En Suisse, la coiffure africaine magnifiée par une styliste capillaire camerounaise

Aujourd'hui encore, le cheveu crépu est dévalorisé, déprécié, y compris au sein des populations noires d'Afrique et d'ailleurs. Ces dernières années, le natural hair movement ou mouvement nappy - natural and happy -, né aux USA au début des années 2000, a contribué à redonner de la vigueur à toutes celles et ceux qui militent pour le cheveu crépu au naturel. Installée en Suisse depuis bientôt vingt ans, la Camerounaise Léandra Guyleine Zouame s'inscrit dans cette tradition. 

 
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Jusqu’au 26 septembre prochain, L’esthétique de la coiffure africaine, une exposition photo qui magnifie le cheveu crépu, a ouvert ses portes à Châtelaine, dans le canton de Genève, en Suisse. 
© Ariane Mawaffo
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Jusqu’au 26 septembre prochain, L’esthétique de la coiffure africaine, une exposition photo qui magnifie le cheveu crépu, a ouvert ses portes à Châtelaine, dans le canton de Genève, en Suisse. Organisée par la Camerounaise Léandra Guyleine Zouame, cette exposition bénéficie du concours de trois photographes : Ariane Mawaffo (Suisse – Cameroun), Clément Calloud (Suisse – Italie – France) et Merlin Guyllermo (Allemagne – Cameroun).

Styliste capillaire et modéliste, Léandra Guyleine Zouame est d’abord une assistante comptable du service de la protection de l’enfant et de l’adulte du canton de Genève. Une expérience professionnelle qui l’a rendue plus sensible aux questions liées à la condition des enfants africains ou afro-descendants qui  vivent en Europe. 

Mettre en valeur le cheveu crépu africain

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En 2017, elle crée l’association ABA Sikolo, destinée à informer, éduquer, et aider ces enfants à renouer avec leurs racines africaines. Un an plus tard, elle lance Loëka Concept, un projet artistique qui, dit-elle, « a pour objectif de mettre en valeur le cheveu crépu africain à travers différentes coiffures, plus ou moins élaborées, la plupart s’appuyant sur un héritage culturel et esthétique en provenance du continent africain. »

Passionnée par le cheveu crépu qu’elle arbore fièrement, Léandra Guyleine Zouame met désormais tout en œuvre pour partager les secrets de coiffure de la femme africaine. Pour cette jeune mère de famille qui vit en Suisse depuis dix-neuf ans, ce qui est en jeu ici c’est l’identité, l’affirmation de soi. Car en effet, en plus d’être un marqueur identitaire, la coiffure comporte des références sociales et même parfois une signification.

Lorsqu'elles arboraient cette coiffure, les hommes savaient qu'elles étaient à la recherche d'un époux.

Léandra Guyleine Zouame, styliste capillaire et modéliste 

Ainsi en est-il par exemple des tresses au fil camerounaises, qu’on appelle aussi « Suis-moi ». « Ce sont des tresses au fil qui se suivent, précise Léandra Guyleine Zouame, reliées les unes aux autres. Cette coiffure était portée par des femmes qui étaient à la recherche d'un mari. Lorsqu'elles arboraient cette coiffure, les hommes savaient qu'elles étaient à la recherche d'un époux. »

Suis moi
Exemple de tresses "Suis moi".
© Merlin Guyllermo

Comme de nombreux autres types de coiffures, les tresses sont apparues il y a bien longtemps sur le continent africain. Et si l’on se réfère aux statues des reines de l’époque, certaines remontent par exemple à l’Egypte ancienne.

A travers cette exposition photo, Léandra Guyleine Zouame tente de sortir ces coiffures africaines des livres d’histoire, des musées... afin de les remettre au goût du jour, tout en aidant les générations actuelles à se les réapproprier. 

Il s’agit donc d’établir un pont entre passé et présent, entre les pratiques esthétiques de nos aïeux et celles qui ont cours aujourd’hui.

C’est aussi l’occasion de rappeler à ceux qui l’ignorent encore, que le cheveu crépu, lorsqu’il est travaillé, transformé, peut donner naissance à une esthétique particulière, avec sa signification propre.  


La dévalorisation du cheveu crépu

Pourtant, aujourd’hui encore, les stéréotypes forgés au fil des siècles pour dévaloriser les populations noires, et qui ont culminé avec l’esclavage et la colonisation, restent très vivaces dans de nombreuses régions du globe. Et comme nous le rappelle la sociologue martiniquaise Juliette Smeralda, dans son excellent essai intitulé Peau noire, cheveu crépu. L’histoire d’une aliénation, paru aux éditions Jasors,  l’on peut formuler « l’hypothèse de l’existence d’une représentation collective négative du cheveu crépu, intériorisée au plan individuel par les porteurs. »

Les 3 artistes
Les trois artistes !
© Merlin Guyllermo

Quelques lignes plus bas, Juliette Smeralda s’interroge : « Se pourrait-il que l’attirance qu’éprouve la femme aux cheveux crépus pour les cheveux longs entretienne un lien de type aliénant avec d’anciens fantasmes de voyageurs occidentaux ou de colonisateurs plus généralement ? Quel rôle joue, par médias interposés, la levée des frontières géographiques entre les mondes jusque-là repliés sur eux-mêmes ? Quel rôle joue la domination politico-économique de l’Occident, et les effets de plus en plus manifestes du processus d’acculturation des populations du Sud aux valeurs occidentales dominantes, dans la symbolique rattachée au cheveu court, et qui en fait un signe de pauvreté et de basse extraction sociale ? »

A travers cette exposition photo, Léandra Guyleine Zouame invite les visiteurs à une (re)découverte de l’esthétique africaine, mais aussi à jeter un regard rétrospectif sur l’histoire.

Car, comme nous le rappelle Juliette Smeralda : « Il n’est pas superflu de signaler qu’avant la dévalorisation subie par le cheveu crépu, dans les sociétés du « Nouveau Monde » notamment, la coiffure reflétait dans un grand nombre de sociétés africaines, l’âge, le clan, l’occupation, le statut social, voire les préférences et les fantaisies individuelles, qui permettaient de concevoir les designs les plus extravagants par leur originalité. La coiffure témoignait de la sensibilité et des affections particulières de son concepteur… Certaines créations en la matière défiaient même l’imagination : elles étaient si élaborées, si compliquées, que de grands professionnels afro-américains de la coiffure contemporaine, qui ont tenté de les répliquer, avouent n’y être pas parvenus encore. »