Dada : contre tout et tous contre

Zurich célèbre les 100 ans du mouvement Dadaïste,  né en Suisse, d'une révolte contre un massacre inutile, la Bataille de Verdun en 1916  et contre un conformisme béat. Dada se définissait comme "anti-artistique". Ce mouvement nihiliste voulait faire table rase du passé. Il appelait à une sorte d'attentat esthétique permanent. Peut-on être encore Dada aujourd'hui ?
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DADA
"Dada : chaque objet, tous les objets, les sentiments et les obscurités, les apparitions et le choc précis des lignes parallèles, sont des moyens pour le combat"
(capture d'acran)
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"Dada ? le mot à été choisi au hasard dans un dictionnaire pour que, justement, il ne signifie rien et ne nous engage à aucun dogmatisme" expliquait Tristan  Tzara en 1961 . "Il n'y avait en commun, entre nous, qu'un grand sentiment de révolte. Nous allions tous dans le même sens, qui était de dépasser les formes de l'Art pour atteindre la liberté de
Tzara
Tristan Tzara (1896-1963)
 
(DR)
l'homme et de l'individu"


Avec l'écrivain Hugo Ball, le plasticien Marcel Duchamp, le peintre et architecte Marcel Janco, le groupe veut dénoncer l'absurde, pratiquer l'anarchisme dans l'art. Il prône une liturgie du dégoût. Dans le groupe, on trouve également l'écrivain et photographe Hemmy Hennings et le peintre Hans Arp.
Au cabaret Voltaire, à Zurich, où est né le mouvement, Tristan Tzara,  (de son vrai nom Samuel Rosenstock) note dans son journal : "1916 - février. Dans la plus obscure rue sous l'ombre des côtés architecturaux, où l'on trouve des détectives discrets parmi les lanternes rouges - Naissance-  naissance du Cabaret Voltaire".
Tristan Tzara
est l'imprésario du scandale. Il est dynamique, inventif. Il se hâte de préciser que "tout le monde est directeur du mouvement Dada" et, à celles et ceux qui en douteraient, ce provocateur de génie donne dans le Bulletin Dada la liste des 80 présidents et présidentes !


"Comment veut-on ordonner le chaos qui constitue cette infinie informe variation : l’homme ? Le principe : « aime ton prochain » est une hypocrisie"                                                           Tristan Tzara (extrait du manifeste Dada - 1918

 

DADA
Dada use autant qu'il est possible de la  liberté d'expression. Le mouvement utilise  tout matériau et support possible.
(capture d'écran)

Le mouvement gagne vite. Dans son journal, Hugo Ball rend compte le 26 février du succès foudroyant du lieu et des soirées Dada : "Une ivresse indéfinissable s'est emparée de tout le monde. Le petit cabaret risque d'éclater et de devenir le terrain de jeu d'émotions folles". Le 14 mars, il écrit, lyrique  : "Aussi longtemps que toute la ville ne sera pas soulevée par le ravissement, Le Cabaret n'aura pas atteint son but".

Tout est bon dans ce grand défouloir. On chante, on récite, on boit beaucoup. Sur la piste de danse des percussions africaines rythment cette hystérie inédite et bon enfant. L'improvisation est reine.  Bientôt, Le Cabaret refuse du monde. Les articles des journaux évoquent la naissance du mouvement. L'onde de choc touche la France.

Le poète Guillaume Appolinaire est approché ainsi que le peintre Francis Picabia.
En Allemagne,  Raoul Haussmann, cofondateur de l’association dada-Berlinois, devient une des célébrités du dadaïsme dans le pays.

A Paris, scandales et provocations à gogo



Tzara arrive à Paris en 1919 et le mouvement s'implante naturellement à grands coups de scandales et de provocations.  La presse se déchaîne. Les dadaïstes font irruption dans les institutions artistiques. Ils sèment un trouble inédit jusque là. André Breton et Aragon adhèrent aussitôt. Il souffle sur Paris un vent de souffre   particulièrement rafraîchissant.
Une communion s'établit, ou plutôt une connivence se crée entre les "historiques" de Dada et ce sang frais parisien.  Aragon proclame avec virulence : " Vous êtes les maîtres de tout ce que vous casserez. On a fait des lois, des morales, des esthétiques, pour vous donner le respect des choses fragiles. Ce qui est fragile est à casser. Eprouvez votre force une fois ; après cela je vous défie bien de ne pas continuer. Ce que vous ne pourrez casser vous cassera, sera votre maître".

Tzara photo de groupe
Tristan Tzara (en haut avec la canne) avec les poètes du mouvement Dada
(DR)


Impossible de récupérer ce mouvement qui revendique haut et très fort son absurdité. Le mouvement déconcerte, séduit, scandalie, fascine. Tristan Tzara écrit : "... Dada ne signifie rien [...] Je suis contre les systèmes, le plus acceptable des systèmes est celui de n'en avoir aucun [...] Que chaque homme crie : il y a un grand travail destructif, négatif, à accomplir. Balayer, nettoyer [...] Abolition de la mémoire : DADA ; abolition de l'archéologie : DADA ; abolition des prophètes : DADA ; abolition du futur : DADA [...] Liberté : DADA, DADA, DADA, hurlement des douleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconséquences : LA VIE. ".
En 1921, Dada offre même  "50 francs de récompense à qui trouve le moyen de nous expliquer Dada".
André Breton en 1922 organiste un "congrès pour la détermination des directives des directives de la défense de l'esprit moderne".
L 'initiative irrite Tzara.
Pour lui, Dada est contre le "modernisme" qui est une notion déjà périmée. Tzara considère "que le marasme actuel, résulté du mélange des tendances, de la confusion des genres et de la substitution des groupes aux individualités, est plus dangereux que la réaction".

Que reste-t-il de Dada à Zurich ?

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Zurich accueille deux expositions :

- au Landesmuseum avec « Dada Universal » (6 février-28 mars)
-  au Kunsthaus avec « Dadaglobe » (6 février-1er mai).
De son côté, le Musée Rietberg rend hommage au mouvement avec « Dada Afrika » (18 mars-17 juillet) et le le Musée Haus Konstruktiv avec « Dada Anders » (25 février-8 mai), réunissant principalement des artistes femmes.
- Le Cabaret Voltaire, où se tenaient les réunions des artistes Dada de 1916 à 1919, sera animé pendant cent soixante cinq jours de manifestations diverses, lectures et performances

Dada, aujourd'hui ?

Joins par le quotidien québécois Le DevoirBertrand Gervais, titulaire de la Chaire de recherche en arts et littératures numériques de l’Université du Québec à Montréal rappelle combien le mouvement reste d'actualité  : "Il y a une forme de libération évidente dans ce mouvement. C’était un appel à se libérer des conventions, des mondes empesés, troublés et sans issue… Or, aujourd’hui, comme au coeur de la Première Guerre mondiale, nous semblons être dans le même genre de cul-de-sac idéologique, politique, social… Nous sommes placés, en Occident du moins, dans une logique de récession qui n’en finit plus, on doit composer avec un manque d’imagination pour se réinventer, avec des conformismes qui nous contraignent, qui nous paralysent… et le dadaïsme peut certainement venir ébranler tout ça."

Et si la crise mondiale que nous traversons était tout simplement le triomphe de Dada ?