L'enfant terrible de l'art contemporain est de retour. Le Britannique Damien Hirst est l'hôte de la Fondation Pinault, à Venise, pour une exposition monumentale où il entraîne le spectateur dans une exploration sous-marine, réelle ou imaginaire... A vous de voir ! Visite guidée avec Estelle Martin.
Le secret avait été jalousement gardé sur ce projet ambitieux auquel Damien Hirst, 51 ans, a consacré dix années et qui rassemble jusqu'au 3 décembre - près de 200 oeuvres inédites dans les deux écrins de la Fondation Pinault que sont le Palazzo Grassi et La Punta della Dogana.
Baptisé "Treasures from the Wreck of the Unbelievable" ("Trésors de l'épave de l'Incroyable"), il conte la légende de l'Incroyable, vaisseau qui sombra il y a des siècles au large de côtes d'Afrique, emportant avec lui sa cargaison inestimable. Dans les cales du navire, des sphynx venus d'Egypte, des statues grecques, des colosses de bronze, de l'or, des bijoux et des armes à profusion.
Ce trésor englouti, Damien Hirst l'a retrouvé au fond de l'océan Indien et il l'a extrait des profondeurs au cours d'une prétendue campagne de fouilles sous-marines dont les vidéos sont projetées au fil de l'exposition.
Pêche miraculeuse
A Venise, le plasticien expose le fruit de cette pêche miraculeuse dont les pièces sont encore recouvertes d'algues durcies, de coraux ou de coquillages, autant d'empreintes que la mer a déposées au fil des siècles.
Mais le visiteur s'interroge... Ce démon de 18 mètres de haut (sans conteste l'oeuvre la plus spectaculaire) qui accueille le visiteur dans l'atrium de Palazzo Grazzi est-il bien en résine peinte, comme l'indique le catalogue ? Et cette collection de bijoux: est-elle vraiment en aluminium thermolaqué et polyester, tout comme ces torses "antiques" ou ce Cerbère ?
On reste perplexe devant cette statue gréco-romaine à tête de mouche inspirée du poème épique d'Ovide, "Les Métamorphoses". De même qu'on est troublé par ces déesses ou monstres marins qui mêlent le style classique à l'esthétique des super-héros ou des mangas. Sans parler des bustes de Michey recouverts de coraux multicolores, qui déconcertent.
Laisser la place au rêve
"Le visiteur ne sait pas si les oeuvres qu'il voit sont restées deux mille ans au fond de l'eau ou si elles sont le résultat du travail de l'artiste. On est dans l'ambiguïté qui laisse la place au rêve", explique à l'AFP Martin Bethenod, directeur des Palazzo Grassi et Punta della Dogana. "Il y a différents niveaux d'interprétation qui se superposent et qui font la richesse et la complexité du projet", relève-t-il.
Artiste de la finitude, Damien Hirst semble opérer avec ce travail un tournant dans sa carrière qui l'avait amené depuis les années 1980 à explorer les rapports entre l'art et la mort. Découvrir son oeuvre signifie entrer dans un monde d'animaux embaumés comme son emblématique requin plongé dans du formol (1991), ou son célèbre "Mother and Child Divided" ("Mère et enfant séparés", 1993): une vache et son veau découpés dans le sens de la longueur et placés dans quatre vitrines.
Des audaces qui lui ont valu d'être autant admiré que décrié mais aussi de devenir un des artistes vivants les plus cotés de la planète.
En 2008, il avait organisé lui-même une vaste vente aux enchères de ses oeuvres chez Sotheby's, court-circuitant le travail de ses propres galeristes. La vente de 223 pièces lui avait rapporté 137 millions d'euros. Quant à sa fortune personnelle, elle avait été estimée en 2012 par le Sunday Times à 433 millions d'euros.
Quatre mois ont été nécessaires pour acheminer jusqu'à la Sérénissime les 200 oeuvres, dont certaines ont été produites en plusieurs exemplaires. Quant à leur valeur marchande, elle reste un mystère même si des informations de presse, citant de potentiels acquéreurs, ont évoqué des prix allant de 500.000 à 5 millions de dollars, selon les pièces.