Alors que Jean-Patrick Gille, député PS, vient d’être nommé médiateur face à la grève des intermittents du spectacle, le mouvement de colère ne faiblit pas. Il s’oppose toujours à la future convention chômage réformant leur régime particulier, décidé par le gouvernement. Premières conséquences et potentielles répercussions de ce mouvement de grève.
Huitième jour de grève au Printemps des comédiens, à Montpellier, annonce de nouvelles actions à Thionville, Toulouse ou encore Boulogne-sur-Mer, annulation de la première de la Traviata à l’Opéra Bastille, menace sur le festival d’Avignon… les intermittents ne décolèrent pas. Face à cette rogne, le médiateur nommé par Manuel Valls doit remettre ses propositions au gouvernement sous les 15 jours. Mais ce n’est pas gagné. Les premières répercussions de cette grève se font ressentir, et si la situation ne s’améliore pas, d’autres conséquences sont à prévoir.
Premières pertes économiques
Premier touché par la grève des intermittents, le "Printemps des comédiens", festival de théâtre et du spectacle vivant, qui devait débuté mardi dernier a déjà commencé à rembourser les spectateurs, suite à l’annulation des premiers spectacles. « Nous devons être à plus de 6 000 billets remboursés, sachant que le prix moyen d’un ticket est de 15 euros » affirme Jean Varela, directeur du festival. C’est donc plus de 90 000 euros de perdus, sur un chiffre d’affaire d’environ 400 000 euros par an, rien que sur la billetterie. « L'avenir du festival est menacé par ce qui se passe actuellement. Même si demain la grève n'est pas reconduite, nous ne pourrons pas jouer tout de suite. Il faut au moins trois ou quatre jours pour que les spectacles soient montés » explique Jean Varela.
Dans la banlieue de Montpellier, un autre festival a été touché par la grève des intermittents : celui de Villeneuve-les-Maguelone qui accueille chaque année plus de 2 000 spectateurs. Jeudi soir dernier, un des concerts les plus importants de l’événement a du être annulé suite à l’occupation de la scène par les grévistes. Une situation qui a impacté financièrement le festival. « Nous avons perdu environ 17 000 euros liés au concert (dont 11 000 euros de cachet) et environ 6 000 euros concernant la billetterie. Pour ce qui est des 25 000 euros de mécénat (soutien financier, ndlr), il est plus que menacé » regrette Philippe Leclant, directeur artistique du festival qui a d’ores et déjà annoncé qu’il irait en justice. « Même si je comprends leur problématique, je ne suis énervé qu’on s’en prenne à de petites manifestations comme la notre. Et je ne supporte par cette méthode de prise en otage » s’insurge-t-il.
Il ajoute que le président du Conseil général de l'Hérault et son vice président en charge de la culture étaient présents le soir de l’annulation du concert. « Ils étaient concernés et m’ont dit : « en période de crise, on parvient à trouver de l’argent pour l’utiliser dans la culture, et voilà le résultat ».
De son côté, Bernard Foccroulle, président du festival d’Aix-en-Provence, a précisé à l'AFP : « Il faut que l’opinion publique sache que si ce régime est mis en cause, c’est l’ensemble de l’économie du spectacle vivant qui va basculer ». Et d’ajouter : « Le Medef ne prend pas suffisamment en compte la mesure de l’impact de la culture dans le champ économique ».
Rémunération
Dans ce contexte, les grévistes ne sont pas rémunérés, sauf arrangement avec la compagnie. C'est une des conséquences directes du boycott des spectacles. Et ce n'est que le début. Si la grève continue et s'étend à d'autres festivals, la question de la rémunération va être de plus en plus primordiale. Les intermittents vont-ils être rémunérés si tous les festivals sont annulés ? « C’est une question qui se pose tout le temps pour nous mais ce sera débattu en assemblée générale. On demande aux salariés de se prononcer ce sont ceux qui travaillent qui décident. Il ne faut pas que les annulations se fassent pas des blocages de l’extérieur » explique Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT spectacle.
Dégradation de l’image des festivals
Jean Varela, directeur du "Printemps des comédiens" en est presque persuadé, « si le festival continue, la majorité du public lui restera fidèle. Quand je discute avec les spectateurs, beaucoup me disent qu’ils nous soutiennent. Certains ne se font pas rembourser et laissent l'argent au festival ou pour la caisse de solidarité mise en place par les intermittents ».
Pour Philippe Leclant, au contraire, les grèves des intermittents ont de graves répercussions sur l’image des festivals en général, et surtout auprès de la clientèle étrangère. D’ailleurs, 10 à 15 % de sa clientèle n’est pas française et « ils sont remontés comme des pendules ! Beaucoup de personnes m’ont dit qu’elles ne reviendraient plus » souligne-t-il. « Quelle image cela donne de la France à l’étranger ? ». Un point de vue confirmé Paul-Henry Fleur de la mairie d'Aix-en-Provence. L'annulation du festival d'Aix en 2003 a « endommagé son image. C'était la première fois qu'il était annulé depuis sa création en 1948. »
Dans ce climat tendu, la ministre de la Culture, Aurelie Filippeti, vient d'annoncer l'avancement de la concertation tripartite entre l'Etat et les partenaires sociaux sur les intermittents. Celle-ci était prévue cet automne mais sera avancée "au début de l'été". Parallèlement à cette déclaration, les mouvements de grève continuent : le Printemps des comédiens vient de reconduire la grève débutée mardi dernier, et à Châlons-en-Champagne, des compagnies ont annulé leur spectacle programmé dans le cadre du festival "Furies" d'arts de la rue. Le rapport de force continue.
Intermittents : les raisons de la colère
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Qu’est-ce que la réforme de l’assurance chômage ?
L’accord a été conclu entre le Medef et trois syndicats (FO, CFTC, CFDT) le 22 mars dernier. Il réforme le statut des intermittents en imposant un nouveau calcul du différé d’indemnisation : le délai entre la perception du dernier revenu et le versement des allocations-chômage va s'étendre.
Le texte sur l'assurance chômage doit être examiné le 18 juin par le Conseil national de l'emploi. Il devrait ensuite entrée en vigueur le 1er juillet prochain après avoir obtenu l’agrément du ministère du Travail.
Scénario de 2003 ?
La dernière grande crise des intermittents remonte à 2003. Elle avait entraîné l’annulation des festivals d’Avignon, d’Aix-en-Provence et des Francofolies de la Rochelle : trois poids lourds dans le domaine du spectacle. Plus de dix ans après, la menace plane de nouveau sur la saison d’été des festivals. Pour Denis Gravouil, le secrétaire général de la CGT spectacle « ce serait incroyable, sous un gouvernement dit de gauche, qu’il n’y ait absolument aucune mesure sur laquelle nous puissions nous entendre (gouvernement et intermittents, ndlr), même partiellement. Mais si c'est le cas, un scénario à la 2003, n’est pas exclu ».
La mairie d’Aix-en-Provence ne préfère pas y penser. Mais les mauvais souvenirs de 2003 refont surface, à la veille du coup d’envoi du festival. Il y a dix ans, la grève des intermittents du spectacle avait eu de graves répercussions économiques sur la ville. « Habituellement, le festival génère 29 millions de retombées économiques. En 2003, la ville avait perdu environ 10 millions d’euros » reconnaît Paul-Henry Fleur, membre de la direction information et communication de la mairie d'Aix-en-Provence.
Du côté du festival d’Avignon, la direction « ne s’exprime pas oralement » (pour l’instant) sur ses éventuelles inquiétudes. Pourtant, selon l’AFP, le président d’Avignon Festival et Compagnies craint que par effet de contagion, d’éventuelles perturbations du festival officiel cet été dissuadent les spectateurs de venir dans le Off.
Les retombées économiques de l’événement sur la ville se chiffrent à 25 millions d’euros et celui-ci participe largement à l’économie locale durant le mois de juillet.