Aller au musée pour se soigner l’âme, le corps et l'esprit : c'est l'objectif d'un projet-pilote lancé depuis le 1er novembre à Montréal. Une initiative saluée un peu partout dans le monde, parce que l'art est aussi une forme de thérapie.
Denyse Lalonde se promène dans les salles du Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM). Pour entrer, elle a présenté… une ordonnance ! Sourire aux lèvres, visage serein, elle s’imprègne avec bonheur de la beauté des œuvres d’art qu’elle contemple avec attention. Dans une salle aux lumières tamisées où résonnent des gazouillis d’oiseaux, elle se laisse aller à une bouffée d’émotion en regardant les tableaux : « Les paysages ça m'émeut, j'ai presque le goût de pleurer... c'est de l'émotion oui, mais de l'émotion rassurante, calmante », confie-t-elle, les larmes aux yeux.
C’est pour ça, pour ce moment de pure magie, quand l’art vient nous chercher au plus profond de notre être, quand il suscite cette émotion subtile, qu’a été mis en place ce projet-pilote. « Pendant ce temps, les gens ne pensent pas à leurs petits bobos et ne restent pas à la maison à croire qu’ils sont à part des autres, je pense que c'est très bien comme projet, cela apporte des bienfaits, j'y crois beaucoup », précise Denyse en poursuivant sa visite.
Parce que l'art fait du bien
Fruit d’une entente entre l'organisme Médecins francophones du Canada et le Musée des Beaux-Arts de Montréal, le projet d'ordonnances muséales consiste, pour les médecins, à prescrire des ordonnances de visite au musée à leurs patients.
Le Musée des Beaux-Arts de Montréal a développé depuis des années une expertise en matière d’art-thérapie, offrant des activités très populaires dans son atelier international d’éducation et d’art-thérapie Michel de la Chenelière. Nathalie Bondil, la directrice du musée, est allée dans un premier temps donner une conférence sur les bienfaits de l’art-thérapie devant les Médecins francophones du Canada. C’est dans ce contexte qu’un premier partenariat s’est formé entre le MBAM et l’organisme, qui a demandé au musée si des patients volontaires pouvaient venir exposer et parler de leurs oeuvres lors de son congrès annuel.
L’opération a été un gros succès : des patients enthousiastes sont venus présenter leurs œuvres aux médecins qui ont été conquis. Ils ont ainsi pu voir d’une façon concrète les bienfaits de l’art-thérapie. C’est ainsi qu’est née l’idée de lancer ce projet-pilote : prescrire des ordonnances pour visiter un musée. «
C'est ça l'idée du projet : est-ce que la visite muséale va avoir les mêmes bienfaits que l'art thérapie ? On s'est dit que ce serait plus facile de convaincre les patients d'aller au musée que de s'engager dans un atelier d'art-thérapie », explique la docteure Hélène Boyer, vice-présidente de Médecins francophones du Canada (et médecin traitant de Denyse Lalonde).
Une ordonnance par patient, 50 ordonnances par an
Depuis le 1ernovembre, quelque 2000 médecins de l’organisme ont reçu par courriel l'ordonnance muséale avec les indications : ils peuvent en prescrire jusqu'à 50 par an et chaque patient a droit à une visite qu'il peut faire en compagnie d'un adulte et de deux enfants de moins de 17 ans. A quel type de patient sont réservées ces ordonnances muséales ? Ce sera à chaque médecin de le déterminer : « L'annonce d'un diagnostic de maladie chronique, une maladie neurologique dégénérative aussi, une maladie de troubles cognitifs, troubles de la mémoire, trouble de santé mentale, trouble anxieux, dépression et comportement alimentaire, et moi je vais aussi inciter les médecins à faire une prescription muséale après une hospitalisation », déclare Hélène Boyer.
La docteure dit que ce projet reçoit un accueil enthousiaste de ses patients : « Les patients sont grand sourire ! Ah oui ? Ah bon ? Une visite au musée pour moi ? Les gens sont hyper contents ».
Elle espère maintenant que ses collègues, eux aussi, vont embarquer dans l’aventure. Elle en invite d’ailleurs plusieurs au musée le 20 novembre afin qu’ils réalisent par eux-mêmes les bienfaits d’une visite parmi des œuvres d’art. « Beaucoup de patients ne peuvent pas faire d’exercice physique à cause de leur état de santé, fait remarquer Nathalie Bondil, la directrice du MBAM. Les musées sont des outils extraordinaires dans un monde de plus en plus urbanisé, nous offrons cet espace physique pour avoir ce sentiment de mieux-être, d'émerveillement. Quand on est en contact avec l'art, ça génère des émotions positives, des émotions esthétiques, qui nous permettent d'être mieux connectés avec soi-même d'un point de vue très physico-chimique et de mieux interagir ».
Un projet visionnaire
Ce projet-pilote visionnaire, qui est une première dans le monde, va durer un an. Les médecins feront alors un bilan de l’expérience qui a fait les manchettes un peu partout dans le monde. À la grande satisfaction de Nathalie Bondil, qui est persuadée que la culture sera au 21e siècle ce que le sport a été au 20e siècle : «
Cet écho international est extraordinaire, car c’est l'occasion de parler de l'impact positif des musées pour le mieux-être de nos sociétés. Et notre musée est pionnier en la matière ».
Déjà, plusieurs villes ont fait savoir au MBAM qu’elles étaient intéressées par ce projet. «
Je suis persuadée, au terme de ce projet-là, qu'on va être capable de prouver qu'on a fait beaucoup de bien à nos patients », affirme le Dr Boyer. Denyse, elle, croit en l’art-thérapie : «
Je pense que ça peut aider tellement de gens... Oui, les émotions remontent, mais je pense que ce sont de bonnes émotions, qui peuvent nous apaiser l'âme... C'est un baume ». Elle essuie discrètement une larme qui coule sur sa joue.