"Chaque son est uniquement la pause d'un silence." Ennio Morricone, 1928-2020

« Un génie absolu. C’était aussi un ami, un grand monsieur, en plus d’être un grand musicien » ce sont les mots de Vittorio Storaro, le chef opérateur de Fellini, ce lundi matin. Ennio Morricone, le grand compositeur de musique de cinéma est mort dans la nuit du 5 au 6 juillet, dans sa ville natale Rome. Il avait 91 ans et plus de 500 musiques de film à son actif.
 
Image
Ennio Morricone Budapest
Ennio Morricone à Budapest en Hongrie en janvier 2016.
© Balazs Mohai/MTI via AP
Partager6 minutes de lecture

Le nom d’Ennio Morricone est une signature sonore à jamais inscrite dans l’oreille de millions de gens, liée à l’univers des western-spaghettis de Sergio Leone. Tout le monde peut siffler le thème lancinant de cet harmonica au moment où la caméra de Sergio Leone fait un gros plan sur les yeux de Charles Bronson dans "Il était une fois dans l’Ouest" (1968).  Ou les vocalises d'Edda Dell'Orso dans "Le Bon, la Brute et le Truand" (1966) qui deviennent matériau orchestral dans le thème de la ruée vers l'or.
Mais Ennio Morricone est bien plus que ça. Il a profondément marqué l’histoire de la musique populaire, composant et orchestrant des chansons.

Né à Rome le 10 novembre 1928 Ennio Morricone a étudié la trompette comme son père, au Conservatoire Santa Cecilia de Rome. Juste après la guerre, il accompagne son père pour jouer dans les boîtes de nuit pour les soldats américains qui le payaient avec des cigarettes et de la nourriture qu’il revendait dans la rue pour se faire quelques sous.
A la fin de ses études, il se passionne pour la musique expérimentale et part en Allemagne suivre les cours de l’école de Darmstadt. A son retour à Rome, il rejoint le groupe de musique contemporaine "Nuova consonanza". Il y fera la connaissance de compositeurs comme Egisto Macchi ou Giovanna Marini.

Pour vivre, il joue de la trompette dans des night-clubs, écrit des arrangements pour des chansons et compose des orchestrations pour la radio et la télévision. Il commence par s’imposer comme l’arrangeur des chanteurs les plus connus de l’époque contribuant à la création de véritables tubes pour Mina "Se telefonando", Giorgio Morandi "In ginocchio da te" et "Sapore di sale" de Gino Paoli. Ennio Morricone signe la bande son de millions d’Italiens dans les années 60. Il débute au cinéma avec le film de Luciano Salce "Il federale" (1961).

Ennio et Sergio

C’est la rencontre avec Sergio Leone qui bien sûr reste dans les mémoires de chacun. Mais le compositeur faisait remarquer avec une pointe d’agacement qu’il avait travaillé "sur plus de cinq cents films et les westerns ne sont qu’une trentaine." Sergio et Ennio avaient été dans la même classe dans l’école "Fratelli delle scuole cristiane".


Sergio Leone le contacte en 1964 pour composer la musique de Pour une poignée de dollars. C’est le début d’une carrière prolifique à travers tous les genres du cinéma. C’est également à cause de Sergio Leone, qu’Ennio Morricone rate son rendez-vous avec Stanley Kubrik, qui aurait souhaité qu’il compose la musique d’Orange mécanique : Kubrik était à Londres et ne voulait pas prendre l’avion, il appelle Sergio Leone qui lui dit que Morricone travaillait déjà pour lui sur la musique de Il était une fois dans l’Ouest… Une anecdote qu'il évoque dans un long entretien avec le réalisateur Giuseppe Tornatore publié en Italie en novembre 2018. Mais le compositeur est très attaché à sa ville natale, Rome, qu'il n'a jamais voulu quitter malgré les propositions que lui a faites Hollywood.

Difficile de relater la longue carrière du prolifique compositeur.
Il a composé les bandes originales de films très marquants comme Il était une fois en Amérique (1984) toujours de Sergio Leone.

ou Novecento (1976) de Bernardo Bertolucci.
 


Sans parler des Moissons du ciel (1978) de l'immense Terrence Malick.
 


Il a aussi travaillé pour Giuseppe Tornatore et son thème d’amour du Cinema paradiso (1988) est entré au Panthéon des compositions les plus connues de la musique contemporaine grâce à l’interprétation qu’en a faite le guitariste Path Metheny, ou plus récemment le violoniste classique Renaud Capuçon.
 


Ennio Morricone a failli remporter un oscar en 1986 pour Mission de Roland Joffé, mais le prix revint au film sur le jazz Autour de minuit de Bertrand Tavernier et la bande son de Herbie Hancock. A nouveau il frôle la récompense ultime avec Les incorruptibles de Brian de Palma en 1987.

Engagé

Homme engagé, il soutient le parti de centre gauche de Walter Veltroni, il l’est aussi dans ses compositions.  Il compose la musique martiale de La Bataille d’Alger (1966) de Gillo Pontecorvo, longtemps interdit en France. C’est lui aussi qui demande à la chanteuse et activiste Joan Baez de participer au film Sacco et Vanzetti de Giuliano Montaldo (1971).
 


Il orchestrera la chanson titre "Here's to you" dont les paroles sont de Joan Baez, qui deviendra un hymne du mouvement pour les droits civiques.

En France, il collaborera avec Henri Verneuil avec l'innénarable Clan des siciliens en 1969 et Le Casse en 1971. Philippe Labro s'offre Ennio Morricone pour son deuxième film Sans mobile apparent, un thriller avec un casting de rêve : Jean-Louis Trintignant, Stéphane Audran, Jean-Pierre Marielle... Morricone y fera appel une nouvelle fois à Alessandro Alessandroni pour siffler le thème du générique :
 

L’académie lui octroie un oscar pour l’ensemble de sa carrière en 2007, mais c’est grâce au film de Tarantino The hateful eight qu’il le remportera en 2016. Il dédiera les deux récompenses à sa femme Maria, rencontrée en 1950, qui cèdera finalement à sa cour pressante en 1956. Elle a été le seul et grand amour de sa vie.
 
Maria et Ennio Morricone
Ennio Morricone et sa femme Maria Tavia au parc à thème sur le cinéma de Cinecittà près de Rome, le 10 juillet 2014.
 
© AP Photo/Domenico Stinellis

"C’était une amie de ma sœur Adriana. Elle m’a tout de suite plu, mais moi beaucoup moins. Et puis Maria eut un accident avec la voiture de son père. Un instant d’inattention et elle s’est plantée. Ils la plâtrèrent entièrement comment on faisait à l’époque. Elle souffrait énormément. Et moi je suis resté auprès d’elle. Et ainsi, jour après jour, une goutte après l’autre, elle est tombée amoureuse de moi. Parce qu’en amour comme dans l’art, la persévérance est tout. Je ne sais pas si le coup de foudre existe, ou l’intuition surnaturelle. Mais je suis sûr d’une chose : la durée, la cohérence, le sérieux, tenir dans le temps, ça existe. Et bien sûr, la fidélité. En tous les cas, nous nous sommes fiancés. Et nous nous sommes mariés le 13 octobre 1956."

La Cinémathèque française, à Paris, lui avait consacré une restrospective en novembre 2018 à l'occasion de son 90ème anniversaire. Pour cet anniversaire, il réalise un long entretien chez lui, dans son appartement romain, avec le réalisateur qui l'a le plus aimé, Giuseppe Tornatore, entretien qui a donné lieu à un livre, pas encore traduit en français, "Ennio un maestro", dans lequel il confiait :

"S'il y a un secret, cherche-le dans le silence. Parce que le silence est musique, autant que les sons, peut-être plus. Si tu veux entrer dans le cœur de ma musique, cherche dans les vides, dans les pauses. Chaque son est uniquement la pause d'un silence. Ma musique part d'ici, de cette idée. Et de deux géants, Johann Sebastian Bach et Igor Stravinsky."