Dany Laferrière entre à l'Académie française ! Une élection qui fait figure d'évènement : l'écrivain devient le premier Québécois et le premier Haïtien à siéger sous la coupole. Il occupera le fauteuil numéro 2, celui d'Hector Bianciotti, décédé en juin 2012.
Retour sur une œuvre, les engagements d'une vie et le couronnement d'une carrière exceptionnelle.
LE FAVORI
Fier et heureux, Dany Laferrière ! Le voici devenu immortel parmi les 39 autres membre de l’Académie française. Un événement : il devient le premier Québécois et le premier Haïtien à siéger sous la coupole.
Le romancier et scénariste faisait, il est vrai, figure de favori . Et Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuelle de l'Académie française n’en faisait pas mystère. Pour succéder à Hector Bianciotti, décédé en 2012 et conformément au protocole, elle avait reçu avec bienveillance la candidature de l’écrivain... qu'elle avait personnellement sollicitée ! « L'Académie est ouverte et j'espère bien voir arriver des Canadiens disait-elle. Et même, ajoutait-elle malicieusement, j'aimerais bien voir arriver une femme canadienne, québécoise... » De son côté, le journaliste Bernard Pivot avançait : « L'académie sera très sensible à sa candidature parce que c'est un homme de la francophonie et qu'il est noir. Les Noirs sont peu ou pas présents à l'Académie depuis Léopold Sédar Sangor »
C’est donc désormais chose faite. Mais quel parcours !
Né en 1953 à Port-au-Prince, Dany Laferrière, de son vrai nom Windsor Klébert Laferrière, vit aujourd'hui à Montréal. Son père, journaliste, professeur d'histoire fut brièvement maire de la capitale et sous-secrétaire d’État au Commerce et à l’Industrie pour le gouvernement Duvalier.
Mais A 4 ans, rien ne va plus avec le régime en place et l’enfant doit quitter le pays. Dany s’installe avec son père à New York. Il ne reviendra en Haïti que 7 ans plus tard avec sa mère et sa jeune sœur. Il s’intéresse à la langue française et à la littérature. Après ses études secondaires, il devient chroniqueur culturel à l’hebdomadaire « Le Petit Samedi Soir » et à « Radio Haïti ». Au décès du dictateur, en 1971, son fils, Jean-Claude Duvalier (Bébé Doc) le remplace, sans jamais renoncer aux exactions qui terrorisent le pays. Se sentant menacé, il quitte précipitamment Haïti et se rend au Québec, à Montréal où il travaille dans différentes usines.
PAS OBLIGE DE CRIER MA CRÉOLITÉ
L’écrivain a publié plus d'une vingtaine de livres, dont "Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer" en 1985 (porté à l’écran quatre ans plus tard par Jacques W. Benoît avec Isaach de Bankolé,et Maka Kotto.) , "Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit ?", prix RFO 2002, et "Vers le sud" (2006), en lice la même année pour le prix Renaudot et adapté également au cinéma. Il a reçu le prix Médicis 2009 pour son roman L'énigme du retour. Concernant son parcours, ses racines et ses attachements, il confiait avec franchise à nos confrères de
Télérama : « Je ne suis pas obligé de crier ma créolité sur les toits, au contraire même : elle est si enracinée en moi que je n'ai pas besoin de m'y intéresser, elle me suivra où que j'aille. C'est comme faire du vélo : il ne faut pas regarder la roue, il faut n'avoir plus aucune conscience du vélo pour avancer. Lorsque j'ai commencé à écrire, je voulais regarder la réalité en face. Que se passait-il dans ma vie ? Qu'est-ce que je perdais, qu'est-ce que je gagnais à avoir quitté Haïti pour le Canada ? Eh bien, si je me montrais sincère, je devais admettre que je gagnais à être là, à Montréal. »
HAITI
La question haîtienne est ultra-sensible pour l’écrivain. Il ne supporte pas le misérabilisme qui accompagne généralement l’image de son pays. il raconte dans «Tout bouge autour de moi» (Grasset) le séisme qu'il a vécu à Port-au-Prince le 12 janvier 2010. A cette occasion, Il martelait au
Nouvel Observateur « J’ai dit qu’Haïti n’a pas besoin de larmes, mais d’énergie. On m’a fait remarquer, avec raison, qu’Haïti n’a pas besoin d’énergie parce qu’il en a trop! Mais il a besoin qu’on reconnaisse cette énergie. (…) Le discours désespérant qu’on entend tout le temps sur Haïti ne sert à rien. Il n’ébranle personne, il ne met rien en mouvement, il démotive même. Il faudrait pouvoir dire les choses autrement, en commençant par saluer l’extrême courage de ces gens, leur capacité de se retenir"
SES INFLUENCES
Celui qui utilise une machine à écrire Remington 22 en guise de plume revendique comme influence Hemingway, Bukowski, Henry Miller et s'en explique : « Il y avait, en Haïti, une tradition littéraire forte aussi, mais très classique, très XIXe siècle. Moi je voulais une littérature plus directe, plus concrète. Je venais d'une dictature, donc d'un monde abstrait, construit de rêves, de symboles, de métaphores – parce que c'est cela la dictature, les gens qui la combattent ne l'ont souvent jamais vue vraiment, ils se battent contre un ennemi masqué, insaisissable –, et je voulais que le monde devienne enfin concret. »
Le concret, aujourd’hui, est bien cette élection qui honore le talent d’un homme et, plus largement, tout un pays. Elle le contraindra certainement à aménager ses habitudes de vie puisque l'Académie française se réunit chaque semaine à l'Institut de France. Pas un problème à priori pour l’écrivain qui confiait : « Ce qui est sûr c’est que je voyage beaucoup. J’ai l’air d’habiter un pays, le Canada. Et en fait, mon pays, c’est l’avion. Je vis dans un espace qui est de moins en moins délimité. Je suis en mouvement. »
L’Académie Française en six dates
1635 : Richelieu fonde l’Académie française pour établir les règles de grammaire. Le nombre des académiciens est fixé à 40. Elle a compté Corneille, Voltaire et Hugo, Kessel et Ionesco, mais a rejeté Balzac et Zola
1694 : Première version du Dictionnaire avec 18 000 mots.
1795 : L’Académie est rattachée à l’Institut de France, qui regroupe les académies des Beaux-Arts, des inscriptions et belles-lettres, des sciences, et des sciences morales et politiques.
1806 : L’Académie s’installe quai Conti, au Collège des Quatre-Nations, fameux pour sa coupole.
2011 : Publication du troisième volume (de Maquereau à Quotité) de la 9e édition du Dictionnaire.
2013 : L’Institut gère des fondations, des dons et legs, châteaux, abbayes, musées, manoirs, villas, et distribue de nombreux prix.
Académie Française, mode d’emploi
Vacance d’un fauteuil
La vacance d’un fauteuil – déclarée jadis dans la séance qui suivait la mort d’un académicien – l’est désormais au terme d’un délai de décence de plusieurs mois.L’Académie procède à l’élection dans les trois mois qui suivent la déclaration de vacance.
Du jour où la vacance est déclarée, les candidats notifient leur candidature par une lettre adressée au Secrétaire perpétuel. Il existe aussi une procédure de présentation de candidature posée par un ou plusieurs membres de l’Académie
Élection
Le scrutin est direct, secret et requiert pour qu’un candidat soit élu qu’il ait recueilli la majorité absolue des suffrages (la moitié des voix exprimées plus une). Un scrutin ne peut avoir lieu qu’en présence d’un quorum de votants fixé à vingt.
Approbation du protecteur
L’élection à l’Académie française, bien qu’elle soit un corps constitué, ne devient définitive qu’après approbation du président de la République, protecteur de l’Académie, qui la manifeste en donnant audience au nouvel élu.Cette visite du nouvel élu vaut approbation.
Installation
Une semaine avant la réception publique, le nouvel élu est installé au cours d’une cérémonie à huis clos. Entouré de ses deux parrains – qui l’entoureront aussi sous la Coupole – il lit son discours et entend celui qui lui est adressé devant une commission restreinte de l’Académie, composée du bureau et de quelques confrères désignés pour y prendre part. Puis, il prend séance à la place qui lui est assignée et qui sera désormais la sienne. Un mot du dictionnaire lui est attribué. Celui de Mme Hélène Carrère d’Encausse, Secrétaire perpétuel, est lexicographie.
Réception
Le nouvel élu se fait confectionner un costume avec broderies — le célèbre habit vert —, agrémenté d’un bicorne, d’une cape et d’une épée dont sont dispensés les femmes et les hommes d’Église et doit composer un discours de remerciement, dans lequel il n’omettra pas de prononcer l’éloge de son prédécesseur.
Discours de réception
Il s’agit du premier discours que prononcera le nouvel élu au sein de la Compagnie.