Vendredi 13 novembre 2015, une série de fusillades et d’attaques-suicides sont perpétrées à Paris et à Saint-Denis au nord de la capitale. Une première attaque a lieu aux abords du Stade de France où se joue un match de football entre la France et l’Allemagne. Trois terroristes se font exploser. Plusieurs attaques retentissent ensuite dans différents arrondissements de la capitale. Dans le 10ème et 11ème, des individus mitraillent des personnes présentes dans des cafés et des restaurants.
C’est au concert des Eagles of Death Metal au Bataclan que l’attaque la plus meurtrière a lieu où des djihadistes ouvrent le feu sur le public. Le bilan fait état de 130 morts, et plusieurs centaines de blessés. Catherine Bertrand était l’une d’entre eux. Lors du concert, elle était installée au balcon. L'ambiance était à la fête jusqu’à ce que les premiers coups de feu retentissent. Elle réussira à s’enfuir, sans blessure physique mais avec un lourd traumatisme. C'est ce qu'elle raconte en dessins dans son livre "Chronique d'une survivante" (Edition La Martinière).
Pourquoi avez-vous décidé de réaliser un carnet dessiné ? Au début, l’idée première n’était pas de faire un livre, c’était juste de faire des dessins à gauche et à droite pour décrire ce que je vivais au quotidien : des scènes insolites, des dialogues de sourds avec mes amis qui ne comprenaient pas ce que j’avais. Ça me faisait énormément de bien, j’avais besoin de ça. Je me sers du dessins comme une manière de lâcher tout ce que j’ai en moi. Ça m’a permis de m’exprimer et d’aider mon entourage à comprendre par ses dessins ce qu’il se passait dans ma tête. Quand j'ai montré ces dessins à mes amis rescapés, membres de l’association Life of Paris, ils ont adoré, et ils m’ont demandé de continuer parce que ça les a aidés à expliquer à leur entourage ce qu’ils vivaient aussi.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées justement avec votre entourage ?Le plus difficile c'était qu'ils comprennent à quel point j'étais en souffrance dans ma tête. C’est une blessure invisible et quand j’allais au travail ou que je prenais le métro, les gens me disaient “
ah bah ça va, tu vas mieux, c’est fini, on passe à autre chose”. Mais non pas du tout. Et c’est que je voulais dénoncer. Dès que la blessure est physique, que quelqu’un a une jambe cassée on se dit “
qu’est-ce qu’il s’est passé ?”. Mais quand c’est dans la tête, on ne voit rien. Même si la personne est au courant de ce qu’il s’est passé , un an plus tard, elle se dit que c’est réglé. Ce qui est difficile à réaliser aussi pour moi et pour les autres, c’est que ça prend du temps d’aller mieux.
Dans vos dessins, le syndrome de stress post-traumatique est représenté par un boulet. Pourquoi ? Le boulet c’est lourd et ça me suit en permanence. J’ai l’impression d'être enchaînée à mon état psychique défaillant. C’est lourd et c’est gros parce que ça représente pour moi le stress-post traumatique qui prend différentes formes notamment l’hypervigilance, les cauchemars, l’insomnie, les crises d’angoisse, la culpabilité et j’en passe… C’est pour ça que c’est gros. L’angoisse peut être provoquée par tellement de choses que tout est représenté par le boulet qui est énorme.
Depuis la sortie de votre livre, fait-il encore l’effet d’une thérapie ?Ce livre m’a aidée et m’aide encore. Il me permet de me reconnecter avec le monde extérieur car j’étais vraiment dans ma bulle quand j’ai fait ces dessins. Maintenant, je me sociabilise et c’est un très bon moyen. Je suis heureuse de voir que ça peut aussi être une forme de thérapie pour mes amis rescapés (...), pour l’entourage et pour les personnes qui ont aussi vécu d’autres traumatismes et qui se retrouvent dans ce que j’écris. Le but c’est d’encourager à une thérapie en tout cas.
J’ai reçu beaucoup de message de personnes qui ont lu mon livre et qui m’ont dit qu’ils avaient eu l’impression de s’y voir, ça me fait du bien, ça me reconnecte aux gens. Je me rends compte que l’origine du traumatisme n’est pas forcément si importante que ça, ce sont les conséquences qui peuvent être communes sur certains types de traumatismes.
Quel message souhaitez-vous faire passer à travers cet ouvrage ?Tout d’abord, il ne faut pas rester dans son coin en pensant que personne ne comprendra, ne pas subir la maladresse des gens parce qu’ils ne comprennent pas pourquoi les gens ne vont pas bien et c’est important tout simplement d’en discuter.
Il ne faut pas être gêné, avoir honte, culpabiliser d'être mal. La société nous impose de travailler, de faire sa vie correctement, métro-boulot-dodo mais malheureusement il y a des blessures invisibles.
Et puis, il y a des gens qui sont traumatisés et qui ne le savent pas. Je pars du principe que lors d’un traumatisme, il y a une phase de déni, donc comme la blessure est invisible, la personne essaye de se rassurer mais je pense que pour aller mieux, il faut accepter d’aller mal et accepter d’aller mal c’est sortir de la phase de déni.
Je voulais aussi libérer les paroles tout simplement pour que le fait de ne pas bien aller, ne soit pas un tabou. Dans la vie, il y a forcément de très bons moments et des moments où ça ne va pas du tout. Dans ce cas-là, on se renferme sur soi-même mais ce n’est pas comme ça qu’on va mieux. C’est donc un message, un lien pour engager des conversations, c’est important d’avoir un support.
Trois ans après, comment vous sentez-vous ? C’est toujours difficile, je vois difficilement le chemin parcouru mais je me base surtout sur ce que les gens me disent. Ils me disent que j’ai fait un beau parcours, que je devrais être fière de moi, ça me fait plaisir. Je suis mon petit bonhomme de chemin comme je peux.