Il s'agit d'"une réplique au livre de Hitler", explique Christian Hartmann. Il a dirigé le projet de réédition critique de Mein Kampf, lancé en 2009 par l'Institut d'histoire contemporaine (IFZ) de Munich. Cette édition a été présentée à la presse ce vendredi 8 janvier en Allemagne. Vendue à 59 euros, elle comporte deux tomes de 1 948 pages accompagnées de 3 500 notes historiques explicatives.
C'est la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qu'est publiée une réédition de Mein Kampf (Mon combat) écrit par Adolf Hitler en 1924-1925. L'Etat régional de Bavière, détenteur de droits depuis 1945 s'y opposait bien que le livre n'était pas interdit et qu'il était possible de trouver en Allemagne comme ailleurs des éditions originales.
Même si depuis le 1er janvier 2016, les droits sont tombés dans le domaine public, les autorités allemandes veulent poursuivre en justice tous ceux qui éditeraient le texte tel quel.
Qui va lire cette somme que représente ce Mein Kampf annoté ? Et qu'est-ce que cela change une fois que les droits sont tombés dans le domaine public ?
Réponses avec le spécialiste de l'Allemagne Peter Schoettler, chercheur de l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) au CNRS. Il noua avait accordé un entretien sur le sujet en avril 2012 que nous publions à nouveau aujourd'hui.
Les Allemands voient-ils d’un œil critique cette réédition de Mein Kampf ?
Peter Schoettler : C’est une question qui se pose déjà depuis un certain temps étant donné que nombre de textes d’Hitler sont édités par des instituts de recherches, des universités et à de petits tirages très coûteux. Ils se trouvent en bibliothèques de recherche. Pour le grand public, il y a un problème juridique étant donné que les droits d’auteur sont détenus par l’Etat de Bavière (jusqu'au 1er janvier 2016, ndlr) et qu’il est interdit de le (plus précisément des écrits nazis, ndlr) publier en Allemagne.
On trouve cependant très facilement des exemplaires vendus en ligne…
Il est possible aussi de le trouver chez les bouquinistes en Allemagne. J’en avais acheté un à l’époque pour une cinquantaine d’euros. L’Etat de Bavière a laissé faire pour l’étranger sur des sites comme Amazon ou dans des librairies américaines qui ne sont pas des versions annotées. Des traductions de l’époque se trouvent dans le monde entier. Personne ne peut empêcher la publication de Mein Kampf dans une autre langue. Même l’Etat de Bavière ne peut pas l’interdire.
Qui va lire alors cette nouvelle édition annotée présentée ce vendredi 8 janvier ?
Ça va être un livre énorme que seuls les professionnels ou les journalistes vont lire. Je ne sais pas qui va l’acheter. Ça ne va rien changer par rapport à ce qui existe déjà sur internet. Par contre on aura des annotations critiques permettant de comprendre des allusions du texte intéressantes pour un historien. On pourra en apprendre plus sur la vie d’Hitler.
Pour certains passages de son existence, on n’est moins informé sur sa vie que sur celle de Napoléon. Sur les débuts du nazisme, il est important de savoir dans quelles conditions il a dicté ce livre en prison en 1923 après une tentative de coup d’Etat. Il a publié son livre en deux parties. Un autre avec plus de politique étrangère a aussi été publié après la guerre.
C’est une littérature de propagande, un programme de parti avec des éléments autobiographiques. Il a été tiré à des millions d'exemplaires pendant la guerre et souvent offert en cadeau. Les gens prétendaient ne l’avoir jamais lu. C’est un gros livre écrit dans un jargon qui nous paraît aujourd’hui imbuvable mais qui était habituel pour la presse de l’époque d’extrême droite. Adolf Hitler raconte sa vie et fustige les juifs, les communistes, les noirs. C’est un livre de haine que personne ne lirait si l’auteur n’était pas Hitler.
Existe-t-il d’autres publications d’ouvrages nazis ?
Finalement, Mein Kampf n’est pas le pire. Il y a des livres plus tardifs, publiés après la seconde guerre mondiale, bien pires d’un point de vue antisémite et qui appellent au génocide. Et il n’y a aucune barrière légale pour les publier. En Allemagne, la loi interdit la publication de livre de propagande nationale-socialiste.
Est-ce qu’on peut craindre un regain d’intérêt des néo-nazis pour l’idéologie d’Hitler avec cette parution ?
Ça va complètement démythifier Hitler. Je pense que les néo-nazis ne vont pas être intéressés par ça. Il y a vingt ans la publication de Mein Kampf aurait été un enjeu car il fallait passer par les bouquinistes, les antiquaires. Pour apprendre des choses sur lui, tout est déjà sur internet. Il n’y a qu’en Allemagne où le livre n’est pas officiellement accessible. La propagande et les textes nazis sont déjà diffusés. Ce qui est plus à craindre, c’est l’existence de groupes néo-nazis sur internet, ces mouvements d’extrême droite qui peuvent communiquer avec leurs bases de données au Canada ou aux États-Unis.
Les néo-nazis en Allemagne aujourd’hui ont beaucoup de points en commun avec l’extrême droite en Hongrie, en France. La continuité avec Hitler n’est qu’apparente. C’est du syncrétisme idéologique pour provoquer le bourgeois et le système.
Et en France ?
La première édition française de
Mein Kampf, en 1934, avait pour but d'informer le public français. Mais les nazis l'ont fait interdire à cause des paragraphes anti-français qui avaient été traduits : ils risquaient de provoquer les Français et leur dévoiler à l'avance ce qui allait leur arriver. Une autre édition a donc été publiée en 1939.
En 1979, une plainte est déposée par la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra). La Cour d’appel de Paris décide, dans l'arrêt du 11 juillet, d'autoriser la vente du livre compte tenu de son intérêt historique et documentaire. Seule condition : insérer huit pages d'avertissement en tête d'ouvrage pour mettre en garde le lecteur contre le contenu politique du livre.
Les
Nouvelles éditions latines sont toujours les seules à publier en France
Mein Kampf, dont elles affirment vendre entre 300 à 500 exemplaires par an.
Peut-on interdire la publication d'un livre en France ?