Covid-19 en France : pour le baryton Ludovic Tézier, "le vivant c'est dans les salles !"

Le coronavirus a plongé le monde culturel dans le silence. Les salles de spectacle sont fermées depuis novembre 2020. Mais de grandes voix s’élèvent contre cet état de choses dans le monde, comme celle du baryton français Ludovic Tézier.
 
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Ludovic Tézier
Ludovic Tézier
© Cassandre Berton
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Le "roi des barytons français" Ludovic Tézier a la chance, comme il le dit lui-même, de faire partie de ces artistes qui continuent à travailler. Depuis le premier confinement, il veut attirer l'attention sur les chanteurs précaires.

L’artiste lyrique se dit privilégié. Le 7 mars, il a donné un récital à la Scala de Milan, enregistré dans les conditions du direct, que le public pouvait suivre sur Internet.
 
Il s'est aussi produit en début d'année à l'Opéra de Paris pour une captation d'Aïda de Verdi. Et il a chanté devant un public cette fois-ci, à l'Opéra de Monte-Carlo dans Thais de Massenet fin janvier. Lors de la sortie de son disque récital en février, consacré aux plus belles pages de Verdi pour baryton, il avait exprimé sa révolte face au confinement et à la prise de position des gouvernements. "Le but des politiques est-il de saborder le spectacle vivant ?"

Lanceur d'alerte

En avril 2020, le chanteur a été parmi les premiers à tirer la sonnette d'alarme, appelant dans une tribune publiée dans le quotidien Le Monde le président Emmanuel Macron à "sauver la culture en France". Lucide sur la crise économique corollaire de la pandémie, il rappelle la fragilité de ces professions : "Il y a bien peu de nantis dans ce petit monde laborieux, bien peu dont le calendrier aille outre les dix prochains mois. La vie des artistes est un combat quotidien sans aucune certitude qu’une signature au bas d’un papier."

Au même moment, avec son collègue le ténor allemand Jonas Kaufmann, il lance une pétition à l'Union européenne pour demander le soutien de l'art lyrique et du spectacle vivant.

Au début de l'année 2021, c'est au tour du chef d'orchestre Riccardo Muti de protester. Il profite de la formidable tribune que lui offre le traditionnel concert du Nouvel An à Vienne, qu'il a dirigé dans une salle vide, pour lancer un plaidoyer à l'attention des chefs de gouvernement en proclamant que la culture est un bien essentiel.
 
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Deux semaines plus tard, le ténor Jonas Kaufmann profite d'une conférence de presse avant un récital à Madrid le 14 janvier pour dénoncer la situation désespérée dans laquelle se trouvaient beaucoup de musiciens.

N’ayant pas pu chanter depuis des mois devant un public en chair et en os, le ténor avait souligné "le besoin" d’établir un lien avec le public : "Ce qui nous manque [depuis le début de la crise sanitaire] c'est cette connexion. Peu importe que les gens portent des masques. Je sentirai sans doute même leur présence derrière un rideau".

Kaufmann dit que les spectacles virtuels ne peuvent égaler ceux en public : "Normalement, il y a les applaudissements et après on se détend, on commence à sourire et tout va bien. Mais quand vous n'avez que le silence éternel, que pouvez-vous faire? C'est gênant. Donc désolé mais... public, nous avons besoin de vous et nous avons de vous plus que jamais !"
 
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Ludovic Tézier défend le régime des intermittents du spectacle, une spécificité française. Emmanuel Macron leur avait accordé une "année blanche" en 2020 mais face au manque de cachets, ils réclament la prolongation de leurs droits.

"Dans les pays anglos-saxons, [les artistes précaires] n'ont pas de système de soutien ; en Allemagne, on m'a demandé récemment comment fonctionnait l'intermittence en France ; c'est un système que le monde entier nous envie", déclare M. Tézier, avant le début du mouvement d'occupation dans les théâtres en France, qui a commencé en mars.

S'il se félicite des montants obtenus par la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, il affirme que le milieu doit également "agir artistiquement" : "Il faut préparer la réouverture comme un navire de guerre n'éteint jamais ses chaudières".

Pour le chanteur, l'art lyrique "était déjà fragilisé avant la crise par les a priori : l'art lyrique c'est pour les vieux, c'est poussiéreux, ce sont de grosses voix qui sont dans le gargarisme permanent, avec des personnages qui mettent trois heures à mourir sur scène". Mais pour lui, "le poncif ultime et absolument faux est que l'art lyrique coûte plus qu'il ne rapporte à l'Etat. L'écosystème lyrique, c'est aussi le chauffeur de taxi qui emmène monsieur et madame à l'opéra ou la pizzeria qui accueille les jeunes qui ont vu le même spectacle", explique le chanteur à l’AFP.

"L'opéra requiert un nombre de talents d'artistes et d’artisans incomparable, des chanteurs aux charpentiers. C'est un travail d'excellence qu'on retrouve dans toute la France, on n'est pas des parasites", ajoute-t-il.

Ludovic Tézier est né il y a 53 ans, dans une famille modeste d’ardents mélomanes, où on écoutait constamment la radio et des disques vinyles. "Mon premier grand choc opératique, ce fut pour mes 13 ans, quand je reçus comme cadeau mon premier billet d’opéra pour entendre Parsifal à Marseille, ma ville natale." Et pour sa première fois à l’opéra son père lui offre une très belle place, en balcon. Depuis ce fameux jour, le virus de l’opéra ne l’a plus quitté.

Le baryton milite depuis longtemps pour une meilleure promotion de l’opéra auprès des plus jeunes, à l’instar de la mezzo-soprano Beatrice Uria Monzon. "La question de l’art lyrique en France est une question politique, qui pourrait se régler au niveau des municipalités tout d’abord. On pourrait déjà initier plus d’enfants en ouvrant systématiquement les générales et les pré-générales aux écoles. De la sorte, on offrirait à tous les enfants les mêmes choix les mêmes rêves que ceux offerts aux enfants de mélomanes" confiait-il à Forum Opéra en 2007.

Aujourd’hui, quand on lui pose la question des captations de spectacles sans public, il répond avec son franc-parler habituel : "Je ne suis pas fan du pain à la moutarde, mais le jour où j'ai faim, j'en mange. En revanche, il ne faut pas parler de live. Je revendique l'appellation d'origine contrôlée pour ce mot. Le vivant, c'est dans les salles !"