Mémoires

"Barbès blues", voyages au coeur de la présence maghrébine à Paris

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Couverture de "Barbès Blues, une histoire populaire de l'immigration maghrébine" de Hajer Ben Boubaker - Seuil

Couverture de "Barbès Blues, une histoire populaire de l'immigration maghrébine" de Hajer Ben Boubaker, publié au Seuil

© Seuil
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C'est un quartier qui incarne la présence maghrébine à Paris, au coeur du 18ème arrondissement. Barbès est le fruit d'une longue histoire d'immigration et d'engagement politique. Sa mémoire est au centre d'un ouvrage à mi-chemin entre livre d'histoire et récit personnel, "Barbès Blues, une histoire populaire de l'immigration maghrébine", publié au Seuil. Promenade au coeur de Barbès, quartier emblématique, en compagnie de l'autrice, Hajer Ben Boubaker.

“Le 18e, c’est chez moi. Cet arrondissement c’est vraiment ma maison.” Fille d’immigrés tunisiens passés par Belleville et Barbès, Hajer Ben Boubaker, la trentaine, est une chercheuse indépendante spécialisée dans l'histoire des musiques arabes et l'histoire culturelle de l'immigration maghrébine en France. Elle est aussi documentariste sonore pour France Culture, et créatrice d'un podcast indépendant "Vintage Arab". Elle est un pur produit de cet arrondissement, et aime d'ailleurs donner ses rendez-vous dans son café préféré du quartier de Barbès - La Goutte d’or. 

C’est donc tout naturellement que son premier livre, “Barbès blues, une histoire populaire de l’immigration maghrébine”, adresse cette question. Entre organisation politique et émancipation culturelle, le livre dresse un portrait inédit et sur plusieurs décennies des “Arabes” dans la capitale. Elle y raconte l’histoire de cette immigration et de son quartier, dont elle se réclame héritière.

Barbès blues, une histoire populaire de l'immigration maghrébine de Hajer Ben Boubaker est sorti le 27 septembre 2024 au Seuil.

Barbès blues, une histoire populaire de l'immigration maghrébine de Hajer Ben Boubaker est sorti le 27 septembre 2024 au Seuil.

(Seuil)

Hajer Ben Boubaker dépeint ces destins de vie en incarnant parfois certaines recherches dans le livre. “Ce n'était pas du tout prévu au départ, mais j’ai parfois ressenti le besoin de me placer comme observatrice, mais aussi d’exprimer mon ressenti, comme un guide dans les rues de quartiers que je connais bien”, confie l'auteure. “J’assume que c’est un livre qui est aussi personnel car je suis née et j’ai grandi dans ce quartier. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai eu envie de l’écrire”, poursuit-elle. 

Ils sont ma communauté de destin, ma généalogie personnelle de mon histoire en France. Hajer ben Boubaker, auteure de "Barbès blues"

“Barbès Blues” est un hommage à cette population faite de révolutionnaires, d’ouvriers, de militants, d’artistes et aussi de voyous. Loin du livre de recherche universitaire classique, l’ouvrage fait la part belle aux destins d’hommes venus en France avec des idéaux. 

L’auteure les raconte avec beaucoup d’affection dans les passages les plus glorieux ou les plus sombres de leur histoire. “J’ai cohabité avec tous les personnages du livre pendant près de deux ans, le temps de l’écriture du livre”, explique-t-elle. 

Hajer Ben Boubaker

Hajer Ben Boubaker.

© Hermance Triay

“J’ai une affection immense pour tous. Ils font partie de notre histoire collective politique ou de la vie quotidienne, ordinaire, des immigrés maghrébins. Réfléchir, penser à eux, écrire sur eux, les inscrit dans mon histoire en tant qu’autrice, mais aussi en tant que femme. Ils sont ma communauté de destin, ma généalogie personnelle de mon histoire en France”, s’épanche la chercheuse. 

Les cabarets arabes du 5e arrondissement

Barbès fait partie de l’imaginaire collectif français de la présence maghrébine à Paris. Pourtant, c’est d’abord dans un autre quartier de la capitale que les premiers immigrés algériens s’installent : le 5e arrondissement, entre la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève et la rue Saint-Séverin, ou encore la rue Mouffetard, et ce, dès le début du 20e siècle. Un démarrage de l’histoire maghrébine en France peu connu du plus grand nombre. 

Les Algériens ne s'implantent pas là par hasard. Barbès était déjà un quartier de refuge pour d'autres populations pauvres, notamment les Juifs d'Europe de l'est qui fuient les pogroms. Hajer Ben Boubaker

“C'est quelque chose que j’ai toujours su, sans vraiment explorer la question avant de m’y plonger pour mes recherches”, explique l'écrivaine. “Je savais que les Algériens en particulier étaient les premiers à être venus assez tôt”, précise-t-elle. 

Cette immigration est bien entendue liée à la situation politique en France. “Beaucoup sont restés aussi parce qu'il y a eu la mobilisation forcée pendant la Première Guerre mondiale. Ils sont allés sur le front ou ont été réquisitionnés pour travailler dans les usines et remplacer les ouvriers français", détaille l’écrivaine. Il ne s’agit d’ailleurs pas que d’Algériens même s’ils sont en surnombre. 

“J’ai redécouvert l’ampleur de cette immigration, notamment dans l’entre-deux-guerres, où les Marocains et les Tunisiens commencent à arriver à Paris et aussi en banlieue (notamment Asnières-Gennevilliers pour les Marocains du Souss)”, explique Hajer Ben Boubaker.

Hôtels garnis, cafés, cabarets, cette immigration organise sa vie dans ce quartier très ouvrier à l'époque. “Les Algériens ne s'implantent pas là par hasard.  Barbès, cétait déjà un quartier de refuge pour d'autres populations pauvres, notamment les Juifs d'Europe de l'est qui fuient les pogroms. Les loyers y étaient bon marché. C'était un vrai arrondissement populaire ”, détaille la chercheuse. 

Le Cabaret Tam Tam, un lieu incontournable 

L’un des symboles de ce quartier, c’est la multitude de cabarets. Ouvert après le Djazaïr, le Bagdad, ou encore les Nuits du Liban, le cabaret Tam Tam est vite devenu un lieu incontournable. 

C’est un ancien ouvrier algérien du nom de Mohamed Ftouki qui l’ouvre vers la fin des années 40, nous explique la chercheuse. “Il souhaite d’abord lui donner le nom de ‘Grand Maghreb’, nom que les autorités françaises interdisent pour cause de ‘subversion nationaliste’, à une époque où, déjà, l’idée d’indépendance dans cette région commençait à gagner les esprits des populations et des leaders politiques”, rajoute Hajer Ben Boubaker. 

Il donne alors à son cabaret le nom de "Tam Tam" pour "Tunisie, Algérie, Maroc". Cette salle va très vite accueillir de très grandes stars du Maghreb ou du Proche Orient. Les cabarets sont rapidement fréquentés par des Français “qui avaient envie d'une ambiance orientale et d'exotisme”

Le cabaret Tam Tam de Mohamed Ftouki, le 27 novembre 1949

Le cabaret Tam Tam de Mohamed Ftouki, le 27 novembre 1949

 

(© Famille Ftouki/Wikimedia)

“Le cabaret n’était pas le lieu évident pour le milieu prolétaire maghrébin, en raison du prix”, explique la chercheuse, “ce qui en faisait aussi des lieux plus facilement cachés de la subversion nationaliste”, poursuit-elle. Pendant la révolution algérienne, “ces lieux servent de récolte d'impôts ou de cache d'armes pour le FLN”, conclut-elle. 

Warda El-Jazaïria, l’une des grandes diva du monde arabe

En 1955, le FLN crée à Paris la Fédération de France du Front de libération nationale, autrement appelé "Wilaya 7" (la wilaya est unité territoriale de l'Algérie, décrétée par le FLN, durant la révolution algérienne, entre 1954 et 1962, ndlr).

Ce cabaret a la particularité d'avoir vu une des légendes de la musique arabe fouler sa scène. Ce n’est autre que la propre fille de Ftouki. Née à Puteaux, dans les Hauts-de-Seine (92), ayant grandi à Paris, la petite Warda Ftouki va devenir la grande Warda El-Jazaïria, l’une des grandes diva du monde arabe, aux côtés de l’Égyptienne Oum Kalthoum, de la Libanaise Fairuz, ou encore la Syrienne Asmahan. 

Warda : Haramt Ahebak

C’est dans le cabaret de son père qu’elle est repérée par un animateur radio, Ahmed Achlaf, devenu plus tard un grand producteur de musique arabe. “Son père l’autorise à faire des émissions enfantines à la radio. Cette enfant menant une vie de titi parisien va brutalement voir son existence chamboulée par la révolution algérienne”, détaille la chercheuse. 

Son père a d’abord été membre du MNA (Mouvement national algérien), puis du FLN (Front de libération nationale), deux partis indépendantistes algériens. “D’ailleurs, son cabaret est séparé par un seul mur du siège du MNA”, nous rapporte Hajer Ben Boubaker. “C’est ainsi que sa famille va être expulsée de France, non pas en Algérie, mais vers le Liban, pays de la mère de Warda. Cela marquera aussi le démarrage de sa carrière internationale”, conclut l’écrivaine. 

Refuge à la Goutte d'or

Au cours des années 60, une politique de gentrification se met en place dans la capitale. 

Les Algériens du 5e arrondissement en payent, alors les premiers, le prix, et sont progressivement “expulsés de gré ou de force de ce quartier”. Aujourd’hui, il ne reste que la Grande mosquée de Paris, inaugurée en 1926, pour témoigner d’une présence maghrébine.

Avec l’implantation des commerces mais surtout des cafés, des lieux de vie, il y a tout un socle culturel commun qui se met à exister pour cette population. Hajer Ben Boubaker

Et c’est vers le quartier de la Goutte d’or, dans le 18e arrondissement, que la population maghrébine de Paris va s’installer. “Dès les années 20, il y a déjà des Algériens à la Goutte d’or”, explique l'écrivaine. Ces hommes, venus en raison de la Première Guerre mondiale, ou pour le travail, s’y sont installés dès cette époque. “C’est un faubourg de Paris qui y a été rattaché tardivement, notamment après la Commune de Paris. C’est un quartier d'exilés, de pauvres”, raconte Hajer Ben Boubaker. "On y trouve des Français du Nord de la France, de Bretagne mais aussi des Juifs d’Europe de l’est, des Italiens ou encore des Polonais.”

Ce quartier va néanmoins devenir central pour tous les Maghrébins. “Avec l’implantation des commerces mais surtout des cafés, des lieux de vie, il y a tout un socle culturel commun qui existe pour cette population”, affirme la chercheuse. “C’est donc rapidement devenu un lieu très fréquenté”, poursuit-elle.

Après les indépendances au Maghreb, les immigrés redeviennent pleinement des ouvriers. D’autres luttes prennent alors le dessus dans leurs vies. “Néanmoins les cadres de partis indépendantistes, les étudiants rentrent pour reconstruire leur pays. Et en même temps, l'immigration, elle, ne cesse pas. On pourrait même dire qu'elle augmente, avec d'autres personnes qui arrivent pour travailler en France”, détaille Hajer Ben Boubaker.

Les questions du droit du travail et des luttes ouvrières se mêlent aux questions de l'après indépendance pour ces ouvriers maghrébins. “Le contexte post-colonial, après 132 ans de présence française au Maghreb, conditionne la vie de ces hommes et de ces femmes en France. Ils subissent un racisme ouvertement systémique", énonce la chercheuse. En tant qu’étrangers, ces Maghrébins n’ont pas le droit de créer une association, ni d’émettre publiquement des opinions politiques. 

À l'époque, les Maghrébins n’ont pas de radio qui diffusent leurs musiques. Il n’y a pas de délégués syndicaux qui se préoccupent de leur vie culturelle. Hajer Ben Boubaker

Ce n'est qu'au début des années 70, que le MTA est créé par des militants. Le Mouvement des travailleurs arabes a un objectif très clair : “lutter pour le droit des travailleurs maghrébins, pour l’égalité salariale, notamment dans les usines, pour le droit au titre de séjour, à la carte de travail, qui étaient conditionnés l’un à l’autre, à l’époque”, détaille l'écrivaine. 

Les crimes racistes, la cause palestinienne et le droit à un logement décent font également partie des préoccupations du MTA. La chercheuse a d'ailleurs beaucoup travaillé sur la question en produisant un documentaire sonore pour France Culture : "Une histoire du Mouvement des travailleurs arabes"

Radio et militantisme

Dans le sillon des actions du MTA, une radio est créée. “À l'époque, les Maghrébins n’ont pas de radio qui diffusent leurs musiques. Il n’y a pas de délégués syndicaux qui se préoccupent de leur vie culturelle”, explique la chercheuse. Cela se met en place pendant cette décennie, au même moment que l'organisation politique des ouvriers maghrébins prend forme. “Cela va permettre à des familles d'avoir des vinyles de Nass el Ghiwane (groupe marocain très engagé, ndlr), grâce au comité Renault du MTA, par exemple”. détaille-t-elle. 

Nass El Ghiwane : Ahli El Hal

Après une première expérience en 1973, avec Radio Assifa, qui a produit quatre numéros d'émissions sur cassette, format très en vogue à l'époque, l'un des fondateurs du MTA, Mokhtar Bachiri, va créer en 1981 une radio libre qui marquera tout le quartier, Radio Soleil. “Radio Soleil voit le jour au moment même où Mitterrand arrive au pouvoir en 1981”, raconte la chercheuse. 

Avant même la loi du 9 novembre 1981 qui autorise les radios libres à émettre sur la bande FM, mettant fin au monopole de l’État, Radio Soleil commence à émettre dans le quartier de la Goutte d’or. “Il fallait avoir le moyen d'avoir un émetteur pour faire de la radio à l’époque. Au soir de l’élection de Mitterrand, au lieu d’aller à la Bastille comme de nombreux militants, Mokhtar va aller récupérer les émetteurs délaissés par le parti socialiste de 'Radio Riposte'. Le PS avait en effet lui-même une radio pirate avant l’élection”, détaille la jeune femme. 

35 rue Stephenson, l'ancienne adresse de la radio locale, Radio Soleil, le 2 octobre 2024.

35 rue Stephenson, l'ancienne adresse de la radio locale, Radio Soleil, le 2 octobre 2024.

© Nadia Bouchenni

C’est au 35 rue Stephenson que Radio Soleil va émettre sur la bande FM, dès le 14 juillet 1981. L’aventure dure 4 à 5 ans, et de nombreux militants du MTA en font partie. “Cela va être une radio très écoutée au début des années 80. Si on reste sur cette idée d’installer la culture de ces populations sur le territoire français, et particulièrement le 18e et Barbès, Radio Soleil a été l’une des premières étapes”, continue l'écrivaine. 

Production musicale à Barbès

Cette culture va s’étendre par la musique. Barbès devient le berceau de la production musicale maghrébine. “Le quartier du 18e fait partie de l’imaginaire défendu par de nombreux rappeurs comme La Scred' Connexion, La Rumeur ou encore Doc Gynéco”, énonce Hajer Ben Boubaker. “Mais le 18e, c’est avant tout un quartier musical très maghrébin, qui a connu l’émergence de nombreuses boutiques de disques de musiques arabes, même si aujourd’hui il n’y en a plus beaucoup", poursuit-elle.

Sauviat musique, la première boutique de musique arabe de Barbès, le 2 octobre 2024.

Sauviat musique, la première boutique de musique arabe de Barbès, le 2 octobre 2024.

© Nadia Bouchenni

La seule enseigne restante se situe au 124 bd de la Chapelle, juste en face du métro Barbès-Rochechouart. Il s’agit de "Sauviat musique”, premier commerce de disques de chanteurs originaires d'Afrique du Nord ou du Proche-Orient ouvert dans le quartier. 

“Cette boutique existait dans le quartier depuis les années 30. Il était tenu par une auvergnate, Léa Sauviat qui vendait des partitions de musique classique. Voyant arriver des ouvriers notamment kabyles, qui lui demandaient des disques venant d’Algérie et de la région, elle contacte Ahmed Achlaf, pour lui fournir des disques à vendre. Dès la fin des années 40, il dirigeait Pathé-Marconi", raconte Hajer Ben Boubaker

C’est pour cela que l’on parle de centralité pour Barbès. Elle s’explique surtout par la musique. Hajer Ben Boubaker

Le producteur accepte. Il est en quête de nouveaux talents à signer par la même occasion. “Elle lui souffle notamment qu’un certain Slimane Azem est très apprécié de cette population. Il va devenir le grand chanteur de la musique kabyle, qui chantait, entre autres, sur sa condition d’immigré”, détaille la chercheuse. 

Slimane Azem : Amk Akka

Léa Sauviat se spécialise et son succès va inspirer de nombreux commerçants, allant même jusqu'à la production de disques. “Le premier, c’est Si Ahmed Souleimane, un Algérien d’Oran qui va lancer un commerce et un label. Cela va être une grande spécificité du quartier où vont fleurir une quinzaine de boutiques au fil des décennies, certaines les unes à côté des autres”, explique Hajer Ben Boubaker. “Bien sûr, certains se spécialisent. On va avoir Casaphone ou Cléopâtre tenues par des Marocains, qui vont donc enregistrer surtout des chanteurs de leur pays”, détaille-t-elle. 

Le centre du monde arabe en France 

“Le patron de Cléopâtre, Brahim Ounassar, raconte que le samedi il pouvait y avoir un millier de personnes qui passaient par sa boutique. C’était un marché énorme, les gens faisaient beaucoup d’argent, il y avait beaucoup de concurrence”, poursuit-elle. 

Ce commerce de la musique a fait de Barbès le centre du monde arabe en France. “Les gens venaient de Paris, évidemment, mais aussi d’autres villes de la région et d’ailleurs pour venir chercher des disques, et plus tard des VHS. C’est pour cela que l’on parle de centralité pour Barbès. Elle s’explique surtout par la musique”, conclut Hajer Ben Boubaker.

La saga Tati

Et quand les Maghrébins de la région venaient à Barbès, ils ne s’arrêtaient pas que chez les disquaires. Un lieu encore aujourd’hui symbolique du quartier, alors qu’il a fermé depuis septembre 2021, attirait les foules en masse. Il s’agit du magasin Tati. 

Le magasin Tati à Barbès n'existe plus mais l'enseigne en haut de l'immeuble est toujours présente, le 02 octobre 2024.

Le magasin Tati à Barbès n'existe plus mais l'enseigne en haut de l'immeuble est toujours présente, le 02 octobre 2024.

 

© Nadia Bouchenni

“Tati, c'était un magasin qui a été ouvert par Jules Ouaki, un juif tunisien venu s'installer en France à la fin des années 40. Il a établi son entreprise de textiles avec un concept révolutionnaire inspiré d'un ancien magasin du quartier, les galeries Dufayel, et de la fripe tunisienne”, raconte Hajer Ben Boubaker. Il achète un immeuble entier à Barbès, en face du métro aérien et ouvre le magasin Tati, premier de l’enseigne, en 1948.

“En arrivant à Paris, Jules Ouaki constate que pour rentrer dans un magasin, il faut sonner à la porte. Il décide d’abolir ce concept et de permettre aux personnes d’accéder aux vêtements dans des bacs. Cela permet aux gens de dépasser leur condition sociale. Là, il y avait la possibilité de toucher, comme dans des fripes mais avec des vêtements neufs, sans obligation d’acheter”, énonce la chercheuse. 

Tati devient le grand magasin du monde ouvrier, accessible à tous et populaire. “C’est d’ailleurs vite devenu la porte d’entrée du quartier. Pour beaucoup de gens, il représente une partie de leur vie, de leur enfance, comme moi par exemple. C’était vraiment un endroit culte pour la vie parisienne”

Aujourd’hui son absence a fait que le quartier s’est coupé d’une partie de la population, celle qui venait spécialement pour Tati et donne ce sentiment d’une gentrification qui s'accélère. Hajer Ben Boubaker

Au fil des décennies, ce lieu de consommation va devenir un symbole de toute une population. L’imprimé vichy rose que l’on retrouve sur les sacs en plastique vont se retrouver dans les pays du Maghreb, car on y fait ses courses avant le retour au pays pour les vacances. Culturellement, des artistes comme le groupe 113 y font référence, notamment dans le clip du titre “Tonton du bled”.

113 : Tonton Du Bled 

Le magasin a fermé ses portes le 30 septembre 2021, effaçant ainsi une histoire importante du quartier et de sa population maghrébine. “Aujourd’hui son absence a fait que le quartier s’est coupé d’une partie de la population, celle qui venait spécialement pour Tati. Cela donne le sentiment d’une gentrification qui s'accélère”, déplore Hajer Ben Boubaker. 

L'enfant du quartier s'amuse aujourd'hui de voir les réactions de ses voisins depuis la sortie du livre. "C'est touchant de voir qu'ils étaient contents d'avoir ce récit à disposition. Connaître l'histoire de ces rues, c'est avoir un bout d'une histoire plus large mais qui dit beaucoup de celle de ce quartier."