Bande-annonce de "Un homme intègre" de Mohammad Rasoulof
Un symbole pour la liberté d'expression : le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof vient défendre en personne à Cannes son film "Les Graines du figuier sauvage", en lice pour la Palme d'or, après avoir réussi à fuir clandestinement le régime de Téhéran.
Le réalisateur Mohammad Rasoulof pose pour un portrait pour le film "La graine du figuier sauvage" au 77e festival international du film de Cannes, dans le sud de la France, le jeudi 23 mai 2024.
"Quand je traversais la frontière, je me suis retourné, j'ai lancé un dernier regard à ma terre natale et je me suis dit +j'y retournerai+", a déclaré le réalisateur, invité jeudi 23 mai sur le plateau de l'émission "C a vous".
"Je pense que tous les Iraniens qui ont dû partir en raison de ce régime totalitaire gardent une valise prête chez eux, dans l'espoir que les choses s'améliorent", a-t-il souligné lors de sa première apparition publique, aux côtés de l'actrice Golshifteh Farahani, exilée en France.
Grande voix du cinéma iranien qui n'a cessé de braver la censure, Mohammad Rasoulof n'a pas mis les pieds à Cannes depuis 2017 et le prix Un certain regard pour "Un homme intègre", film sur la corruption.
Bande-annonce de "Un homme intègre" de Mohammad Rasoulof
Pour Mohammad Rasoulof, la consécration remonte à 2020, avec l'Ours d'Or, la plus haute récompense à Berlin, décernée au "Diable n'existe pas", réflexion brillante sur le libre arbitre et le devoir de désobéir. Un couronnement auquel le réalisateur, aujourd'hui âgé de 49 ans, a assisté depuis l'Iran.
Interdit de sortie du territoire, il avait été condamné l'année précédente à un an de prison pour "propagande contre le système", après son film "Un homme intègre". Après son prix à Berlin, la justice iranienne l'avait sommé de se présenter pour purger sa peine, ce qu'il n'avait pas fait.
Bande-annonce de "Le diable n'existe pas" de Mohammad Rasoulof
Pour échapper à la censure, le réalisateur avait d'abord projeté de tourner des courts-métrages, moins contrôlés que les longs - même si ceux de Rasoulof ne sortent de toute façon pas dans son pays.
Et pour pouvoir se rendre sur les lieux de tournages, il a dû se rendre méconnaissable et faire circuler de faux scénarios, s'était parfois résolu à se faire remplacer. Il raconte aussi qu'un jour, un policier l'ayant reconnu a posé son doigt sur sa bouche pour faire comprendre qu'il ne le dénoncerait pas.
Des conditions de tournage extrêmes que personne n'imaginerait en découvrant la mécanique implacable de ces quatre histoires de désobéissance ou de résignation autour d'un même thème, la peine de mort (246 exécutions en 2020 en Iran selon Amnesty International), vue du coté des bourreaux comme des familles des victimes.
Son nouveau film, "Les Graines du figuier sauvage", promet de déranger encore le pouvoir, racontant l'histoire d'un juge d'instruction sombrant dans la paranoïa, au moment où d'immenses manifestations éclatent dans la capitale Téhéran.
En l'accueillant en personne, le 77e Festival envoie un signal "à tous les artistes qui, dans le monde, subissent violences et représailles dans l'expression de leur art", a souligné le délégué général du festival, Thierry Frémaux.
Et, plus largement, aux opposants au régime en place en Iran, où la répression ne cesse de s'accentuer.
Je devais choisir entre la prison et quitter l'Iran. Le cœur lourd, j'ai choisi l'exil
Mohammad Rasoulof, cinéaste iranien
Amnesty International affirme que l'Iran, secoué par un mouvement de contestation fin 2022 après la mort de la jeune Mahsa Amini, a exécuté 853 personnes en 2023, le nombre le plus élevé depuis 2015.
Les cinéastes sont régulièrement accusés de propagande contre le régime, dans un pays où les conservateurs concentrent tous les pouvoirs. Une donne peu susceptible d'évoluer après la mort récente du président Ebrahim Raïssi dans un crash d'hélicoptère.
Après avoir bravé pendant des années la censure, Rasoulof, condamné en appel à huit ans de prison dont cinq applicables et qui s'est vu privé de passeport, a dû se résoudre à fuir.
"Je devais choisir entre la prison et quitter l'Iran. Le cœur lourd, j'ai choisi l'exil", a-t-il expliqué.
Sa fuite a été clandestine, au prix d'un voyage de plusieurs heures, épuisant et dangereux à travers les montagnes pour passer la frontière à pied. Il l'annonce le 13 mai 2024 sur son compte Instagram.
Rasoulof, arrivé sain et sauf en Allemagne où il a trouvé refuge, a expliqué avoir pu garder secrets "l'identité des acteurs et de l'équipe, ainsi que les détails de l'intrigue et du scénario".
Certains acteurs "ont réussi à quitter l'Iran" à temps, se réjouit-il. Mais de nombreux autres membres de l'équipe y sont toujours "et les services de renseignement font pression sur eux. Ils ont subi de longs interrogatoires. Les familles de certains d'entre eux ont été convoquées et menacées".
Les festivals internationaux et la caisse de résonance qu'ils offrent sont une forme de reconnaissance importante pour les cinéastes iraniens aux prises avec le régime, à l'image de Jafar Panahi ("Taxi Téhéran") ou Saeed Roustaee ("Leila et ses frères"), régulièrement sélectionnés, malgré la répression qu'ils subissent.
Une série de personnalités du cinéma ont exprimé leur soutien à Mohammad Rasoulof dans une lettre ouverte, dont l'actrice iranienne réfugiée en France Zar Amir Ebrahimi et celle de "Anatomie d'une chute", Sandra Hüller, ou encore des cinéastes comme Fatih Akin, Agnieszka Holland et Laura Poitras, ainsi que deux prétendants à la Palme d'or 2024, Payal Kapadia et Sean Baker.