Art : pourquoi le Rijksmuseum retitre ses oeuvres ?

Le célèbre musée d’Amsterdam a décidé de supprimer les termes racistes ou discriminants qui apparaissent dans les titres des oeuvres de sa collection. Cette initiative, une première dans un musée, fait débat. 
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jeune femme noire

La jeune fille à l'éventail retitré par le musée Rijksmuseum, peint par  Simon Maris en 1895 - 1922. 

©Rijksmuseum
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« Nègre, « nain », « esquimau », « mahométan »… En tout, ce sont 23 mots jugés racistes, offensants, discriminants que les visiteurs du XXIe siècle ne liront plus dans les titres des oeuvres exposées dans un célèbre musée d’Amsterdam. 
 
Le Rijksmuseum en a décidé ainsi : réécrire les petits panneaux qui accompagnent les 220 000 sculptures ou peintures dont le musée met un inventaire en ligne sur son site Internet. Le mot « nègre » a, par exemple, été repéré dans les légendes de 132 peintures souvent datant du XVIIe et XVIIIe siècle. 
 
Ainsi le portrait par Simon Maris d’une « jeune femme nègre » à l’éventail (1895 - 1922) est devenu celui d’une « jeune femme ». Ou encore, « le serviteur nègre » qui apparaît aux côtés de Margaretha van Raephorst dans le tableau de Jan Mijtens (1668) a été requalifié « jeune serviteur noir ». 
 
Margaretha van Raephorst
« Le serviteur nègre » qui apparaît aux côtés de Margaretha van Raephorst dans le tableau de Jan Mijtens (1668) a été requalifié en « jeune serviteur noir » par le Rijksmuseum d'Amsterdam. 
©Rijksmuseum

Réécriture de l’histoire ?

Pour chacune des oeuvres, l’ancien titre sera toujours visible mais accompagné d’une nouvelle version plus  « politiquement correcte » considèrent certains. D’autres critiquent cette « censure artistique » ou une manière  de « réécrire l’histoire » alors que « les oeuvres sont un produit de leur temps », rappelle Alain Korkos qui consacre un article à ce sujet sur Arrêt sur images
 
Josh Spero, critique d’art anglais déclarait dans Times  que gommer, selon lui, des mots considérés aujourd’hui comme racistes c’est « prétendre que cela n’a jamais existé ». Effacer, en somme, un bout de notre histoire. 
 
Sir Nicholas Sirota, directeur du "Tate" à Londres, a réagi dans la presse en confirmant qu’aucun nom d’oeuvres de son musée ne changerait sans obtenir l’autorisation préalable des artistes. Facile à faire pour les artistes contemporains, mais quand ils sont décédés depuis plus de 100 ans… l’entreprise se complique. 

Variations de titres

Si le musée hollandais a entrepris de modifier ainsi les titres c’est parce que les artistes donnent très rarement un nom à leur oeuvre. Ce sont plus souvent les conservateurs, les collectionneurs qui leur ajoutent ensuite un titre particulier. 
 
Des changements de noms ont d’ailleurs déjà eu cours dans l’histoire de la peinture. Un exemple revient souvent ces derniers jours dans la presse. Celui du portrait de l’acteur Ira Frederick Aldridge peint par John Simpson au XIXe siècle. Le tableau a été présenté pour la première fois en 1827 sous le nom de « Tête d’un Noir » à la British Institution. Puis il est retitré « Le Nègre » dans un article du Art Journal en 1853. Après son transfert à la Tate Gallery en 1919, il devient « Head of man (Ira Frederick Aldridge)» (Tête d’homme). 
 
head of man
Head of man (Ira Frederick Aldridge)» de Joh Simpson a changé plusieurs fois de titre depuis sa création. 
©Tate
 
Le cas s’est aussi présenté en littérature avec le roman d’Agatha Christie toujours titré en France 10 petits nègres, mais transformé en And Then There Were None en Angleterre et Ten Little Indians aux Etats-Unis. 

Passé colonial

Pour Martine Gosselink, qui dirige le département histoire du Rijksmuseum, il s’agit - avec cette démarche inédite pour un musée - de s’adapter à son époque pour ne pas blesser le public. Pas question de changer ni l’histoire en général ni celle de l’oeuvre. « Nous, les Hollandais, sommes parfois surnommés ‘têtes de fromage ‘ et nous n’apprécierions pas qu’en allant dans un musée à l’étranger, l’on voit une telle description de nous sur des images » a-t-elle déclaré mi-décembre à l’annonce de ce projet. Le but du musée est de ne plus utiliser des mots « donnés par les Blancs aux autres. » Car selon Martine Gosselin : « ce langage colonial peut être une problématique plus sensible aujourd’hui ». Le Rijksmuseum ne s'érigerait-il pas en redresseur de torts de l’histoire ? A moins que ses dirigeants ne craignent seulement l'animosité d'un certain public ?