Fil d'Ariane
Si la danse contemporaine peut parfois être aride, Salia Sanou fait la démonstration que ce n'est pas une fatalité. Son dernier spectacle, "Multiple-s" parle d'amitié, de complicité, du bonheur de danser. A 50 ans tout juste, le chorégraphe et danseur burkinabe s'offre ce beau cadeau.
"Cela faisait six ans que je n'avais pas dansé. Je chorégraphiais des grosses pièces. Maintenant, les autres dansent pour moi, mais j'avais envie d'aller sur la scène, de danser, de transpirer... et j'ai voulu revenir à quelque chose de plus intime, questionner l’interprète que je suis", explique-t'il avec la même simplicité chaleureuse qu'il exprime sur le plateau.
Enthousiaste, chaleureux,... des qualités qui ne l'ont pas quitté depuis qu'il est apparu débutant dans la compagnie de Mathilde Monnier à Montpellier au début des années 1990. Il se fait remarquer avec son complice et compatriote Seydou Boro, car ils ne sont pas nombreux les jeunes Africains a se lancer dans la danse contemporaine "à l'occidentale". Très vite, il créeront leur propre compagnie, Salia nï Seydou.
Auparavant, le jeune Salia a quitté l'école de police de Ouagadougou pour apprendre la danse auprès de Germaine Acogny au Sénégal. Figure tutélaire pour tous les danseurs africains, on la retrouve aujourd'hui dans le spectacle. La dame a 75 ans et se moque sur scène de son arthrose, mais elle n'a rien perdu de sa grâce. Salia Sanou lui propose un pas de deux en forme d'hommage affectueux et amusé.
C'est l'idée de "Multiple-s" : proposer une série de duos avec des invités inattendus. Avec Germaine Acogny donc, puis l'écrivaine canadienne Nancy Huston (qu'il fait danser !) et enfin le musicien et pianiste Babx.
"J'ai voulu revenir sur quelque chose de beaucoup plus intime et je cherchais un projet qui me permettrais de rencontrer des personnalités avec leur art à eux, de chercher comment on pouvait se mettre face-à-face sur une scène. Je suis le fil rouge de ces trois moments, je sors d'une histoire pour entrer dans une autre. C'était le défi pour moi, car il faut changer d'énergie, de façon d'être. Au début, ce n'était pas évident, c'était un peu mécanique, mais aujourd’hui je commence à trouver ce lien délicat, sensible qui permet de passer d'un état à un autre."
On est multiple et on est multiples.
Salia Sanou, danseur et chorégraphe.
"Multiple-s" est aussi un manifeste pour la diversité, le mélange, bref la multiplicité que Salia Sanou voit au cœur même de chaque individu. "Déjà tout seul, nous avons des masques, des facettes, des contradictions. Et aussi, on n'est pas la même personne à 20 ans et à 50 ans. Enfin, on est multiple par rapport à l'autre, dans la rencontre. On est multiple et on est multiples."
Salia Sanou en est un bel exemple. Implanté à Montpellier, menant une carrière internationale mais toujours solidement ancré au Burkina Faso où il continue à s'occuper de La Termitière, le premier centre chorégraphique contemporain du pays fondé avec Seydou Boro en 2006 et de la biennale de danse "Dialogues de corps".
"La Termitière va bien, avec ses fragilités, car c'est un lieu qui n'a pas un soutien conséquent de l'Etat burkinabe ou de la mairie de Ouagadougou. Les problèmes sociaux sont tellement important que la priorité est donnée aux hôpitaux, à la construction de routes... Tout ce qui est art est mis de coté. Et puis aussi les politiques ont peur de nous autres, qui sommes engagés sur des questions de citoyenneté, qui revendiquons une place dans la société, qui alertons, qui interpellons..."
Aujourd'hui, le chorégraphe jette un regard attristé sur la violence qui a saisi sa patrie après d'autres pays voisins. "A 50 ans, je vois que l'Afrique se coupe de sa jeunesse, de sa créativité. Avec ce qui se passe dans le Sahel : la guerre, l'islamisme,... je dis que la solution ne peut pas être seulement militaire. Il faut dialoguer, porter des projets pour ces populations car les "autres" arrivent et vont bourrer la tête des gens. Pour déconstruire tout ça, la réponse ne peut pas être que militaire, il faut de l'éducation et de la culture et ce ne sont pas des choses qu'on fait en six mois."
En 2016, Salia Sanou a crée "Du désir d'horizons" avec le matériau collecté dans les camps de réfugiés où il a animé des ateliers. En ce moment, un autre projet auprès des réfugiés installés dans le nord du Burkina Faso est bloqué à cause de l'insécurité.
On sent que la situation l'affecte, mais il en faudrait plus pour l'abattre. "J'ai repris goût à la danse. J'aimerais continuer ces pièces de rencontres, faire des "Multiples-s" 2, 3, 4… comme un feuilleton, et pourquoi pas avec un plasticien, un photographe, un architecte... Par contre, pour les pièces de groupes, je ne vais pas me mettre à danser avec les jeunes qui ont 25 ans. Il faut maintenant que j'assume mon statut de chorégraphe."
La maturité venue, Salia Sanou continue son chemin, veut vivre des expériences différentes, les plus diverses possibles. Jeune encore, mais déjà sage. Plus que jamais convaincu que le face-à-face n'est pas conflit mais rencontre.