Une exposition, un livre et un film avec à l'affiche Omar Sy, le clown Chocolat n'aura jamais été autant célébré qu'en ce début d'année 2016. Près de 100 ans après sa mort, le premier artiste de cirque noir à avoir marqué son époque revient sur le devant de la scène. Voici en 10 mots clés la vie de Rafael Padilla, de son « vrai » (sur)nom "Chocolat".
Cuba
C’est à La Havane que le futur Chocolat naît de parents esclaves entre 1865 et 1868. Il grandit bercé par une culture afro-cubaine rythmée par la musique et la danse. A l’âge de 10 ans, il est vendu à un riche marchand espagnol. Avec lui, il traverse l’Atlantique pour devenir valet de ferme dans un village basque puis manoeuvre sur le port de Bilbao en Espagne.
C’est là qu’il décide de s’échapper sans être émancipé et sans recevoir de nom officiel. Il finit par être embauché comme domestique et homme à tout faire par un clown anglais alors vedette du moment : Tony Grice.
Paris
C'est à ses côtés, ou plutôt dans son ombre que « Chocolat » entre en piste en 1886 sur la scène du Nouveau cirque. Ce lieu à la mode concurrence alors le Cirque d’hiver. Tout Paris s'y presse. Dans l’arène, le futur Chocolat ne fait qu'apporter les instruments à Tony Grice. Mais sa couleur de peau attise curiosité et railleries du public parisien peu habitué à voir des noirs dans le pays.
«
Au fond, il ne savait pas s’il avait du succès parce qu’on se moquait des noirs, ou si c’est parce qu’il avait du talent. Je pense que c’était un moteur de son existence qui l’a fait travailler comme un fou pour acquérir les compétences d’un vrai clown, d’artiste, qui à la fin de sa vie l’oriente vers le théâtre », explique Gérard Noiriel, spécialiste du clown Chocolat sur lequel il a écrit deux ouvrages. Il est le commissaire de l'exposition "
On l'appelait 'Chocolat', l'histoire d'un artiste sans nom" à la
Maison des Métallos à Paris.
A cette époque marquée par un fort racisme ambiant, les noirs sont plutôt exhibés comme des bêtes de foire sur la scène des Folies Bergère ou dans le Jardin zoologique d’acclimatation.
Miroirs de cette époque, certaines caricatures, notamment celles du peintre Toulouse Lautrec montrent Chocolat avec une tête de singe. Au Nouveau cirque, il incarne alors le stéréotype du « nègre » rigolo, ridiculisé et souffre-douleur du blanc.
La Noce de chocolat
C’est le titre du spectacle dans lequel il triomphe en mars 1888. Surnommé « El Rubio » (le blond) en Espagne, il devient désormais le « clown Chocolat ». De simple noir, il commence à être reconnu comme un artiste de cirque.
« Le public parisien d’un côté se moque des noirs, des "nègres" comme on les appelle à l’époque, mais d’un autre côté il fascine le public parce que c’est la première fois que l’on a un artiste noir qui présente au public parisien une culture, une gestuelle qui vient des afro-américains que lui-même avait appris quand il était enfant à la Havane. Le public est complètement fasciné », raconte Gérard Noiriel.
Un autre numéro le rendra célèbre, celui dans lequel il mène un combat de boxe contre un kangourou qui sera souvent repris.
George Foottit
C'est également au « Nouveau cirque » que Chocolat rencontre George Foottit, un autre clown anglais. Tous deux vont se partager l’affiche entre 1895 et 1902 dans un duo associant pour la première fois le clown blanc et l’auguste.
L’un de leurs numéros phares est une parodie de
Guillaume Tell (héros légendaire suisse condamné à tirer sur une pomme placée sur la tête de son fils). Un sketch qui sera dessiné, peint, photographié et filmé par les frères Lumières.
Même si le clown Chocolat essaye de les combattre dans ses spectacles, il est vite rattraper par les stéréotypes hors de la piste quand son image et son personnage sont utilisés dans des publicités dès 1890 pour le grand magasin parisien Le Bon marché ou encore la marque Félix Potin.
Alors qu’une nouvelle génération d’artistes noirs venus des Etats-Unis fait son entrée sur les pistes françaises vers 1902, le cirque doit aussi faire face à la concurrence du cinéma et des loisirs positifs. Ce début du XXe siècle est surtout marqué par le procès Dreyfus.
« Quand l’affaire éclate entre 1898 et 1902, la France veut s’illustrer comme la patrie des droits de l’Homme, explique Gérard Noiriel. On dénonce dans la presse le lynchage des noirs par des blancs aux Etats-Unis. Or au cirque, il y a des scènes dans lesquelles Chocolat prenait des baffes par un clown blanc. On le met alors au placard parce que c’est contradictoire avec l’image que l’on veut véhiculer à cette période. »
Foottit et Chocolat doivent de se reconvertir. Après être devenus les vedettes d’un vaudeville, ils sont finalement licenciés du Nouveau cirque en 1905.
Chocolat décroche le rôle principal dans une pièce intitulée « Moïse », mais c’est un four. « Un noir pouvait avoir du succès comme clown, mais pas comme comédien », souligne Gérard Noiriel. Dans la presse, il subit des critiques très insultantes. Naît alors l’expression « Chocolat est… chocolat ». (Lire en encadré)
Expression
« Etre chocolat : être frustré, privé d’une chose sur laquelle on comptait » (définition du Robert).
Clown thérapeute
Dès 1908, Chocolat, de son prénom Rafael, se met au service d’une association qui se déplace dans les hôpitaux de Paris pour redonner le sourire aux enfants. Pendant trois ans, deux fois par semaine, il va faire le clown pour faire profiter à de jeunes patients de cette thérapie par le rire. Ce sont les ancêtres de l’association des «
nez rouges ».
Rafael Padilla
Toute sa vie, Rafael sera dans l’ombre de Chocolat. Il meurt, en tournée à Bordeaux loin de sa famille, dans le plus grand dénuement. Il sera enterré dans une fosse commune. C’est à sa mort, le 4 novembre 1917, que l’employé de l’état civil lui attribue enfin un nom complet, une identité : ce sera Rafael Padilla.
La veuve chocolat
A sa mort, Rafael laisse derrière lui sa compagne, blanche, Marie Becquet. Tous deux formaient un couple tout à fait transgressif pour l'époque. Divorcée, elle est mère de deux enfants d’une première union, Eugène et Suzanne que Rafael aimera comme les siens. Il sera d’ailleurs très affecté par le décès de Suzanne en janvier 1913.
Dans les années 1920, Eugène prendra la relève de son père sur la piste du cirque Medrano sous le nom de « Chocolat fils ». Sa mère, elle, se fera appeler jusqu’à sa mort « la veuve Chocolat ». Une manière de garder bien vivante la mémoire de son compagnon.
Omar Sy
Une mémoire aujourd’hui mise en scène dans l’exposition à la
Maison des Métallos à Paris et dans le film de Roschdy Zem qui sort en France ce 3 février 2016. C’est l’acteur Omar Sy (
Intouchables) qui incarne le clown noir sur grand écran aux côtés du petit fils de Charlie Chaplin, James Thierrée. Une fiction inspirée de l'histoire vraie du clown Chocolat tombé dans l'oubli et finalement réhabilité.