"
Ce qu'il y a de terrible dans le mariage, c'est qu'on ne peut plus s'isoler. Tu n'as plus de mystère pour moi " assène Odile (Nadine Ballot) à Jean-Pierre (Barbet Schroeder) son jeune époux dans
Gare du Nord, court métrage signé Jean Rouch. Non, rien ne va plus chez ce jeune couple.... Comme d'ailleurs au sein de la Nouvelle Vague, en 1965, quand sort ce film-ovni que réédite aujourd'hui les Editions Montparnasse en DVD.
Paris vu par..., au commencement, émane d'une idée originale : solliciter six cinéastes emblématiques du mouvement et leur demander de choisir un quartier parisien qui sera le décor naturel de leur fiction. Les films seront tournés en 16mm couleur et son synchrone. Dans ce Yalta artistique parisien, Jean Douchet choisit Saint-Germain-des-Près, Jean Rouch opte pour la gare du Nord, Jean Daniel Pollet la rue Saint-Denis, Eric Rohmer la place de l'Etoile, Chabrol le quartier de la Muette et Godard, qui triche un peu, Montparnasse.... et Levallois.
Paris vu par...
film-testament ?
La fine équipe sait-elle, à ce moment-là, qu'elle tourne la dernière oeuvre importante du mouvement ? Sans doute, oui. Le filon s'est tari. En 1962,
Eric Rohmer connaît l’échec avec Le
Signe du Lion puis, l’année suivante, rebelote pour Jean-Luc Godard qui fait un bide majeur avec ses
Carabiniers, qui attirent moins de 3000 spectateurs
dans les salles
. Le cinéaste signe ainsi
“le plus grand bide de la Nouvelle Vague". Idem, la même année, pour
Jacques Rozier avec
Adieu Philippine.
Il suffisait de n'avoir rien fait pour devenir cinéaste
Claude Chabrol
Les producteurs sont devenus frileux, échaudés par des faillites en série.
Tout avait pourtant si bien commencé !
Le terme "Nouvelle Vague", on le sait, a été employé la première fois par la journaliste
Françoise Giroud à la une de l'hebdomadaire l'
Express en octobre 1957 pour détailler les résultats d’une enquête sociologique.
Mais le terme accroche.
Le critique Pierre Billard le reprend pour évoquer le Festival de Cannes en 1959, où François Truffaut décroche le Prix de la mise en scène pour son premier film
Les 400 coups. La Nouvelle Vague prône l'improvisation, utilise des décors naturels, ne répugne pas à engager des comédiens amateurs et jouit de nouvelles caméras plus légères tout en utilisant des pellicules plus sensibles.
Autant de passeports pour honorer la liberté.
Rien de révolutionnaire, cependant.
John Cassavetes a expérimenté la chose quelques années plus tôt avec
Shadows et, dès 1955, Agnès Varda signera avec
La Pointe courte un film correspondant aux nouveaux critères désormais en vigueur. Le ton est nouveau. Il plait. Truffaut assure en 1962 que "
le seul trait commun des auteurs nouvelle vague était leur pratique du billard électrique". Chabrol dira plus tard "
C'était l'époque où il suffisait de n'avoir rien fait pour devenir cinéaste."
L'auteur, désormais, est le roi. Il a toujours raison. Il ne faut pas le contrarier. Son "vécu", son "parcours", son "imaginaire" dominent. Mais encore faut-il avoir du talent !
100 premiers films
Entre 1958 et 1962, la France produit plus de 100 premiers films et les
Cahiers du Cinéma publient un dictionnaire des "162 nouveaux cinéastes français". C'est beaucoup. C'est trop. Sans scénario et souvent réalisés sans aptitude ni maîtrise aucune, les films se suivent. Et si une chose les rassemblent, c'est bien l'ennui qu'ils procurent. Ces jeux de l'égo lassent les spectateurs qui préfèrent, modernité oblige, rejoindre les rangs grossissants des téléspectateurs.
La télévision, en effet, s'impose.
Le triomphe du film à budget réduit a vécu. Michel Audiard, dialoguiste moult fois égratigné par les ayatollas libertaires de la pellicule, peut se venger. Féroce, il publie dans
Arts une des formules assassines dont il a le secret : "
La nouvelle vague est morte. Et l'on s'aperçoit qu'elle était, au fond, beaucoup plus vague que nouvelle."
Reste que, malgré tout, un vent nouveau a soufflé sur le cinéma français, et grâce à la Nouvelle Vague, certains talents ont pu éclore (Truffaut, Rivette, Godard, Chabrol) et ont réalisé chacun une belle carrière.
Paris vu par... rassemble certains de ces talents-là.
Paris vu par..., film gâteau
Paris vu par... est une récréation des yeux dont le temps a patiné les défauts (film souvent bavard, justesse approximative de certains comédiens, scénarios très légers). On peut parler de film-gâteau découpé en 6 morceaux d'inégales saveurs.
Paris vu par... réussit pourtant quelque chose d'étonnant : une immersion dans l'intime d'une ville et une descente dans les coeurs de ses habitants.
Le charme opère.
Le point commun de ses six films est sans doute l'amour. L'amour que l'on cherche, que l'on fait, que l'on achète, que l'on attend, que l'on perd.
C'est aussi l'occasion de voir la capitale française comme elle était alors, avec ses affiches, son métro, ses personnages inquiets, fébriles ou satisfaits (mention spéciale à Claude Chabrol, étonnant de justesse dans la peau d'un réac pur sucre, petit bourgeois ignoble).
Il flotte dans cette oeuvre collective une légèreté servie par la fluidité d'une caméra-reportage toujours au service des comédiens.
Paris est donc la tapisserie de ces six intrigues-pâtisseries.
900 tournages chaque année
Et le charme de la ville-lumière ne s'est jamais éteint. Long métrage, téléfilm, photo publicitaire, documentaire, court métrage, chaque année, Paris accueille plus de 900 tournages dans 5 000 lieux de décors naturels et différents.
Paris vu par..., qui connaîtra un succès modeste lors de sa sortie en salle, mérite aujourd'hui une nouvelle vision. A noter que l'aventure de ce film à sketches fera des petits. Basée sur le même principe d'une histoire distincte selon un arrondissement ou un quartier, une suite verra le jour en 1984 (
Paris vu par...20 ans après) et une autre en 2006 (
Paris, je t'aime).
La fiction aime la capitale, qui le lui rend bien.
"Paris vu par..."
Sortie du DVD le 2 mai 2017
Edition Montparnasse
Prix de vente indicatif : 20 euros