Belgique : quand le « Street Art » stimule la métamorphose urbaine de Charleroi

Le « Pays noir », en Wallonie, a pris désormais des couleurs. Et Charleroi crée la surprise, tant son patrimoine – à commencer par les vestiges de ses empires industriels - donne aujourd’hui à voir les plus folles audaces. Premier signe du mouvement : le « Street Art », ou Art Urbain, qui a trouvé ici un terreau idéal. Avec l’ambition de rendre aux citoyens une certaine fierté et de susciter leur créativité.
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Un dandy à l’oiseau dans une ville ouvrière. Plus qu’un symbole ! Une fresque de Sozyone Gonzalez à Charleroi (Belgique).
©WBT-DenisErroyaux
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Charleroi mérite qu’on se penche sur son sort. Il s’agit de la deuxième ville de Wallonie avec 200 000 habitants, voire 500 000 si l’on tient compte de la communauté de communes, en cours de constitution, et elle constitue ainsi le deuxième pôle de la Belgique, après Anvers. 

Comment convaincre les investisseurs qu’une métropole est bien décidée à sortir de la grisaille et des balafres laissées par une industrie lourde finissante, qu’elle se dote d’un plan de bataille urbanistique et économique de grande ampleur, et que ses habitants relèvent la tête ?
 

Le « Street Art » comme arme de persuasion 

L’art graphique est apparu comme la voie la plus emblématique pour lancer le mouvement et le rendre visible de tous, dans les rues et sur les routes, où il flirte littéralement avec le ciel. Il est vrai qu’à Charleroi les surfaces offertes aux graffeurs jouent dans la démesure et qu’il était singulier, voire judicieux, de passer d’une expression généralement sauvage et éphémère à une démarche pérenne confiée aux meilleurs artistes de « Street Art » du moment.
 

Le « Street Art » a une dimension très provocatrice, il génère la polémique, le débat, il change le regard sur la ville. 

Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi.

C’est en 2014 que la ville décide de consacrer au « Street Art » sa première Biennale, baptisée « Asphalte ». Une deuxième édition est intervenue depuis qui a laissé, elle aussi, des traces dans maints endroits. Une centaine d’artistes américains, français, danois, australiens, espagnols notamment, se sont lancés dans l’aventure, parmi lesquel-le-s  Sozyone Gonzalez, Maya Hayuk, HuskMitNavn, Hell’O Monsters, Invader, Todd James, Sixe Paredes, Steve Powers et Boris Tellegen. 
 

Husk Mit Navn : un surnom danois imprononçable ? Il signifie « souviens toi de mon nom » !(photo M Jacobs)
Husk Mit Navn : un surnom danois imprononçable ? Il signifie « souviens toi de mon nom » !
©M Jacobs / TV5MONDE


A leurs côtés, des collectifs d’habitant-e-s ou d’étudiant-e-s.  Tous et toutes ont pris, au fil des années, possession de pignons, de murs aveugles, voire de façades entières au centre ville, ainsi que de murs d’usines et de viaducs.

 Paul Magnette : visite de chantier (copyright  Alex Delepinne)
Le bourgmestre Paul Magnette lors d'une visite de chantier à Charleroi.
© Photo de Alex Delepinne

De quoi « allumer » le sourire chez tout passant et l’intriguer. De quoi aussi, comme le confie le bourgmestre de Charleroi, Paul Magnette, faire revenir des artistes qui avaient déserté la ville, en réveillant une grande tradition remontant aux années 1990.  « Un des principaux défis lorsqu’on lance de grands travaux urbains est de gérer le temps. Celui des investisseurs qu’il s’agit de convaincre que la collectivité qui veut les "embarquer" a une vision à 15 ou 20 ans. Et le temps des citoyens, qui veulent des résultats immédiats. Nous n’avions pas les moyens de leur offrir un Guggenheim, confie le haut responsable wallon, lucide et amusé. Nous avons dès lors travaillé avec l’existant. Le « Street Art » a une dimension très provocatrice, il génère la polémique, le débat, il change le regard sur la ville, tout en tenant compte de l’attachement très fort que les habitants ont avec ces cathédrales du XXe siècle que sont nos usines, nos anciens ateliers. Les Carolos (habitants de Charleroi, ndlr) sont fiers de leur environnement, qui est leur référence mentale, parce que leurs familles y ont travaillé de génération en génération et que ce sont elles qui ont fait la prospérité  de la ville. Le Street Art le magnifie ».
 

le gigantisme de Phantom, sur la route vers Marchienne-au-Pont (photo M Jacobs)
Le gigantisme de Phantom, sur la route vers Marchienne-au-Pont.
©M.Jacobs / TV5MONDE

Le recyclage, ici, prend des formes surprenantes. En pleine « zone », au milieu de fresques, dues notamment à Phantom, qui se déroulent tout au long de la route qui va à Marchienne-au-Pont, surgit un bâtiment cathédrale en briques rouges qu’on pourrait croire abandonné. Que nenni, comme diraient les Wallons. Pour le plus grand bonheur des jeunes de la région, les Forges de la Providence, autrefois dépendantes du géant sidérurgique qu’était Cockerill, ont fait place à un lieu branché, Rockerill, connu pour ses « apéros industriels » et ses concerts électro. 
 
Le musée d’art contemporain BPS22 à Charleroi.
Le musée d’art contemporain BPS22 à Charleroi.
©WBT - Denis Erroyaux

Le Musée provincial d’art contemporain, le BPS 22, inauguré courant 2015, et dont l’équipe s’était vue confier l’organisation initiale des festivals de Street Art de Charleroi, a lui aussi investi une halle industrielle cachée derrière une façade néoclassique, vestige de l’Exposition Universelle de 1911 en Belgique. Il dispose ainsi de grands espaces permettant d’exposer des œuvres contemporaines monumentales. Actuellement, c’est la rétrospective de 50 ans de travail de l’artiste belge Marthe Wéry, disparue il y a peu, qui figure aux cimaises et au plancher du BPS 22 jusqu’au 23 juillet.
 

Une tradition picturale bien établie

Charleroi disposait assurément d’un état d’esprit propice à l’humour et à l’expression artistique décalée. 
Ici, le métro, les parcs, les rues adorent le 9ème art et sa fameuse « Ecole de Marcinelle » du nom de la ville voisine connue dans tout le pays pour son ancien charbonnage et ses heures tragiques dans les années 1950.

Fantasio, l’ami inséparable de Spirou, stars de la BD (photo Michèle Jacobs)
Fantasio, l’ami inséparable de Spirou, stars de la BD.
©M.Jacobs / TV5MONDE


Les héros locaux n’ont pas attendu de figurer dans l’espace public pour devenir des gloires internationales. On vous parle évidemment de Spirou, de Fantasio, de Marsupilami, des Frères Dalton et de Lucky Luke : flanqué de sa jument Jolly Jumper, le cow-boy Carolo est la seule statue équestre de Charleroi ! Un honneur insigne quand on pense que la ville a vu passer les troupes françaises juste après la victoire de Ligny, qu’elle a recueilli des milliers de blessés après la défaite de Waterloo et qu’elle bruisse encore des échos de la victoire du Général Jourdan remportée à Fleurus en 1795 ! Poor lonely boy que Napoléon juste évoqué par une plaque historique …

plaque commémorative Napoléon Charleroi
©M.Jacobs / TV5MONDE


Et l’esprit local va jusqu’à se nicher dans le « grand art » : au-delà des expressionnistes locaux du 19ème siècle  Constantin Meunier ou Pierre Paulus, qui ont magnifié les travailleur-se-s et les paysan-ne-s, on retiendra que l’immense peintre surréaliste René Magritte a vécu à Charleroi et y a laissé fresque et tableaux dans quelques lieux à découvrir.

L’Art Urbain, prélude à une nouvelle culture

Au-delà des traces extérieures de réappropriation par les graffeurs, c’est à une ré-urbanisation complète de la ville qu’on assiste aujourd’hui à Charleroi. De quoi alimenter la réflexion du visiteur venu pour le « Street Art » et entraîné avec bonheur dans un cheminement qui dépasse le propos et lui offre des découvertes inattendues. 

Panorama avec la Tour de police de Jean Nouvel (photo WBT Christophe Vandercam)
Panorama avec la Tour de police de Jean Nouvel à Charleroi (Belgique).
©WBT-Christophe Vandercam

C’est donc à une aventure bien plus ambitieuse que Charleroi a voulu convier sa population. La cité entendait aussi ne pas négliger les quartiers de la « classe laborieuse », pour utiliser une terminologie datée. Partir d’un terreau éclaté, vieillissant, et marqué, pour concevoir le « Schéma stratégique 2015-2025 -  Charleroi Métropole » : tel a été le défi lancé par Paul Magnette dès son entrée en fonction. D’aucuns considèrent qu’il s’agit là d’une des plus profondes mutations urbaines en cours en Europe.