Fil d'Ariane
Ancien professeur au Collège de France, l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie, décédé à 94 ans, a été pendant un demi-siècle une figure majeure du paysage intellectuel français. Il est l'un des pionniers de l'histoire du climat.
Le professeur Emmanuel Leroy Ladurie au collège de France.
Chercheur fécond et assez éclectique, pionnier de l'histoire du climat, il "est sans doute l'historien français vivant le plus connu à l'étranger - en Europe comme en Amérique -, et l'un des plus traduits", assurait son éditeur Fayard en 2018.
Disciple du grand historien de l'École des Annales, Fernand Braudel, il a joué un rôle actif au sein de ce mouvement - qui va s'intéresser au quotidien, à la vie des individus "lorsqu'il ne se passe rien" -, devenant dans les années 1970 une figure du courant de la Nouvelle histoire.
Emmanuel Le Roy Ladurie s'est imposé comme un spécialiste de l'anthropologie historique, qui permet de saisir les vies du passé dans l'ensemble de leur environnement.
Emmanuel Le Roy Ladurie, estimait que les événements climatiques, reliés à l'histoire générale avec ses soubresauts politiques et ses évolutions techniques, apparaissent comme la "donnée de base" par excellence de l'histoire.
Selon lui, famines, épidémies ou chutes démographiques sont corrélées avec les conditions climatiques. "On s'est un peu moqué de moi quand j'ai fait mon premier ouvrage sur le sujet", disait l'auteur de livres comme "Les fluctuations du climat de l'an mil à aujourd'hui", "Histoire humaine et comparée du climat en Occident", en trois volumes, ou "Le réchauffement de 1860 à nos jours".
Emmanuel Le Roy Ladurie.
"Oui, le climat peut bousculer nos destins, expliquait-il à l'Express en 2015. Mes collègues doutaient qu'il y eût des sources fiables. Or les outils existaient bel et bien, et il a vite été confirmé que les historiens étaient même mieux armés que les climatologues pour remonter dans le passé météorologique, en particulier parce qu'ils maîtrisent le latin, langue indispensable pour avoir accès aux témoignages anciens."
En 2005, lors d'une conférence devant l'Académie des sciences morales et politiques, il était revenu sur son intérêt, dès 1957, pour l'histoire du climat: "Je m'étais intéressé aussi à ce qu'on appelle le 'petit âge glaciaire' (période froide survenue en Europe et en Amérique du Nord du XIVe siècle aux années 1850)".
"Y avait-il un rapport entre ce refroidissement sensible dans les glaciers des Alpes et une tendance générale à la crise économique au XVIIe siècle? J'étais allé inspecter sur place l'évolution des glaciers alpins."
"Dans mes recherches, les dates de vendanges ont elles aussi une grande importance: si vous avez une vendange précoce, cela veut dire que le printemps et l'été ont été chauds; si les vendanges sont tardives, cela signifie que le printemps et l'été ont été plus frais. En France, on a des dates de vendanges depuis à peu près 1370 jusqu'à nos jours; c'est un instrument de mesure assez commode."
Interrogé par ailleurs par l'Express sur le réchauffement climatique, il considérait qu'"il y aura toujours des climatosceptiques".
"Il n'y a pas besoin d'être un grand savant pour constater la réalité du réchauffement, même si nous connaîtrons peut-être encore quelques hivers très rudes. Je crois que, au fond, beaucoup de gens l'ont compris, mais qu'ils préfèrent l'ignorer."