2013, année test pour le cinéma francophone ?

« Cette année, c’est difficile. » La phrase revient souvent, presque chaque année, dans l’industrie du 7e art. Comme un leitmotiv. Et l’année 2013 ne fait pas exception. Pire, avec la crise de la dette qui pèse depuis trois ans sur l’ensemble de l’Europe, le cinéma, secteur de divertissement par excellence, plonge aussi dans la dépression. Alors 2013 Annus Horribilis, y compris pour le cinéma francophone ?
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2013, année test pour le cinéma francophone ?
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Pour prendre la température, il suffit de grimper à 2 000m pour interroger les professionnels du milieu présents cette semaine au Festival européen du cinéma des Arcs (14-21 décembre), dans les Alpes (en France). « On ne peut pas dire qu’aujourd’hui il soit très simple de financier un film », reconnaît Vincent Lannoo, dont le dernier film : Les âmes de papier, une comédie dramatique avec Stéphane Guillon, Jonathan Zaccaï, Julie Gayet et Pierre Richard, sort en salles en France le jour de Noël. « La crise du cinéma, elle, est réelle même pour les exploitants. Ils ont de mauvaises surprises tout le temps, du coup ils ont très peur de prendre des risques en choisissant des films un peu différents », poursuit le réalisateur belge. « En même temps, les gros trucs qu’on leur ramène, le public les boude, du coup, là où ils essaient un peu d’assurer leur arrières, ça ne marche pas toujours non plus. »

Tout est dit. Un secteur en plein doute, avec des financements de films difficiles, des acteurs indécis et inquiets, et un public volatile qui délaisse les salles. Depuis 2011, la situation du cinéma français s’est dégradée, avec une deuxième année consécutive de baisse du nombre d'entrées en salles. A peine 190 millions d'entrées entre décembre 2012 et novembre 2013, contre 210 millions entre décembre 2011 et novembre 2012, soit une baisse de près de 10%, selon les chiffres du CNC. Sans compter la chute des films français au box-office, qui représentent environ 33% des entrées, une contre-performance par rapport aux 43% de l’an passé.

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Festival des Arcs / Photo TV5MONDE-K.Barzegar
Cinéma américain

La faute revient semble-t-il à Hollywood qui a de nouveau le vent en poupe, avec 53% des entrées réalisées en France sur les onze derniers mois. Les grosses productions telles que Hunger Games : l’embrasement , Le Hobbit : la désolation de Smaug ou Gravity ont raflé des millions de spectateurs à travers le continent européen, y compris en France et en Belgique. « Il y a un nouveau raz-de-marée pour le moment du cinéma américain alors qu’il n’est pas au mieux de sa forme… Est-ce qu’on a pas à un moment voulu trop copier les films américains jusqu’à ce que les gens se disent "autant voir l’original que la copie" ? » s’interroge Vincent Lannoo.

Mais tout ne tient pas au box-office et à l’ombre jetée par le géant américain. L’inquiétude vient aussi du contexte économique et juridique du secteur, où la France et la Belgique jouent un rôle vital. Cette année, la France a dû s’engager dans un bras de fer avec l’Union européenne pour défendre son sacro-saint principe de l’exception culturelle, celui qui a justement permis au cinéma de l’Hexagone et au cinéma francophone, par extension, de prospérer. Pour la Commission européenne, les aides publiques au cinéma (subventions, crédits d’impôts) faussent la concurrence en Europe. Les vingt-sept tentent donc régulièrement de casser les règles nationales imposées par les États membres (dont la France). Des règles qui font dépendre les subventions de la réalisation à des conditions de territorialité.

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Vincent Lannoo au centre / Photo ©Pidz
Co-productions

Après le plombier polonais, la France tremble donc régulièrement devant l’arrivée potentielle de directeurs photo anglais, d’éclairagistes tchèques, de maquilleuses italiennes ou de décorateurs espagnols… Peur à laquelle s’ajoute la crainte d’une délocalisation, d’un départ massif des productions françaises vers d’autres contrées.

Récemment, le dispositif « tax shelter » belge, un système de crédit plus avantageux que le système français a ainsi attiré des productions françaises sur le territoire belge, avec des situations parfois absurdes comme celle de devoir recréer des décors parisiens… à Bruxelles ! Une mesure fiscale qui a suscité la grogne chez les techniciens français du cinéma, intermittents du spectacle. « C’est un faux problème. Si on prend les chiffres, on se rend compte que pour un million apporté par la France en Belgique, il y a en a trois qui sont apportés par la Belgique à l’industrie française », réplique Vincent Lannoo qui a tourné son dernier film à Paris, avec des acteurs français et belges. « Il y a une crise du cinéma, tout le monde a envie de se fermer un peu aux autres mais ce n’est évidemment pas la solution. Et surtout les francophones : il faut qu’on reste ensemble et unis. »

Unis face au géant américain mais aussi face à la libéralisation tous azimuts du secteur cinématographique. Car pour les professionnels du secteur, les subventions et les systèmes d’aide mis en place sont indispensables. « La France et la Belgique font peut-être partie des deux plus gros co-producteurs en Europe donc ce sont elles quand même qui font tourner la machine des co-productions », rappelle Frédéric Boyer, programmateur du Festival européen des Arcs, et ancien responsable de la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes. « Ces pays francophones produisent aussi des films qui ne sont pas francophones. Je pense que tout le monde en Europe se tient les coudes.»

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Les frères Larrieu / Photo TV5MONDE-K.Barzegar
Financements difficiles

Cultiver l’exception cinématographique et l’exporter, c’est aussi le souhait de nombreux jeunes réalisateurs. « Je trouve que le cinéma francophone a une vitalité qui est unique en Europe. Il offre tout le champ d’investigation du cinéma actuel : comédies populaires, films d’auteur, films documentaires. C’est sa grande richesse », confie Lionel Baier, réalisateur suisse des Grandes Ondes (à l’ouest), une comédie sur des journalistes couvrant la révolution des œillets au Portugal.

Malgré cela, les financements sont difficiles, y compris pour des réalisateurs connus comme les frères Larrieu, pourtant nommés à deux reprises au Festival de Cannes. « Les lignes bougent et elles sont obligées de bouger parce que cela devient très difficile et il y a des films -et nous on l’a vécu- qui au dernier moment ne se font pas… Le système qui a été mis en place dans les années 1980 est fini. Si le cinéma doit tenir uniquement sur deux chaînes de télé, en tout cas en France, cela ne sera pas possible », note Arnaud Larrieu, dont le dernier film L’amour est un crime parfait, réalisé avec son frère Jean-Marie Larrieu, sortira en France à la mi-janvier.

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Conférence au festival du cinéma européen des Arcs / Photo ©Pidz
Fiscalité

Reste aussi la nécessité pour les pays francophones, et plus largement les pays européens, de se doter de règles communes de fiscalité en matière de cinéma. Pour éviter la bataille des tournages, avec leurs conséquences économiques et sociales, les combats de crédits d’impôts et la guerre des subventions au secteur. Si le modèle d’exception culturelle français s’est imposé au fil du temps, il reste encore très fragile aujourd’hui…
« Chaque année, il y a la remise en cause de ce système qui est créé par les Français, mais qui produit une bonne partie de la filmographie de la francophonie donc il faut toujours être sur ses gardes », ajoute le réalisateur Lionel Baier. « Mais le cinéma francophone, lui, se porte plutôt bien. Ce n’est pas parce qu’il y a des années un peu plus faibles que le malade est prêt à défaillir. »
Certes, mais en 2014, le malade sera de nouveau ausculté, non pas par l’Union européenne cette fois, mais par la France elle-même. Depuis fin 2011, la Cour des comptes enquête sur la filière cinématographique française. Cette investigation sème déjà la polémique. Le rapport définitif est attendu pour fin mars 2014.