De Rouen au Boisgeloup, une saison Picasso

"Il était une fois une vieille malle, oubliée dans un grenier depuis un demi-siècle". Son ouverture redonnera vie à un château, celui de Boisgeloup, dans l’Eure. Quasi un conte de fée, surtout si le petit prince qui ouvre le coffre aux trésors s’appelle Picasso. Non pas Pablo, mais Bernard son petit-fils, aujourd’hui propriétaire du château de Boisgeloup, commune de Gisors.
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Boisgeloup
Le château du Boisgeloup, dans la commune de Gisors (Vexin).
©Isabelle Soler
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Pendant des années, Boisgeloup, le château de Pablo et de son épouse russe, a connu l’oubli et la décrépitude. Abandonné par le peintre après sa rupture avec Olga, pillé en 1940, Boisgeloup s’endort. Dernière occupante, l’épouse russe de Picasso a quitté les lieux après la guerre, avant de s’aller mourir à Cannes, dans le sud de la France. Son fils aîné, Paul, y vint régulièrement en famille avec son jeune fils Bernard avant d’abandonner la gentilhommière.

couple picasso
Bernard et Almine Ruiz-Picasso
A la mort de Paul, Olga ouvre pour son petit-fils la fameuse malle Goyard où dorment ses souvenirs. Olga l’indolente, la pensive qui a laissé en Russie toute sa famille, avait tout gardé de sa vie avec ce mari génial et volage, qui aimait autant les maisons que les femmes. Olga délaissée pour une jeunesse de 17 printemps, Marie-Thérèse Walter qui entra comme un rayon de soleil dans la vie de Pablo Picasso, comme un oiseau funeste dans celle de l’épouse. La mégère lessivée contre la bombe plantureuse, comme l’écrit cruellement Télérama.

Pablo Picasso connut bien des amours qu’il abrita dans autant de nids : "Pour mon malheur, et ma joie peut-être, je place les choses selon mes amours, disait-il. Olga à Boisgeloup, Françoise Gillot à la villa La Galloise à Vallauris, Jacqueline Roque sa dernière épouse à la Villa La  Californie à Cannes puis au Mas de Notre Dame de Vie à Mougins.

La renaissance de Boisgeloup.

Bernard Ruiz Picasso a rendu son lustre à Boisgeloup, exhaussant le voeu de son grand-père. Les vastes ateliers qui ont permis à Picasso de passer aux grands formats, notamment en sculpture, ont été redressés, le pigeonnier et sa charpente restaurés, tout comme la chapelle. Mais les traces du peintre demeurent, l’âme du lieu aussi : les tâches de peinture sur le sol de la chambre où il peignait, les bleus délavés de l’église ou l’escabeau dans les communs où Picasso donna vie à ses moulages géants.

L’héritier Bernard Ruiz Picasso marié à la galeriste Almine Rech, elle-même héritière de l’empire textile Georges Rech, a non seulement rénové entièrement la propriété et ses dépendances, mais il a ouvert le Château à des artistes contemporains pour des expositions discrètes. Car Boisgeloup se mérite : le château habituellement fermé s’ouvre en ce printemps au grand public.

Boisgeloup
Boisgeloup, le refuge normand du peintre Picasso.
©Isabelle Soler
Pour un week-end encore, le domaine accueillera les visiteurs, une chance de mettre ses pas dans les pas du Picasso Normand, un parcours qui s’étend jusqu’à Rouen à moins de 100 kms. La ville et ses musées se sont mis en réseau pour Une Saison Picasso autour des œuvres réalisées dans les années 1930 dans la région. Une rétrospective à découvrir sur 3 sites : aux musées des Beaux-Arts, de la céramique et Le Secq des Tournelles, ancien édifice religieux consacré aux arts du fer. Période fertile durant laquelle le maître a créé tous azimuts : sculptures, peinture, céramique, photographie, ferronnerie, mettant en place ce que Sylvain Amic le directeur de la réunion des musées Rouen Normandie nomme le Système Picasso : "Pablo Picasso achète une maison, souvent proche d’un autre grand peintre , Monet à Giverny distant d’à peine 40 kms de Boisgeloup, ou Braque près de Dieppe…, la remplit d’œuvres et la revend," pour reprendre son itinérance vers une autre lumière. En l’occurrence, après la Normandie, celle de la Provence, où il retrouve Cézanne et Matisse, et qu’il ne quittera plus. En 1955, son nouveau point d’attache a pour nom Villa La Californie. Mais c’est une autre histoire….

La fin d’Olga

Des œuvres, des maisons et des femmes, nombreuses. L’ouragan Picasso en laissa plus d’une sur le carreau, dont Olga, la première épouse, ancienne ballerine des Ballets russes, déracinée de son Ukraine natale qu’elle ne revit jamais. Olga la pensive qui pensait aux siens se mourant dans l’empire Russe à feu et à sang.
 

Affiche olga

C’est le versant parisien de cette année Picasso. Le musée Picasso dans le Marais lui consacre une belle exposition sobrement intitulée Olga Picasso, rendant à l’épouse russe sa place dans la grande Oeuvre picassienne. Accusée de pousser le peintre vers le joli, le conformisme et la peinture bourgeoise, Olga accompagna son génie de mari dans la réussite sociale, le confort matériel puis la vie de famille. Son élégance, sa grâce puis sa déchéance amoureuse s’étalent sur les murs du musée Picasso rendant enfin hommage à la femme qui pleure que Picasso finit par abhorrer.

"Olga pleure tous les ballets qu’elle n’a pas dansés par amour pour lui" dit l’artiste italien Francesco Vezzoli, qui lui consacre une partie de son travail.  Vision confirmée par la psychanalyste Caroline Eliacheff dans son essai Les vies d'Olga. "Une Russe, on l’épouse", avait prévenu Diaghilev, le fondateur des Ballets russes. Fut-ce pour la voir, l’amour passé, comme l’incarnation même de l’ennui conjugal. Sous le pinceau de Picasso, il a un bien joli visage. Celui d’une épouse abandonnée pour une fleur de printemps. On peut être un génie qui a dynamité les arts et un classique exemple du démon de midi.

picasso et ses sculptures