Depuis quelques années, les échanges commerciaux se sont multipliés entre la Chine et l’Afrique. Cette influence grandissante interrogent de plus en plus d’artistes et caricaturistes du continent.
Fin juillet, le président chinois Xi Jinping était en visite pendant une semaine sur le continent. Au programme : la signature d’accords commerciaux au Sénégal et au Rwanda ainsi que le sommet des BRICS en Afrique du Sud.
Ces dernières années, la Chine cherche à renforcer ses liens économiques, politiques et stratégiques avec de nombreux pays du continent. Pékin multiplie les rencontres et les sommets internationaux avec l’Afrique.
Pékin est devenu le premier partenaire commercial du continent, en 2009.
Ce mois-ci, par exemple, plus de 14 milliards de dollars ont été investis par Xi Jinping en Afrique du Sud. Des investissements qui concernent des secteurs très variés : le développement des infrastructures, l’économie des océans, l’économie verte, les sciences et technologie, l’agriculture, l’environnement mais aussi les finances.
Même cas de figure au Sénégal, où le président a signé une dizaine d’accords dans les domaines de la justice, la coopération économique et technique, les infrastructures et l’aviation civile. Dans ce pays, la Chine est d’ailleurs le deuxième partenaire commercial derrière la France.
Cette forte présence de la Chine en Afrique est commentée par de nombreux artistes et caricaturistes du continent. Ils ont pour objectif commun : informer et questionner cette coopération sino-africaine.
Pour certains observateurs, l’influence de la Chine est un réel avantage pour l’Afrique. Selon le caricaturiste nigérian, Tayo Fatunla, “c'est une relation saine qui peut fonctionner car les Nigérians ont accepté l'aide de la Chine, là où d'autres ont échoué.”
“Il y a aussi beaucoup d'Africains en Chine donc la compréhension de l'autre est mutuelle. Bienvenue en CHAFRICA”, explique Tayo Fatunla.
Dans ce dessin, le caricaturiste a voulu illustrer l’omniprésence de Pékin sur le continent.
Pour d’autres artistes, l’influence du gouvernement de Xi Jinping en Afrique, n’est pas vu d’un très bon oeil.
Victor Ndula, caricaturiste kényan, défend vigoureusement l’indépendance de son pays, “la Chine possède, environ 60%, de la dette du Kenya, c'est un scénario effrayant, surtout quand le retour sur les investissements et l'infrastructure prendra beaucoup de temps pour réaliser des bénéfices. La Chine doit être un partenaire précieux mais pas une force expansionniste. L'Afrique aurait dû apprendre des décennies d'exploitation de l'Ouest, cela ne peut pas se reproduire.”
Il ajoute :“qu'est-ce que l'Afrique gagne à coopérer avec cette nouvelle puissance ? La présence de la Chine ne peut pas être ignorée, nous devons nous poser des questions sur la nature de notre engagement avec cette superpuissance."
Le Kényan concentre ses dessins principalement autour des questions liées à la justice sociale et à l'égalité. “En tant que caricaturiste, j'ai la responsabilité d'aborder ces problèmes à travers un médium puissant. J’apprécie les caricatures fortes.” confie-t-il.
Ce dessin était une réponse à un article de journal qui dénonçait le racisme des équipes chinoises envers les travailleurs kényans en charge de la construction d’un chemin de fer. Le dessinateur a voulu dénoncer la mainmise de la Chine dans son pays.
“Le Kenya devient lentement une province administrative de la Chine.”
Au Ghana, la présence chinoise est également critiquée par certains dessinateurs. Brick Ackwerh a un avis partagé à l’égard de ces relations bilatérales, “il y a des avantages à tirer de cet échange comme de tous les autres mais il doit être bien négocié afin qu'il laisse des effets positifs sur les populations du Ghana et de la Chine aussi, aujourd’hui et pour les générations à venir”.
Il se donne pour objectif, “d'exercer une pression critique sur le gouvernement du Ghana et d'autres parties prenantes pour réfléchir et voir les effets à long terme des échanges entre la Chine et l’Afrique.”
Au contraire de certains autres artistes, Brick Ackwerh se sert de tous les moyens de communication possibles. Internet, les réseaux sociaux et les médias de masse sont pour lui des outils essentiels pour mettre en avant son travail. Il a également réalisé des affiches dans les rues et a exposé dans plusieurs galeries et musées. Pour lui, “ce sont des stratégies pour atteindre encore plus de personnes et susciter des discussions sur ses dessins”.
Au début de l'année 2017, le nouveau gouvernement ghanéen demandait l'ambassadeur chinois de dire à ses ressortissants installés au Ghana d'arrêter l'exploitation minière illégale communément appelée 'galamsey'.
“Dans ma peinture, il y a le ministre des Terres et des Ressources naturelles à gauche et le président du Ghana. A droite, il y a le président chinois et l'ambassadrice chinoise de l’époque au Ghana. Cette peinture, lorsqu'elle était partagée en ligne, a d'abord rendue furieuse l'ambassadrice chinoise et son équipe."
Les critiques adressées aux gouvernements africains et chinois ne sont pas seulement représentées à travers les caricatures. Des artistes comme le Kenyan, Michael Soi ont peint de nombreux tableaux qui interrogent la place de la Chine dans son pays et sur le continent.
Dans un article du site américain Quartz, cet artiste explique, "c'est un sujet qui interroge. Et malheureusement, cela ne se passe pas seulement au Kenya. Ce sont essentiellement des dirigeants africains qui hypothèquent l'Afrique aux Chinois."
Ses oeuvres, fortement politiques, cherchent à remettre en cause la mainmise de Pékin sur la main-d’oeuvre africaine bon marché, les ressources naturelles et le besoin du continent d’obtenir de nouvelles infrastructures, plus modernes.
Pour lui, informer le public de l’influence grandissante de la Chine est un premier pas vers un équilibre des puissances. Pour lui, “c’est une histoire qui ne finira jamais bien pour l’Afrique”, raconte-t-il dans Quartz.
Le dessinateur ghanéen, Bright Ackwerh souligne, “en tant que citoyen, je considère la critique non seulement comme un droit mais aussi comme un devoir. Je crois que mon art met en lumière des aspects importants de cette relation que les politiciens - qui sont principalement des gens d'affaires - ne prendront pas en compte dans leurs décisions."