Le réalisateur Jean-Jacques Beineix est décédé à l'âge de 75 ans,chez lui à Paris. Sa carrière cinématographique, bien que courte, aura marqué les années 1980 avec un film culte "37,2° le matin" qui a révélé Béatrice Dalle.
Le réalisateur est décédé le 14 janvier à son domicile parisien des suites d'une longue maladie, comme l’ont communiqué sobrement son frère Jean-Claude, ainsi que sa femme et sa fille.
(RE)voir : Cinéma : disparition du réalisateur Jean-Jacques Beineix
Pour certains, Beineix restera le réalisateur de
"Diva" (1981), César de la meilleure première œuvre l'an suivant, puis de
"La lune dans le caniveau" (1983), qui l'ont fait connaître. Lui se rappelait surtout avoir été insulté à Cannes pour ce dernier film.
Mais la plupart retiendront
"37,2° le matin" (1986), vu par 3,6 millions de spectateurs et qui a depuis accédé au statut de film culte. Il sera rediffusé samedi 22 janvier en première partie de soirée sur la chaîne franco-allemande Arte, en hommage.
Histoire de passion torride et destructrice entre deux écorchés vifs rattrapés par la folie, Betty et Zorg, interprétés par Béatrice Dalle, alors inconnue, et Jean-Hugues Anglade, le film est une adaptation du roman du même titre de Philippe Djian. Nommé à neuf reprises aux César,
"37°2 le matin" fut nommé à l’Oscar du meilleur film étranger.
"Zorg et Betty sont orphelins", a réagi sur Instagram Béatrice Dalle, se souvenant du tournage comme l'une
"des plus belles pages de ma vie".
"Je t'aime", a-t-elle encore écrit à l'intention du réalisateur décédé.
L'actrice Romane Bohringer, dont le père Richard avait obtenu l'un de ses premiers rôles de cinéma dans
"Diva", a elle aussi voulu dire
"merci" au réalisateur :
"Ce film a de fait changé nos vies et marqué mon enfance. J’en garde un souvenir ébloui".
Beineix avait
"un cran, un style, une méthode, la grandiose assurance des entêtés", a salué l'ancien président du Festival de Cannes Gilles Jacob.
Gaumont et l'Académie des César lui ont rendu hommage sur Twitter.
"Il était le cinéaste de toute une génération et avait abdiqué devant le fossé qu’il considérait s’être creusé entre lui et le cinéma. Nous lui devons pourtant de très grands films", a réagi la Sacd (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) sur les réseaux sociaux.
Un cinéastre qui n'aura pas été compris
Né à Paris dans le quartier des Batignolles, dans le 17ème arrondissiement, Jean-Jacques Beineix entame des études de médecine avant de préparer la prestigieuse école de cinéma Idhec (aujourd'hui Femis) qu'il rate de peu.
Ses premiers projets l’amènent à la publicité. Il réalisera notamment le spot de lutte contre le sida multi-diffusé
"Il ne passera pas par moi". Après plusieurs projets, il décide de quitter le milieu.
"C'est bien de mettre son talent au service de causes" et la publicité,
"ce n'était pas des causes", expliquera-t-il.
Après avoir fait ses armes en tant qu'assistant réalisateur de Jacques Becker (pour la série télévisée à succès
"Les Saintes Chéries"), puis auprès de Claude Berri et de Claude Zidi, Beineix réalise en 1980 son premier long-métrage en solo,
"Diva". Il utilise les recettes qui feront sa renommée - photographie soignée, couleurs vives et accrocheuses, réalisme poétique - mais qui lui attirent des critiques réprouvant son
"esthétique publicitaire".
Après
"37°2 le matin" suivront plusieurs films, tous des échecs, dont
"Roselyne et les lions" et
"IP5 - L’île aux pachydermes", le dernier d'Yves Montand, mort juste à la fin du tournage.
En 2001, après neuf ans d'absence, il revient avec
"Mortel Transfert", un échec critique et commercial complet. Il déclare, d'ailleurs, que ce film l'endette fortement.
Le public n'adhère pas à ce film tout en second degré dans l'esprit de son réalisateur. "C'est un film qui a beaucoup plu en Russie, les Russes ont hurlé de rire, aux États-Unis également", affirmait Beineix, regrettant qu'au pays de Lacan, on n'ait pas fait preuve du même sens de l'humour.
Invitée à la première en guise de caution intellectuelle, la psychanalyste Elisabeth Roudinesco en sort furieuse, et éreinte le réalisateur.
Ce sera le dernier long-métrage de Beineix, qui ne tournera plus que des documentaires ("Les enfants de Roumanie", "Place Clichy sans complexes"...), sous la bannière de sa société de production, Cargos Films.
"Le documentaire privilégie le sujet, l'individu et la vérité", soulignait cet homme sujet à "la dépression et l'anxiété", qui a lui-même suivi une psychanalyse.
Beineix fait également une incursion remarquée au théâtre, avec sa pièce sur Kiki de Montparnasse, égérie des plus grands peintres de son temps, et plonge dans la littérature avec un roman, Toboggan, "sur la chute d'un personnage qui a perdu la foi en l'humanité".
Autobiographie déguisée? Il disait avoir été mis de côté, au cinéma. "Le roman, c'est le seul endroit de liberté qui me reste", confiait-il.
"J'ai toujours eu une sorte de doute par rapport au succès. (...) Je me suis toujours demandé ce qui allait me tomber dessus", avouait cet artiste dans l'âme, passionné de cinéma, de théâtre, de littérature, de BD, qui ne doutait pas seulement du succès mais en avait peur.
"Il y a un danger dans le succès, j'ai toujours pensé ça".