BD : Impressions sur la guerre d'Algérie

Dans son premier roman graphique, Soleil brûlant en Algérie, Gaëtan Nocq (re)trace au crayon le parcours d'un jeune appelé envoyé en 1956 en Algérie française. Un témoignage émouvant sur une guerre qui reste encore tabou en France. Entretien. 
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Cases extraites de l'album "Soleil brûlant an Algérie" de Gaëtan Nocq.
©"Soleil brûlant an Algérie" (La Boîte à bulles) de Gaëtan Nocq.
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"On nous envoyait là-bas, au bout de cette route. Pour combien de temps ? Nul ne savait... Et pour certains, sans retour." Alexandre Tikhomiroff n'a que 21 ans en 1956 quand il est envoyé, avec d'autres appelés, en Algérie, toujours colonie française.

Comme beaucoup des 1 340 000 appelés français, "Tikho" se retrouve de l'autre côté de la Méditerranée pour son service militaire. Malgré lui. "Ce fut le début du cauchemar", lit-on dans la BD Soleil brûlant en Algérie, quand il arrive sur le sol algérien.
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Direction la caserne de Cherchell. Là, il faut tout apprivoiser : la chaleur, la vie militaire, le manque de confort, le menu tripes-patates de la cantine, l'éloignement avec les siens, les folies/lubies de certains supérieurs et la peur aussi. Celle de cet "ennemi" invisible, peu côtoyé, méconnu, inconnu qui se cache hors de la caserne, parfois cible, parfois assaillant.    
Pour améliorer son quotidien, se faire un peu plus d'argent et échapper à la vie de caserne, Tikho fait la vaisselle puis le service au mess des officiers. "Mon militantisme contre la guerre d'Algérie m'avait conduit à refuser de servir des gradés surtout de haut rang, témoigne-t-il dans l'ouvrage. Mais la promesse d'un steak tendre, ajoutée à celle d'être loin des turbulences de la caserne et de ses astreintes morales, me décida."

Chacun se forge une expérience personnelle de la guerre d'Algérie (1956-1962) en fonction de son grade et de son rôle. La bande dessinée illustre les petites arrangements qui existent entre soldats, les tricheries qui ont cours au sein de la caserne lors des examens, les brimades de certains gradés...

Dans les dessins de Gaëtan Nocq, tous ces jeunes hommes ont l'allure de petits soldats, de pions malheureux dans un jeu politique qui les dépasse. 

"Au 'Pourquoi je suis ici ?' Chacun finissait par avoir une réponse presque collective, avec toutes les nuances possibles : 'non, ça suffit ! Y'en a marre ! Qu'on les laisse se débrouiller sans nous ! Ils sont chez eux ; qu'ils fassent ce qu'ils veulent !'"

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© 2016 Gaétan Nocq & La Boîte à Bulles
A son retour en France en 1959, Alexandre - plus observateur qu'acteur dans cette guerre - décide de s'engager pacifiquement pour la paix. Il s'attache à dénoncer les membres de l'Organisation Armée secrète (OAS) partisane de l'Algérie française. Cette dernière sera notamment à l'origine de plusieurs attentats dans Paris. 

Dans la bande dessinée, Soleil brûlant en Algérie, Alexandre Tikhomiroff n'est pas un personnage de fiction sorti de l'imagination du dessinateur et scénariste français Gaëtan Nocq. Le premier a confié son histoire au second qui a décidé de l'adapter en bande dessinée. L'auteur nous raconte leur rencontre, son travail et ce qu'il a appris de la guerre d'Algérie en réalisant cet album émouvant, bien scénarisé sans jamais stigmatiser une partie ou l'autre, mais qui manque parfois de pédagogie pour un lectorat moins averti.


Comment avez-vous rencontré votre personnage et témoin, ​Alexandre Tikhomiroff ?

Gaëtan Nocq : Le musée de l’Immigration à Paris avait passé une commande à des artistes, des carnettistes, pour qu’ils travaillent sur un objet tiré de la vie d’immigrés. En hommage à la vie de son père, un Russe blanc, Alexandre Tikhomiroff avait donné un cor chromatique. En travaillant sur la vie de son père, j’ai rencontré tout naturellement son fils, Alexandre.

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Alexandre Tikhomiroff et Gaëtan Nocq
©Gaëtan Nocq
 
Pourquoi cette histoire vous a-t-elle justement touché ? 
 
J’avais évidemment conscience que la guerre d'Algérie était un sujet tabou. Je savais qu’en France l’abcès n’était toujours pas crevé. En bande dessinée, notamment, il n’y a quasiment rien dessus. Et puis le récit d'Alexandre, c’était vraiment une guerre vue à hauteur d’homme. Cela m’intéressait d’entrer par la petite histoire, par la sensibilité d’un homme au travers de son engagement, de son regard poétique sur un territoire, un pays, et ces gens.

Il y avait notamment une description de l’arrière-pays, le fameux Plateau Sud des montagnes qui me touchait, car à ce moment je travaillais sur des dessins panoramiques de montagnes. 

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© 2016 Gaétan Nocq & La Boîte à Bulles

Quand je l’ai revu après avoir lu son récit, je lui ai demandé des détails sur l’histoire. Il me disait que ce qu’il retenait de sa vie là-bas, c’était la peur lors des gardes de nuit avec les bruits, dont on ne sait pas si c’est un danger ou si c’est sans intérêt. 

 
Comment avez-vous choisi les passages de son livre à adapter ? 
 
Il y avait, pour moi, des passages inévitables comme son retour à Paris. C’était le passage entre l’inaction de sa vie d'appelé, de soldat - il était plus spectateur qu’acteur- et le retour à la vie civile où là, il s’engage. Il se remet à faire des gardes de nuit pour protéger des gens contre l’OAS. Il fait partie d’un comité antifasciste, va à la bagarre, mais tout en restant dans une approche pacifiste. 

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© 2016 Gaétan Nocq & La Boîte à Bulles


Avez-vous fait un travail de recoupement pour mieux retracer l’histoire d'Alexandre ? 

 
D’un point de vue technique et militaire, j’avais besoin de me documenter. J’ai rencontré des spécialistes des armes, des uniformes et du matériel. Il fallait que je sache comment les soldats étaient habillés à cette période-là. Des experts sur l’histoire de la défense m’ont conforté sur certains points, notamment le 5e bureau (consacré à la propagande, ndlr), un service des armées dévolu à l’action psychologique. J’ai aussi acheté des livres, tout ce qui me tombait sous la main et pouvait être lié à la guerre d’Algérie.

En travaillant sur ce sujet, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ? 
 
Au fur et à mesure que je construisais le récit et que je le mettais en scène, je me suis rendu compte qu'il existait une incompréhension de part et d’autre. Une incompréhension au sein de l’armée entre les soldats et les gradés. Et puis, une incompréhension entre l’armée française et la population algérienne.

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Extrait de la bande dessinée "Soleil brûlant en Algérie" de Gaëtan Nocq.
©Gaëtan Nocq
Et puis toute la partie sur Paris, je la trouve importante. J’ai l’impression que c’est un petit peu oublié, cette période très tendue. Il y avait des attentats aveugles contre la presse. Cela faisait peut-être moins de dégâts qu’avec les attentats que l’on connaît aujourd’hui avec Daech, mais il y avait un climat de terreur. 
 
Avez-vous un retour de vos lecteurs ? Qui sont-ils ?
 
Lors de dédicaces, je rencontre des anciens de la guerre d’Algérie, d'obédience proche de l’OAS ou communistes. Il y a aussi d’anciens pieds-noirs qui m’expliquent qu’ils n’étaient pas tous de gros propriétaires terriens. Certains étaient aussi des ouvriers qui essayaient de s’en sortir.
 
D’autres viennent prendre le livre pour leurs enfants ou leurs petits-enfants parce que le grand-père n’en parle pas. C’est un témoignage qui joue le rôle de passeur de mémoire, d’histoire. Les gens se retrouvent sur l’émotion. C’est ça que j’ai essayé de traduire. L’impact émotif et psychologique de cette guerre, que ce soit un simple soldat ou un gradé.