Cinq cents ans de la Réforme, Jean Calvin, inventeur oublié de la langue française moderne ?

Le monde protestant célèbre les 500 ans de la naissance de la Réforme. Le 31 octobre 1517, Martin Luther dénonçait certaines pratiques de l'Eglise catholique. En 1541, Jean Calvin, publie à Genève en français ce qui deviendra l'un des textes les plus influents du protestantisme, l'Institution de la religion chrétienne. Cet ouvrage jette les bases de la langue française moderne, selon Olivier Abel, professeur à la faculté protestante de Montpellier. Entretien.
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Le mur des réformateurs à Genève
Le mur des Réformateurs à Genève, bati en 1909 lors du 400ème anniversaire de Calvin. De gauche à droite: Guillaume Farel (1489-1565), Jean Calvin (1509-1564), Théodore de Bèze (1513-1605), John Knox (1513-1572).
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Dans quel contexte est écrit ce livre, L’Institution de la religion chrétienne ? Comment peut-on le définir ?
 
Olivier Abel : L'Institution de la religion chrétienne, dès sa première version latine imprimée par Platter et Lasius à Bâle en 1536, constitue l'acte de naissance du protestantisme français.

Dans ce texte relativement bref (520 pages de 24 lignes), Calvin propose à François Ier en même temps qu'un exposé systématique de la foi réformée, une défense des protestants français accusés injustement, selon lui, d'être un danger pour l'unité du royaume et de la religion. Il propose ainsi une première dissociation entre la loyauté politique et l’allégeance religieuse. 

Institution de la religion chrétienne
Une éditionde l'Institution de la religion chrétienne publiée à Lyon en 1565.


Cette première Institution propose une réflexion sur ce que signifie le geste d’instituer, de rompre pour recommencer tranquillement, et dans le même temps de former des chrétiens adultes, capables de lire la Bible par eux-mêmes.  

Ecrit par un jeune juriste de 25 ans, influencé par Luther et Platon, et qui n’avait jusque-là rien publié qu’un commentaire de Sénèque, ce livre sera repris et étoffé dans sa première version française rédigée à Strasbourg et publiée à Genève en 1541. 

Ce livre va connaître un immense succès depuis les débuts presque clandestins jusqu’à l’édit de Nantes en 1598 qui met fin aux guerres de religions, puis de plus en plus difficilement sous les persécutions qui conduisent à sa Révocation sous Louis XIV en 1685.

Chaque famille française protestante lettrée possède LInstitution de la religion chrétienne. Mais c’est pourtant sans aucun doute le texte qui a été le plus interdit de toute l’histoire de France.
 
 
Ce texte, pourtant, est selon vous l’un des livres fondateurs de la langue française moderne ...
 
La langue de Rabelais, notamment dans Gargantua est une langue fleurie. Cette langue s’apparente encore à un français très médiéval. On retrouve cette langue verte dans la première édition en français de L’Institution de la religion Chrétienne en 1541, mais déjà tellement plus proche du français moderne.

Calvin dit, par exemple, à l’encontre de ceux qui pensent que les Ecritures contiennent de manière presque magique une présence divine : « Je ne veux pas qu’on vienne me gazouiller qu’il y ait dans les syllabes quelques majesté enclose ». Ou bien «  Quoi ? Y a-t-il si grand mystère en la coiffe d’une femme, que ce soit un un grand crime de sortir en la rue tête nue ? Le silence lui est-il tellement commandé qu’elle ne puisse parler sans grande offense ? Y a-t-il telle religion à fléchir le genou ou envelopper un corps mort, qu’on ne puisse laisser ces choses sans crime ? ». 

Calvin
Portrait de Jean Calvin.


Entre 1541 et 1560 la langue de Calvin progresse encore vers le classicisme français. On peut même dire qu’il en jette les bases. Il recherche des idées claires et distinctes, il distingue les genres, il établit des séparations, il interprète : c’est la langue d’un juriste.

Et c’est pourquoi nous avons si peu de mal, et je dirai même autant de plaisir à lire Calvin. De Rabelais à Calvin nous passons d’une langue médiévale à une langue moderne, qui prépare Montaigne et souvent déjà Racine.

C’est étonnant pour l’époque, qui est celle de Nostradamus, de ses obscurités et de son latin de cuisine. Jean Calvin révolutionne également l’édition. Ses commentaires bibliques développent des sommaires, des index.
 

Après Calvin, le français n’est plus une langue du peuple, un peu méprisée. Elle devient une langue savante, une langue intellectuelle et civique.

Olivier Abel, professeur.

Peut-on considérer que Calvin transforme l’usage du français comme l’a pu faire Luther en traduisant la Bible pour la langue allemande ?
 
Après Calvin, le français n’est plus une langue du peuple, un peu méprisée. Elle devient une langue savante, une langue intellectuelle et civique. L’enseignement des futurs pasteurs, des fidèles protestants se fait alors en français. La rhétorique est enseignée en français et non pas en latin comme c’est le cas pour l’église catholique au XVIème siècle où le latin conserve sa fonction liturgique et sacramentelle.

Ce mouvement n’est pas seulement dû à Jean Calvin. Il est lié à la Réforme et notamment à ce qui se passe à Genève à ce moment-là. La population de la ville double avec les réfugiés. Des maisons d’éditions voient le jour en français.

Pierre Robert Olivetan, originaire de Noyon en Picardie, comme Jean Calvin, traduit la Bible en Français. Cette première traduction va être publiée à Genève. Clément Marot traduit les Psaumes en français. La diffusion de toutes ces traductions et textes est contemporaine du développement de l’imprimerie au XVIème siècle, et Genève qui avait reçu de nombreux imprimeurs exilés inonde alors l’Europe et le monde de ses éditions.
 

A bien des égards Calvin est au commencement de la modernité et de la pensée française la plus classique.

Olivier Abel, professeur.


 
Malgré cet apport, les réformateurs ont été oubliés. Jean Calvin, contrairement à Montaigne, ne figure pas dans les manuels français de littérature. Comment expliquez-vous cet oubli ?
 
C’est un auteur refoulé. La plupart des Français pensent que Calvin est suisse, sinon américain ! L’image du personnage a été désastreuse, entretenu par de nombreux auteurs, y compris protestants. Stéphane Zweig l’a comparé à Hitler. C’est terriblement faux et injuste.

Au même titre que Montaigne, qu’il prépare, Jean Calvin appartient à l’humanisme, un humanisme de la modestie humaine. Il prépare aussi bien Descartes, par la radicale extériorité de Dieu au monde, désormais entièrement mesurable, et Rousseau, et toutes les théories du contrat social sont issues de sa théologie de la nouvelle alliance. A bien des égards, Calvin est au commencement de la modernité et de la pensée française la plus classique.

Jean Calvin et Genève, la "Rome protestante"

Jean Calvin est né à Noyon en Picardie en 1509. Il est un théologien et un pasteur emblématique de la Réforme protestante. Après des études de droit, il rompt avec l’église catholique vers 1530. Il se réfugie dans un premier temps à Bâle, puis rejoint  durablement Genève à partir de 1541 où il organise le rayonnement de la Réforme à Genève. La République de Genève devient alors la "Rome protestante". La ville connait un bouillonement intellectuel et théologique sans précédent, non sans violences. La création d'un collège rend l'enseignement gratuit et obligatoire. Une première. Jean Calvin meurt en 1564.

=> A lire : Jean Calvin, Editions Pygmalion, Paris 2009, de Olivier Abel.