Décès du cinéaste franco-suisse Jean-Luc Godard : "Il avait un esprit d'enfant"

Le cinéaste franco-suisse Jean-Luc Godard est décédé à l'âge de 91 ans ce mardi 13 septembre, après avoir eu recours au suicide assisté encadré par législation suisse. Pour TV5MONDE, le journaliste, scénariste et réalisateur Alain Riou raconte "l'audace" et "l'esprit" Godard. Entretien.

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Jean-Luc Godard
Jean-Luc Godard assiste à une conférence de presse pour la 16e édition du Festival du film de Berlin, le 27 juin 1966.
© Edwin Reichert/ AP
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Marian Naguszewski, Journaliste TV5MONDE : qu'est-ce que représentait pour vous Jean-Luc Godard ? Je crois que vous aviez 20 ans lors de la sortie de "À bout de souffle" (1960).

Alain Riou : Je crois qu'il représentait pour moi l'esprit d'enfance. On ne parle pas souvent de Godard en ces termes parce qu'il est devenu un petit peu philosophe. Il parlait beaucoup, il écrivait et pensait énormément.

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Son chef opérateur (notamment sur "À bout de souffle" (1960) ou "Le Mépris"(1963), n.d.l.r), Raoul Coutard, disait de lui : “Jean-Luc, c'est un génie, mais il a de la bouillie, un cigare.” C’est exactement ça, c’est un génie. C’était la simplicité visuelle, la simplicité intellectuelle du début. 

La poésie, c'est ça. C'est de revenir à l'enfance. C’est d'être directement ému par les choses.Le journaliste, scénariste et réalisateur, Alain Riou

C'est vraiment Picasso. Le choc est identique. Picasso arrive et il fait des pommes carrées parce qu’il a envie de les faire et qu'il sait les faire. Godard n’est pas un naïf qui, ne connaissant pas l’art, se met à faire des choses très personnelles. 

Personne ne connaît aussi bien le cinéma que Godard quand il débute, il se permet tout. Dans “À bout de souffle” (1960), il filme Jean-Paul Belmondo traversant des passages cloutés en lui disant :“On verra rien, mon vieux”. Godard répond : “Je m'en fous.” Quand le truc arrive, il coupe tout simplement le passage où on ne voit rien. Et il raccorde deux images qui ne vont pas du tout ensemble. Jusque-là, personne n'avait osé le faire parce que les gens respectent la grammaire. Et il sort un film bourré d'idées, d'audace, de truc gonflé d'idiotie, de coups géniaux.


Les images de Godard sont très simples. C'est en ça qu'elles sont révolutionnaires.

Le journaliste, scénariste et réalisateur, Alain Riou

Il avait l'esprit d'enfance, c'est parce qu'il adorait le cinéma comme les enfants adorent le cinéma. Il adorait les images. La poésie, c'est ça. C'est de revenir à l'enfance. C’est d'être directement ému par les choses. Il avait une audace d'enfant, d'enfant capricieux. Godard était un type très capricieux.

Marian Naguszewski : ce n’était pas un homme facile ?

Alain Riou : C'était un homme compliqué. Il était très snob. Mais Godard aimait énormément les snobs, il en était le chef et ça se défend. C'est drôle, ça lui avait permis d'ailleurs de faire plein de choses.

Jean-Luc Godard au festival de Cannes
Jean-Luc Godard, à gauche, et le producteur, Menahem Golan, à droite,d iscutent après la projection du film hors compétition de Godard "King Lear" dans le cadre du 40e Festival de Cannes, le 17 mai 1987.
© Pierre Gleizes/ AP

Un des grands moments de la carrière de Godard, ce n'est pas lui qui a filmé, mais ça a été montré. Godard, au Festival de Cannes, un jour, se fait "entarter" par le célèbre "entarteur." Il n'était pas au courant qu’il le guettait avec des copains au coin d'un ascenseur.

Soudain, il sort avec des gens et il reçoit le gâteau à la figure. Beaucoup de gens se sont plaints. On fait des histoires, des procès. Lui goûte le gâteau et dit : “C'est le cinéma muet qui se venge du cinéma parlant.” C'est une idée géniale.

Marian Naguszewski : sa renommée est mondiale. Des Etats-Unis à la Corée du Sud en passant par l'Amérique latine, beaucoup se revendiquent de Godard. Comment expliquez-vous que Godard fascine partout dans le monde ?

Alain Riou : C'est d'abord parce que c'est un cinéma extrêmement vivant. Je reviens à cet esprit d'enfance qui m'obsède un peu, mais c'est très simple. Il y a une stylisation chez Godard et ce sont les images.

Ça va très vite parce que les images de Godard sont très simples. C'est en ça qu'elles sont révolutionnaires. Ils enlèvent tout ce qui est inutile. Il filme et, là-dedans, il met une vie considérable. C'est-à-dire, il dit aux gens : “Soyez vous-mêmes", il met de la vie. Donc, même quand on ne suit pas forcément le sujet, le thème, c'est très émouvant.

Il intègre une des grandes leçons de l'art, c'est qu'on doit dire une chose et son contraire.Le journaliste, scénariste et réalisateur, Alain Riou.

Marian Naguszewski : Godard, c'était aussi quelqu'un d'engagé politiquement. On se souvient de lui lors de mai 68. Il avait aussi cette parole politique ?

Alain Riou : Il a fait quelque chose de très étonnant dans cet engagement, c'est qu'il a changé. Au début, Godard était à droite. Il a commencé par faire son fameux film “Le Petit soldat”(1963), un film plutôt en faveur de l'O.A.S (pour le maintien de l'Algérie française", n.d.l.r) pendant la guerre d'Algérie.

Mais il était extrêmement vivant, il allait dans les bistrots, il écoutait de la musique, il mettait des chansons dans la ville. Au contact de la vie, il s'est aperçu que finalement, c'était peut-être un petit peu mieux d'être du côté des jeunes, du côté de l'avenir. Donc, il a complètement changé. Il s’est gouré, il s’est planté. “La Chinoise” (1967) (qui retrace la trajectoire de jeunes communistes, n.d.l.r) est une succession d'erreurs politiques qui font rire aujourd'hui. Mais c'est fait avec tellement de naturel, de simplicité, de spontanéité. Et il intègre une des grandes leçons de l'art, c'est qu'on doit dire une chose et son contraire.

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