Monica Vitti actrice iconique du cinéma italien vient de mourir ce 2 février à l’âge de 90 ans. Celle qui avait inspiré Antonioni et Losey incarnait la comédie à l’italienne. Elle ne sortait quasiment plus de son domicile romain atteinte d’une forme grave d’Alzheimer. Le chef opérateur Roberto Russo, qui fut son mari depuis 1995, l'a accompagnée jusqu'au bout.
"On dit que le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Ce n’est pas vrai. Le monde appartient à ceux qui sont heureux de se lever". Cette phrase de Monica Vitti, partagée de milliers de fois en Italie sur les réseaux sociaux, incarne parfaitement l’esprit de l'actrice.
Monica Vitti fut la muse et compagne du cinéaste Antonioni. Elle a été aussi une formidable actrice comique. En Italie l’émotion est intense car elle avait cette façon spontanée et libre de parler qui la rendait immédiatement attachante. Du Premier ministre italien Mario Draghi qui salue dans un communiqué
"une actrice d'une grande ironie et d'un talent extraordinaire", qui
"a conquis des générations d'Italiens grâce à son esprit, son talent et sa beauté" aux inconnus Romains qui collent sa photo sur les murs du quartier de Trastevere.
La presse italienne avait fêté l'année dernière les 90 ans de l’actrice qui depuis plusieurs années ne sortait plus ayant été atteinte par une forme grave d'Alzheimer, par des documentaires et des hommages. Elle s’est éteinte le 2 février, chez elle à Rome.
Le théâtre pour vivre
C’est toute jeune que celle qui ne s’appelle pas encore Monica Vitti découvre le théâtre.
"J’avais 14 ans et demi et j’avais presque décidé d’arrêter de vivre. J’ai compris que je pouvais y arriver, à continuer à vivre, seulement en faisant semblant d’être une autre en faisant rire le plus possible. J’y suis arrivée très bien au theâtre, dans la vie un peu moins. Ce fut comme un naufragé qui trouve une planche à laquelle s’accrocher." Le thêatre lui sauve la vie. Maria Luisa Ceciarielli entrera à l’Académie des arts dramatiques contre l’avis de ses parents. Elle s'inspire du nom de famille de sa mère, Adele Vittiglia pour créér son nom, un
"nom qui sonne bien", Vitti.
Muse d’Antonioni
C’est en faisant du doublage qu’Antonioni la découvre.
"Elle a une belle nuque, elle pourrait faire du cinéma" aurait-il dit alors qu’elle doublait Dorian Gray dans
Le Cri, en 1957. Monica Vitti alors était une toute jeune actrice de théâtre.
Cette rencontre sera déterminante et donnera quatre films marquants pour l’histoire du cinéma :
L’Aventure,
La Nuit,
L’Éclipse et
Désert rouge. Elle partage l’affiche avec Gabriele Ferzetti et Lea Massari dans l’Aventure, Jeanne Moreau et Marcello Mastroianni dans la Nuit et l’incandescent Alain Delon dans l’Éclipse.
Elle partage la vie de Michelangelo Antonioni car comme elle disait elle-même dans une interview filmée pour la
presse française "J’ai besoin de vivre avec l’homme que j’aime, de travailler et de vivre tout le temps avec lui. Il faut penser qu’on n’était pas tout le temps comme ça dans les films d’Antonioni dans la vie. Moi je suis très drôle. Du moins, c’est ce qu’on dit… "Ils vivront ensemble dix ans, de 1957 à 1967.
La rencontre avec Mario Monicelli
Après cette série de films sur l’incommunicabilité, elle fait la rencontre de Mario Monicelli, maître de la comédie, qui lui propose un personnage complètement différent de ceux qu’elle incarnait : Assunta Patanè, une jeune sicilienne qui poursuit l’homme qui l’a déshonorée jusqu’en Écosse :
La Ragazza con la pistola. Il l'affuble d'une grande natte noire, elle qui n'a jamais voulu changer de look, dans la vie comme dans tous ses films, affichant une crinière blonde aux boucles souples.
Nous sommes en 1968 et elle est conviée à Cannes pour faire partie du Jury du Festival, Festival qui en solidarité avec les manifestations et la grève générale finalement n’aura pas lieu. Monica suivra les cinéastes de la Nouvelle Vague et démissionne du jury.
Ettore Scola croit aussi dans le talent comique de Monica Vitti. Il la filme au centre de l’inénarrable triangle amoureux de
Dramma della Gelosia avec Marcello Mastroianni e Giancarlo Giannini.
Reine de la comédie à l’italienne
C’est dans la comédie que Monica Vitti triomphe pendant les années 1970. Sa personnalité solaire et forte fait qu'elle peut tenir tête aux grand protagonistes masculins de l'époque, Vittorio Gassman, Ugo Tognazzi ou Alberto Sordi.
C'est ce dernier qui la fera jouer dans trois films, qui ne sont peut-être pas des chefs d’œuvres mais auront marqué à jamais la mémoire auditive de générations d’italiens comme dans
Polvere di stelle (Poussière d’étoile - 1973) où elle incarne une soubrette sexy qui chante
"Mais où vas-tu si tu n’as pas la banane ?" aux sous-entendus graveleux et bon enfant...
Elle n’avait pas la beauté inatteignable de Sofia Loren, ni le format Vénus de poche de Gina Lollobrigida. Elle ne brille pas, ne minaude pas, mais crève l'écran.
Elle disait d’elle-même
"Les actrices – celle qui sont moches – qui ont du succès aujourd’hui en Italie le doivent à moi qui a enfoncé la porte" et quand on lui disait que non, qu’elle était magnifique, elle répondait avec un de ses sourires extraordinaires
"vous êtes sûr ?"Cet humour, elle en fait une démonstration éclatante quand par erreur le quotidien français
Le Monde publie la nouvelle de sa mort, par suicide, en 1988 ! C’est un canular, mais le quotidien du soir qui imprime son édition à 13 heures n’a pas eu le temps d’interrompre le tirage. L’actrice lira de son vivant, les éloges que l’on réserve généralement aux morts écrira le quotidien romain
Il Messagero pour excuser
Le Monde qui lui enverra un bouquet de roses rouges.
Elle reste fidèle à une coiffure, aux lunettes à larges montures, aux colliers en pierres dures, c’est le style Vitti. Un style qui a inspiré la grande actrice anglaise Helen Mirren qui confiera
"Mon idole est Monica Vitti. Quand j’ai vu L’Aventure j’avais à peine 15 ans et c’est là que j’ai su quelle artiste je voulais être, quel type de sensualité je voulais dégager dans mes films et dans ma vie, c’était celle de Vitti et de Magnani, un charme qui ne s’éteint pas, qui résiste même quand tu es une femme mûre."
Dans son autobiographie publiée en 1993
"Sette sottane" elle écrivait
"Dans ma vie, à un certain moment, sans m'en rendre compte, j'avais décidé d'oublier. Ne pas oublier les douleurs et les erreurs, mais oublier les faits, les personnes, peut-être seulement confondre tout. Les sentiments resistent parce qu'ils sont en dehors de ma volonté : on aime même quand on ne le voudrait pas. Les sentiments ont leur vie propre, sans règles, sans buts définis."L'actrice avait graduellement perdu la mémoire, n'apparaissant plus en public depuis 2002. Mais sa voix, elle, encore plus que son image, reste à jamais gravée dans nos mémoires. Parfois un peu rauque, voilée, au grain unique, nous pouvons encore l'écouter sur France culture qui lui avait consacré un portrait en 1996
"Le Bon plaisir de Monica Vitti".