Pendant des années, Boisgeloup, le château de Pablo et de son épouse russe, a connu l’oubli et la décrépitude. Abandonné par le peintre après sa rupture avec Olga, pillé en 1940, Boisgeloup s’endort. Dernière occupante, l’épouse russe de Picasso a quitté les lieux après la guerre, avant de s’aller mourir à Cannes, dans le sud de la France. Son fils aîné, Paul, y vint régulièrement en famille avec son jeune fils Bernard avant d’abandonner la gentilhommière.
Bernard Ruiz Picasso a rendu son lustre à Boisgeloup, exhaussant le voeu de son grand-père. Les vastes ateliers qui ont permis à Picasso de passer aux grands formats, notamment en sculpture, ont été redressés, le pigeonnier et sa charpente restaurés, tout comme la chapelle. Mais les traces du peintre demeurent, l’âme du lieu aussi : les tâches de peinture sur le sol de la chambre où il peignait, les bleus délavés de l’église ou l’escabeau dans les communs où Picasso donna vie à ses moulages géants.
L’héritier Bernard Ruiz Picasso marié à la galeriste Almine Rech, elle-même héritière de l’empire textile Georges Rech, a non seulement rénové entièrement la propriété et ses dépendances, mais il a ouvert le Château à des artistes contemporains pour des expositions discrètes. Car Boisgeloup se mérite : le château habituellement fermé s’ouvre en ce printemps au grand public.
Des œuvres, des maisons et des femmes, nombreuses. L’ouragan Picasso en laissa plus d’une sur le carreau, dont Olga, la première épouse, ancienne ballerine des Ballets russes, déracinée de son Ukraine natale qu’elle ne revit jamais. Olga la pensive qui pensait aux siens se mourant dans l’empire Russe à feu et à sang.
C’est le versant parisien de cette année Picasso. Le musée Picasso dans le Marais lui consacre une belle exposition sobrement intitulée Olga Picasso, rendant à l’épouse russe sa place dans la grande Oeuvre picassienne. Accusée de pousser le peintre vers le joli, le conformisme et la peinture bourgeoise, Olga accompagna son génie de mari dans la réussite sociale, le confort matériel puis la vie de famille. Son élégance, sa grâce puis sa déchéance amoureuse s’étalent sur les murs du musée Picasso rendant enfin hommage à la femme qui pleure que Picasso finit par abhorrer.
"Olga pleure tous les ballets qu’elle n’a pas dansés par amour pour lui" dit l’artiste italien Francesco Vezzoli, qui lui consacre une partie de son travail. Vision confirmée par la psychanalyste Caroline Eliacheff dans son essai Les vies d'Olga. "Une Russe, on l’épouse", avait prévenu Diaghilev, le fondateur des Ballets russes. Fut-ce pour la voir, l’amour passé, comme l’incarnation même de l’ennui conjugal. Sous le pinceau de Picasso, il a un bien joli visage. Celui d’une épouse abandonnée pour une fleur de printemps. On peut être un génie qui a dynamité les arts et un classique exemple du démon de midi.