'Intérieur de l'époque.
Avec la mort de Cabu, le Canard touché au coeur
Le 7 janvier 2015, le dessinateur Cabu, parmi d'autres journalistes, tombe sous les balles des frères Kouachi lors de la conférence de rédaction de Charlie Hebdo,
“Toutes les semaines depuis trente ans, Cabu venait le mardi matin à l’atelier de composition, témoigne Louis-Marie Horeau, rédacteur en chef. Il dessinait pour coller aux articles de l‘édition. Ce mardi, quand nous étions à l’atelier, personne n’a osé s’asseoir sur la chaise de Cabu. La mort de Cabu représente pour le Canard un vide sidéral”.
En une du numéro suivant, en guise d'hommage, les lecteurs trouvent un auto-portrait de Cabu qui fait face à son célèbre personnage du beauf. Celui-ci tire son chapeau et porte un brassard "Je suis Charlie". L'hebdo fait dire à Cabu en gros titre : “Allez les gars, ne vous laissez pas abattre !”.
Dès le lendemain, le Canard reçoit des messages menaçants : "C’est votre tour”, promet l'un d'eux. Ils promettent également de “découper à la hache” les journalistes de l’hebdomadaire. Et pendant quelques temps, Le Canard Enchaîné bénéficiera d'une protection policière conséquente. Une première... et dernière, espère t-on au sein de la rédaction.
Le numéro 100, publié aujourd'hui, se déguste comme une pâtisserie. Au regard des scandales révélées et de l'implacable rigueur des enquêtes qui continuent de faire son succès, l'évidence s'impose : Le Canard Enchainé est un pilier de la démocratie française.

Les plus forts tirages du Canard
(F.V.)Janvier 2015 : D'abord tiré à 635 000 exemplaires, Le Canard Enchainé décide de tirer finalement son numéro du mercredi 14 janvier à 1 million d'exemplaires après les ventes massives de Charlie Hebdo (5 millions d'exemplaires).
Le 10 octobre 1979 (900 000 exemplaires) : Le Canard enchaîné révèle que des diamants de 30 carats d'une valeur de 1 million de francs auraient été remis, en 1973, à Valéry Giscard d'Estaing, alors ministre des Finances, par le président de la République centrafricaine, Jean Bédel Bokassa.
Le 19 septembre 1979 (778 000 exemplaires) : La publication de la feuille d'impôt de Marcel Dassault, ingénieur, homme politique et première fortune de France. Selon le document publié, Marcel Dassault ne s’attribue aucun salaire des entreprises aéronautiques qu’il détient, mais un revenu annuel de 54 millions de centimes au titre de... rédacteur en chef de Jours de France, un magazine féminin français qu'il possédait.
13 mai 1981 l'affaire Papon (1,2 million d'exemplaires) : L'hebdomadaire révèle des faits accablants concernant l'ancien ministre de Valéry Giscard d'Estaing, Maurice Papon.
Secrétaire général de la préfecture de Gironde entre 1942 et 1944, Maurice Papon aurait joué un rôle important dans la déportation de 1690 Juifs à Bordeaux. Le Canard enchaîné produit des documents signés prouvant son implication.