Il y a cent ans, le 13 novembre 1918, on enterrait Guillaume Apollinaire. Avec Il est grand temps de rallumer les étoiles, le compositeur Reinhardt Wagner lui rend un vibrant hommage musical.
"Je lègue à l'avenir l'histoire de Guillaume Apollinaire
Qui fut à la guerre et sut être partout
Dans les villes heureuses de l'arrière
Dans tout le reste de l'univers..."En écrivant
Merveille de la guerre, Guillaume Apollinaire songeait à son épitaphe.
Le poète décède le 9 novembre 1918, dans son appartement du boulevard Saint-Germain après avoir contracté la grippe espagnole.
Son dernier souffle est accompagné de cris hystériques. Sous sa fenêtre, la foule hurle «
A bas Guillaume ! ».
Il est question non pas du poète mais du Kaiser, Guillaume II, qui vient d' abdiquer. Etrange contraste qui, sans doute, n'aurait pas déplu au poète.
Prévenus de son décès par Jean Cocteau, ses amis arrivent à son domicile, accablés de chagrin. Dans la rue, des passants continuent de vociférer une joie irrépressible : «
A bas Guillaume ! »
Comment leur en vouloir ?
Paris est surexcité.
La France a gagné la guerre et n'en finit pas de fêter cette victoire acquise au prix de plus de 18 millions de morts. Voici enfin la paix et, avec elle, la promesse d'un bonheur que l'on veut croire durable.
Dans son édition du 11 novembre 1918,
Le Figaro évoque la disparition du poète naturalisé français depuis le 14 mars 1916.
"Poète d’une fantaisie violente et cruelle, inventeur d’images et de rythmes, prosateur né et d’une érudition puissante, Guillaume Apollinaire ouvrait des routes nouvelles et il inspirait, animait tout un groupe d’artistes. Sa mort est la perte la plus cruelle que la jeune littérature ait à pleurer depuis la guerre."
L'Action Française se souvient "qu'il donnait à la presse quotidienne et aux revues des contes, des chroniques, des notes d’une excellente prose traditionnelle, portant la marque d’un esprit précis ; enfin, à sa manière rare et parfois déroutante, il servait les Muses."
Mais il faut songer à l'enterrement.
Guillaume baissait les yeux devant sa mère
Il a lieu le 13 novembre 1918 à Paris, au cimetière du Père-
Lachaise, division 86.
Sa femme Jacqueline, épousée six mois plus tôt, est dévastée. Elle tient à peine debout.
La mère du poète est également présente.
C'est une femme dure, autoritaire, devant qui son fils baissait les yeux. Joueuse, bohème, fantasque, égoïste, elle n'a jamais réalisé qu'elle avait donné naissance à l’un des plus grands poètes français du début du XXe siècle.
Quelques heures avant la cérémonie, sans gêne ni pudeur, elle a demandé la pose de scellés sur l'appartement de son fils afin que Jacqueline ne puisse récupérer quoi que ce soit.
L'écrivain Blaise Cendrars, indigné, a fait intervenir un commissaire de police. Et les scellés ont été levés. Après tout, Jacqueline est désormais la veuve du poète.
Pablo Picasso, Max Jacob, Blaise Cendrars et Ferdinand Léger suivent le cerceuil. Le coeur gros, ils savent exactement quel être ils viennent de perdre. L'homme était délicieux. L'artiste immense, cosmique.
Il est grand temps de rallumer les étoiles
Le compositeur Reinhardt Wagner mûrissait un projet depuis plusieurs années, celui de rendre hommage au poète. Une suite de rencontres et une compilation d'enthousiasmes ont rendu la chose possible. Le parolier Frank Thomas, disparu en janvier 2017, fut le premier à "accrocher" à cette idée. Il écrivit une vingtaine de textes, mêlant Picasso à l'époque heureuse du Bateau-Lavoir.
Dans un festival de collisions poétiques et de connivences artistiques, il fit la part belle à Apollinaire et ses amis de l'époque (Max Jacob, André Salmon..). Reinhardt Wagner habilla le tout avec ses mélodies et cela donna
"Cabaret Picasso", monté il y a deux ans au Théâtre de Poche à Paris et qui rencontra un beau succès lors de la tournée qui suivit.
Sa réalisation aujourd'hui emprunte à ce
Cabaret Picasso, mais il a été entièrement refondu pour honorer le poète uniquement. Denis Lavant s'est greffé sur cette nouvelle aventure, rejoint bientôt par le peintre Jean Pol Franqueuil, sans oublier les actrices et chanteuses Héloïse Wagner et Emmanuelle Goizé.
Il est grand temps de rallumer les étoiles, titre de cette nouvelle aventure, est une phrase extraite du
Prologue dans
Les mamelles de Tirésias, ce drame "surréaliste" écrit par le poète en 1917.
"Guillaume", chanson extraite du spectacle "Il est grand temps de rallumer les étoiles" :
Picasso, Braque, Matisse, Max Jacob...
Les premières représentations viennent d'avoir lieu à l'Opéra de Montpellier. Le succès était au rendez-vous.
Il attend désormais la venue d'un producteur pour assurer une rentrée parisienne et, pourquoi pas, une tournée francophone.
"Apollinaire est un visionnaire, explique Reinhardt
. Il est au départ des mouvements de peinture moderne avec Picasso, Braque, Matisse, ami avec Max Jacob, Alfred Jarry... Ce qui me touche, c'est que son oeuvre résiste à la lecture, comme avec tous les grands créateurs. On les lit pour la première fois et on trouve cela formidable et ça résiste à la lecture. C'est-à-dire qu'il y a des choses qui peuvent paraître obscure et qui se révèlent avec le temps. J'aime moins les grands auteurs qui ont tout donné à la première écoute ou à la première lecture. Il y a cette phrase de Max Jacob : "Si bien écrit ! Si bien écrit qu'il n'en reste plus rien." Dans un même temps, Reinhardt Wagner publie un livre-disque du spectacle, où des chansons originales côtoient certains poèmes inoubliables et inoubliés.
Denis Lavant et Tania Torrens
Le mariage des textes de Frank Thomas et des poèmes de Guillaume Apollinaire s'avère des plus heureux "
Frank avait cette particularité d'être un parolier et un auteur. Et il faisait bien la distinction. Il se considérait à juste titre comme un auteur. Un parolier, c'est quelqu'un qui fait rîmer les choses. Il est incontestable que certaines chansons sont bien écrites, mais il ne suffit pas de prendre un dictionnaire de rimes et de faire rimer pour être un poète. Un poète, c'est l'image. Dans la chanson, il y en a peu qui sont des poètes. Léo Ferré est un poète..."Ce livre-disque, illustré avec talent et beaucoup d'inspiration par Sylvie Serprix est composé de 9 chansons de Frank Thomas et 5 de Guillaume Apollinaire. Il est porté par la voix rocailleuse et sensible de l'acteur Denis Lavant (Apollinaire) avec, en contrepoint, celle de Tania Torrens qui nous livre les repères biographiques du génial artiste disparu à 38 ans. Les mélodies de Reinhardt Wagner, cristallines, sont servies avec précision et enthousiasme par les voix d'Emmanuelle Goizé et d'Héloïse Wagner.
Un livre-disque à déguster tranquillement, comme un alcool rare, seul ou en famille, un dimanche de pluie ou au pied d'un sapin de Noël une nuit froide, histoire de réchauffer son coeur.
Il est grand temps de rallumer les étoiles
Sortie : 09/11/2018
Format: LIVRE-DISQUE
(68 pages)
REF : 10H26
23 euros.