Ils sont décidément fous ces Belges ! Créer un musée dans une commune qualifiée de « nid de terroristes ». Et un musée d’art actuel, de surcroît… Et si l’idée était vraiment judicieuse ? Et si ce nouveau lieu de cultures urbaines contribuait à renouer avec le formidable potentiel d’un quartier où a longtemps battu le cœur industriel de Bruxelles ?
"Pour la première fois, le monde bourgeois de l’art appartient au peuple. Il s’agit d’en faire quelque chose." L’auteur de ces phrases ne manque pas d’air. Raphael Cruyt était jusqu’il y a peu galeriste. Avec trois comparses, il est l’heureux initiateur du Millenium Iconoclast Museum of Art.
Le MIMA a ouvert ses portes au printemps 2016, au bord du Canal de Bruxelles, à 10 minutes du centre ville. Il est installé dans l’ancienne Brasserie Belle-Vue. Celle-là même qui œuvre à la notoriété de la Gueuze, une bière au goût légèrement amer, et de la Kriek, au goût suave de cerise.
Objectif de l'endroit, qui vient s’ajouter au patrimoine artistique de la capitale de l’Europe : « déterrioraliser » les cultures. S’adresser à un public de « citoyens du monde » de plus en plus cosmopolite au gré de ses voyages « low cost » et désireux de partager ses pérégrinations et coups de cœur via les réseaux sociaux. Voire de multiplier ses identités sur Facebook…
Une culture 2.0, virale, décloisonnée
Créer un musée privé aujourd’hui, Raphael Cruyt, Alice van den Abeele et leurs amis producteurs Michel et Florence de Launoit en rêvaient. Ils l’ont réalisé.
Première étape : trouver des murs. Des brasseurs détenaient encore une partie de leur usine, soit 1300 m2 sur 4 étages, après en avoir cédé un bâtiment en 2013 pour l’hôtel Meininger. Avec l’engagement d’y favoriser un projet culturel. Quelques rencontres vont alors convaincre les protagonistes que les lieux ont le profil idéal pour faire vivre la ville, les villes à travers les arts. Et que la commune de Molenbeek ainsi que le « Plan canal » de réhabilitation qu’y orchestre la Région de Bruxelles Capitale offrent le cadre idéal.
« Charlots » des temps modernes
Une fois les lieux rénovés, le quatuor qui est à sa tête ne dispose que de moyens modestes pour imaginer une grande exposition de lancement. Qu’à cela ne tienne : ils proposent l’aventure à cinq artistes de Brooklyn qui sont amis, mais n’ont jamais travaillé ensemble. Leur envergure internationale ne freine en rien leur envie de s’approprier les imposants espaces vierges qui leur sont proposés et d’être excités à l’idée de contribuer à un événement aux allures de manifeste. De là à imaginer qu’ils vivront en direct, pendant leur séjour à Bruxelles, les attentats de l’aéroport de Zaventem et de la station de métro du Maelbeek, il y a un pas.
Le MIMA s’est ouvert avec « City Lights », référence à Charlie Chaplin, en bute à la solitude et au consumérisme d’une grande cité. Ici les cinq Charlots qui illuminent la ville s’appellent Momo, Swoon, Maya Hayuk et le duo Faile.
Mon premier est l’auteur du plus long tag du monde, à Manhattan. Il a réalisé une fresque monumentale pour Mons 2015. Ici il concilie une performance d’arabesques entrecroisées miraculeusement issue du décollage de bandelettes colorées sur un mur blanc (une vidéo permet de voir le processus de création/happening), une sculpture monumentale d’ellipses de bois et une création murale qui tient de la cinétique.
Mon second a investi tout le sous-sol du musée. Swoon, une street artist, travaille sur les découpages et les collages de papiers, qui se décomposent doucement au fil du temps. Ses mises en scène jouent sur la poésie de l’éphémère, sur le symbole et la mise en scène. Elle a traîné ses ciseaux dans les quartiers abritant des jeunes livrés à eux-même, mais aussi sur les rives d’Haïti où elle a vu les désastres causés par le tremblement de terre. D’où son engagement caritatif qui lui a fait créer une Fondation et imaginer la construction de radeaux rejoignant la Biennale de Venise en 2009, de quoi récolter des fonds pour la construction de maisons durables au profit des Haïtiens.
Mon troisième a fait d’un étage du MIMA, murs et fenêtres compris, une chapelle aux couleurs vives que la lumière vient transfigurer selon l’état du ciel et l’heure. Maya Hayuk est une habituée des peintures monumentales psychédéliques, après avoir exercé ses talents de photographe sur les scènes de punk rock. Ici elle a joué la carte de la sobriété solaire.
Quant à mes quatrième et cinquième, qui ont déjà notamment exposé à Time Square, ils ont détourné ici les « promesses » d’un temple tibétain de bois et de ses rouleaux à prières tournants pour y injecter quelques-uns des symboles du rêve américain et des vœux qui peuvent habiter les âmes populaires. Le duo Faile sait qu’un musée aime à jouer du « sacré ». Voilà qui est fait.
Le MIMA devrait proposer deux grandes expositions par an et enrichir, peu à peu, grâce à des mécènes, ses collections permanentes.
L’ancrage dans le quartier passera par une multitude d’activités qui assimilent la musique, le graffiti, le tatouage et même le sport : il est question de matchs de boxe et de « skateboard indoor ».
D’ores et déjà les filles du quartier poussent la porte des lieux. Davantage que les garçons. Mais Raphael Cruyt n’est pas inquiet. Il rappelle que Molenbeek a des points communs avec Manchester et que les combats sociaux qui y ont été menés en plein essor industriel continuent à bénéficier à tous. Voilà 10 ans qu’il habite cette commune bruxelloise, qu’il discute avec des travailleurs sociaux oeuvrant dans le quartier, qu’il voit les investisseurs s’y installer. Il est convaincu du formidable potentiel de ce quartier où l’on peut entendre 70 langues différentes.
"Les cinq artiste américains que nous accueillons actuellement me disent que Molenbeek leur fait furieusement penser à Brooklyn il y a 20 ans", nous confie-t-il. Quant au toit de l’ancienne brasserie qui abrite « son » musée, il aurait probablement abrité, autrefois, le siège d’un poste anti-aérien de la DCA. De quoi être totalement rassuré.
MIMA 39, Quai du Hainaut à 1080 Bruxelles
City Lights, jusqu’au 28 août 2016.
www.mimamuseum.eu