Ses doigts s’entremêlent avec les cheveux crépus de sa cliente. Depuis cinq ans, Seyna Biteye coupe, natte et prend soin des boucles des hommes et des femmes, dans son salon du 9ème arrondissement de Paris.
La douce odeur mentholée d'un masque capillaire envahit la pièce. «J'ai une clientèle assez variée. Pour les nattes, il vrai que la demande est plus importante ces derniers temps. Des femmes de toutes les origines m'en réclament. Des noires mais aussi des blanches. » explique Seyna Biteye.
Les nattes collées reviennent régulièrement sur le devant de la scène. On les retrouve sur les défilés, dans les pubs, les magazines et sur les célébrités. Dernièrement, ce sont des stars américaines qui ont inondé les réseaux sociaux de clichés où elles s'affichent les cheveux nattés.
Un phénomène décrypté par Mymou, rédactrice beauté pour le site Le club des cotonettes : « les critères de beauté afro sont repris et sont considérés comme beaux dès lors qu'ils sont sur des personnes claires de peaux. Par exemple, Kim Kardashian est souvent taxée de copier la culture afro. Récemment, elle a rebaptisé une coupe fulani « Bo Derek » ce qui lui a valu de nombreuses critiques. » (ndrl : Bo Derek est le nom d'une actrice blanche américaine qui arborait ses cheveux nattés dans le film Elle en 1979.)
« Le problème ne réside pas dans le fait que d'autres femmes que les noires portent ces tresses mais plutôt dans cette appropriation culturelle qui consiste à gommer l'origine même de ces coupes. Ce sont des tresses fulani, inventées sur le continent africain », ajoute Mymou.
« Fulani » signifie Peuls en anglais. Les tresses mises aujourd'hui en avant par Kim Kardashian, ou au début des années 2000 par la chanteuse Alicia Keys sont donc des coiffures caractéristiques de ce peuple d'Afrique de l'Ouest. La spécificité de ces coiffures résident dans les tresses couchées et les perles utilisées pour orner les cheveux. Dans les sociétés peuls, les coupes de cheveux avaient des significations particulières. Elles permettaient de connaître le statut social et matrimonial des femmes qui les arboraient.
Les codes afro sont repris par les célébrités et dans la rue : coupes de cheveux, formes pulpeuses, imprimés et tissus… Du côté du monde de la mode, les femmes et les hommes noirs se font-ils une place ?
1m88, la peau foncée, les cheveux crépus. Josué Comoe âgé de 23 ans tente d'imposer son image dans les campagnes de pub. Il a déjà posé pour de grandes marques de prêt-à-porter mais il reste difficile aujourd'hui de se faire une place.
« Il y a eu des améliorations ces dernières années, mais je pense qu'il y a encore beaucoup de travail à faire en France pour booker des mannequins noirs. La cible visée rentre aussi en ligne de compte. [...] Si elle est blanche et plutôt fortunée les clients sont encore un peu réticents à mettre en avant des mannequins noirs », souligne Berix Marty Enesa bookeur.
Dans l'agence de Josué Comoe, sur 350 mannequins, 10 sont non blancs. Mais pour le jeune homme, voir des visages et des profils différents sur papiers glacés va au-delà de la mode. « Étant enfant c'est très important de pouvoir avoir une représentation de soit-même, de pouvoir trouver des miroirs que ce soit dans l'art, dans la mode... Pour tout simplement pouvoir s'identifier à d'autres personnes et se dire qu'il y a des possibles.», précise Josué Comoe.
Mannequin à la ville, une fois rentré chez lui, Josué Comoe s'exprime à travers ses peintures. Des œuvres, pour se réapproprier son image.
Pinceau à la main et tâche de peinture sur le bout des doigts, Josué travaille sur ses tableaux pendant des heures dans sa chambre. Depuis quelques mois, peindre est devenu la façon la plus évidente pour lui de s'exprimer. « La peinture me permet de me représenter sans attendre de casting. Je peux me représenter avec ma coupe afro, la grossir, la modeler à ma guise. Là, c'est moi qui ait le contrôle. Je peux faire ce que je veux de ma peau, de mes cheveux sans avoir affaire au colorisme comme c'est le cas parfois dans le mannequinat », indique t-il.
Le jeune artiste souhaite peindre les personnes invisibilisées. « J'ai réellement envie de rendre hommage à la beauté noire. Dans mes tableaux je travaille beaucoup sur les jeux de lumière et cela sublime la peau noire. Plus largement, je désire que, dans mes tableaux, on puisse voir des personnes qui, d'ordinaire, sont mises à la marge. », résume Josué Comoe.
A travers ses coups de pinceaux aujourd'hui Josué Comoe aspire à magnifier les différences. Loin des podiums, en France, les communautés noires se réapproprient leurs critères de beauté.