Décès de Jean-Pierre Mocky, l'anarchiste du cinéma français

Le réalisateur, acteur, scénariste et grande gueule du cinéma français, s'est éteint ce jeudi 8 août à l'âge de 86 ans, ou 90 ans selon les sources. Auteur de plus de cent films, dont de nombreuses comédies foutraques et déjantées, il aura manqué d'en réaliser un : celui sur sa vie. Elle fut, en effet, étourdissante.
Image
JEAN-PIERRE-MOCKY
Jean-Pierre Mocky, lors de l'émission "L'invité" sur TV5MONDE, diffusée le 9 février 2019.
© TV5MONDE
Partager 6 minutes de lecture
"Jean-Pierre Mocky est mort chez lui cet après-midi à 15H00" heure de Paris, a indiqué son gendre Jerôme Pierrat à l'AFP. Le décès du cinéaste a été confirmé par son fils, le comédien et metteur en scène Stanislas Nordey.
Jean-Pierre Mocky
J.P. Mocky au Studio Harcourt  (1948)
Domaine public / Wikipédia/ Studio Harcourt


Jean-Pierre Mocky, de son vrai nom Jean-Paul Adam Mokiejewski serait né le 6 juillet 1933 à Nice d'un père juif polonais et d'une mère catholique convertie au judaïsme, à moins qu'il ne se soit rajeuni de quatre ans...
Également acteur, scénariste et producteur, il a réalisé plus de 60 longs-métrages ainsi qu'une quarantaine de téléfilms.


À revoir : l'entretien de Jean-Pierre Mocky par Patrick Simonin dans "L'invité" le 9 février 2019

L'homme, imprévisible et attachant, avait toujours une histoire à vous raconter. Il jonglait avec les anecdotes comme un artiste avec des quilles.
Le général De Gaulle ? "Il adorait mon film, Un drôle de paroissien". Madonna ?  "Elle a été baby-sitter pour ma fille. Elle était inscrite à la Sorbonne, elle est restée trois mois. Elle n’était pas vraiment belle, très brune, couverte de boutons." Les femmes ?  "En n’en comptant qu’une par mois en moyenne, j’arrive à huit cents."
Il affirmait s'être marié à 13 ans et demi et avoir eu 17 enfants mais, précisait-il : "Officiellement ils sont quatre..."
Jean-Pierre Mocky
Jean-Pierre Mocky, chez lui, quai Voltaire à Paris
Frantz Vaillant


On ne savait que penser de ces révélations ahurissantes. Est-ce que cet homme de fiction ne "fictionnait" pas aussi sa mémoire ? Sans doute. Quelle importance ?
Dans cette époque corsetée, la nôtre, où planent la bienséance, la crainte du procès, la tyrannie morale sur le bûcher des réseaux sociaux, son verbe haut et ses propos anars étaient rafraîchissants.

On aimait, ou non, sa dégaine mi-prince, mi-Boudu et ses dérapages plus ou moins contrôlés.
Il étonnait, détonnait, déconnait.
Depuis pas mal d'années, on l'invitait à la radio et sur les plateaux TV comme on s'offre un alcool fort. Ses déclarations à l'emporte-pièce enflammaient l'assistance, déclenchaient l'invective.

Le bonhomme en rajoutait volontiers puis, d'un coup, il disparaissait et retournait à sa vraie, son unique, son absorbante passion : le cinéma. Son rythme cardiaque battait à 24 images/seconde. Avec le temps, il s'était fabriqué un personnage de mal-aimé de la pellicule, toujours épuisé à chercher les financements de ses films. Il rugissait sur les producteurs mais, belle consolation, il était fier des célébrités (Catherine Deneuve, Jeanne Moreau...)  qui acceptaient de jouer quasi-gratuitement pour lui.

On le disait avare mais l'homme était généreux de son temps et de ses conseils.  Il avait toujours un projet qui mûrissait. Sa mémoire était fascinante,  lui qui fut chauffeur et secrétaire d'Erich von Stroheim, assistant de Visconti, mannequin en Italie avec Clint Estwood au milieu des années 50. Il disait : "Clint avait un succès fou auprès des femmes. Les plus jolies, les plus raffinées craquaient pour ses beaux yeux ! Mais curieusement, il a toujours eu une prédilection pour les moches".

On le questionnait sur cette époque. Il embrayait aussi sec avec Hitchcock, Franju, Fellini, Carné... Un cabot magnifique qui avait la gourmandise des mots.
On le quittait, un peu sonné par tant de souvenirs.

Belmondo, Godard, Truffaut


Trop anar pour accepter de faire partie des jeunes Turcs de la Nouvelle-Vague, c'est tout de même lui qui souffle à Godard le nom de son copain Jean-Paul Belmondo pour jouer dans "A bout de souffle" (1960).
Jean-Pierre Mocky
Quartier Saint-Sernin. Le 2 novembre 1965. Vue de Fernandel sur le tournage du film "La Bourse ou la Vie" de Jean Pierre Mocky.
fonds André Cros, conservé par les archives municipales de la ville de Toulouse

Avec Truffaut, la relation est aigre-douce : "De film en film, il est entré dans le rang, faisant sien le style classique des metteurs en scène "d'arrière-garde" qu'il avait mis un point d'honneur à massacrer."

Sa filmographie témoigne d'un sens aigüe des "problèmes de société" qu'il dynamite avec une belle santé. Dans "A mort l'arbitre" (1983) , il est l'un des premiers à renifler l'odeur de mort  et à dénoncer la rage imbécile qui peut saisir des supporters enragés après un match de foot jugé décevant.

Avec "Le Miraculé" (1987), il renouvelle la satire anticléricale avec une dérision dévastatrice. Il met à poil les marchands du temple qu'il déchiquette avec voracité. A Lourdes, où l'action du film est censée avoir lieu, on tempête, on crie au blasphème lors de la sortie du film. Mocky sourit. Dans toute son oeuvre, les curés et les politiques sont ses bêtes noires. Il utilise les arguments de ses détracteurs comme des éléments de publicité.
Ses scandales sont sa Légion d'honneur.
L'indomptable bonhomme n'est là ni pour plaire ni pour déplaire mais pour dénoncer encore et toujours : les magouilles politiques, les lendemains qui déchantent, les pédophiles etc.

Il braque son projecteur sur les coulisses des bons sentiments comme un voyou son révolver sur la tempe de sa victime.
Les producteurs se méfient de lui. Ses dénonciations  ne remplissent pas les caisses. Qu'à cela ne tienne ! Le numérique a remplacé la pellicule. Les coûts de production fondent. L'iconoclaste va en profiter. Tant pis si l'audience de ses films s'avère de plus en plus confidentielle. L'important est de tourner, encore et toujours.

Une équipe de l'émission belge Strip-Tease a su capter la "méthode Mocky" qui va le faire entrer dans la légende des cinéastes foutraques.  On le voit diriger son film à coup d'engueulades et de crises de nerfs avec son équipe. Le résultat est tordant.
Mais, qu'on ne s'y trompe pas : il y a là comme une autopsie du film fauché. On peut aussi y voir la rage de tourner, tourner encore, tourner sans un rond... sans jamais tourner en rond.
 
 

Un film sur les Gilets jaunes

 

Jamais à court d'idées, Jean-Pierre Mocky préparait un nouveau long-métrage sur les Gilets jaunes. Dans ce film qui ne verra donc jamais le jour, il se réservait le rôle d'un policier centenaire. Il affirmait  "avoir passé trois nuits avec ces gens-là, sur des barrages: "Je les défends, ce sont de braves types [...] En fait, ça fait office d’agence matrimoniale, leur truc. Ou de clubs de rencontres, si vous préférez. Ce sont des solitaires à la base, des petits retraités, des petits jeunes… et qui, peut-être pour la première fois de leur vie, nouent des liens, parce qu’ils n’ont rien d’autre à faire une fois sur place. Ce ne sont pas des résistants avec un fusil à la main! Ils mangent des crêpes, ils boivent du cidre, ils font du feu, et ils parlent."

Dans son dernier ouvrage "Je vais encore me faire des amis" (Cherche-Midi éditions), il écrit : "Je loue l'audace et la générosité de ceux, pas si nombreux, qui sont disposés à mettre un tigre dans mon "Moteur" !"
 

Jean-Pierre Mocky est mort et disparaît avec lui une audace libertaire unique dans l'histoire du cinéma de l'après-guerre.  Et les larmes de crocodile qui ne manquent pas d'inonder les antennes depuis sa disparition le font peut-être ricaner depuis là où il est désormais. Parions qu'il est heureux d'avoir retrouvé ses copains : Michel Simon, Bourvil, Jean Poiret, Michel Serrault... et tous les autres.