Dans la mémoire collective, le Front Populaire correspond à une période de grands espoirs, d’avancées politiques et sociales majeures et, tout à la fois, de craintes face à la progression du fascisme, du nazisme.

Première idée particulièrement judicieuse : d’entrée de jeu, ce sont des personnalités d’aujourd’hui, considérées comme héritières des 99 signataires de l’appel au rassemblement populaire du 14 juillet 1935, qui ont été invitées à s’exprimer sur l’image de leur choix. Pierre Laurent, le Secrétaire National du Parti Communiste, a choisi le 1936, tableau « impertinent » de Magritte, pour souligner la subversion ludique qui caractérise le Front Populaire. Jean-Christophe Cambadélis, le Premier Secrétaire du Parti Socialiste, met l’accent sur le combat d’une vie mené par Léon Blum, leader de la SFIO, et sur son immense talent de rassembleur. Au fil des commentaires (signés, Jean-Luc Mélenchon, Philippe Martinez, Jean-Christophe Mailly, Michel Baylet, Françoise Dumont, Daniel Keller …), on rappelle que si Maurice Thorez, au nom du PCF, estimait que « le Front Populaire, c’est le pain, la paix, la liberté », certains ajoutaient que c’est aussi la danse ! Car si les révolutionnaires de 1789 aimaient la carmagnole, ceux de 1936 avaient appris le tango qu’ils dansaient au son des accordéons, en pleine usine ! On retiendra ici les propos – discordants - de Nathalie Arthaud, évoquant la « duperie » d’un pouvoir apeuré par le risque de guerre civile, et ceux d’Olivier Besancenot insistant à la fois sur l’audace des ouvriers et sur la frilosité des partis et syndicats à la manœuvre.
Quand les communistes décident de soutenir Blum sans entrer dans son gouvernement
Les discours constitutifs du Front Populaire, les élections municipales puis législatives qui conduisent à l’avènement de la gauche unie, les symboles forts, les langages nouveaux qui émergent conduisent le visiteur à redécouvrir les grands leaders du mouvement. Aux côtés des partis, SFIO, PCF et Radicaux, et des confédérations syndicales, on voit ici toute l’importance prise par des organisations comme la Ligue des Droits de l’Homme. Certains découvriront que si les communistes ont été les grands vainqueurs des scrutins, ils décideront de ne pas entrer dans le gouvernement de Léon Blum, tout en lui apportant leur soutien.Vient ensuite le volet consacré à la semaine des 40 heures, aux contrats collectifs, aux congés payés, à la prolongation de l’âge de la scolarité, à la fixation du prix du blé ou encore à la réforme du régime des retraites, tous acquis du Front Populaire sur fonds de grèves dures partout en France, dirigées contre le patronat. C’est la première fois que l’Etat joue le rôle de régulateur et conduit à la signature des « Accords de Matignon ».
Le troisième et dernier volet de l’exposition est consacré à l’action de responsables bien connus comme Léo Lagrange, Pierre Jamet ou Jean Zay (rentré il y a peu au Panthéon). A l’ouverture de bibliothèques, de cantines dans les écoles, de théâtres, de salles de cinéma, d’universités populaires, de stades, de piscines, ainsi que de musées (dont le Musée de l’Homme à Paris). A l’avènement du sport de masse et à l’ouverture d’auberges de jeunesse.

Au lendemain d’un vote défavorable au Sénat quant au droit de vote féminin, alors que les députés y avaient souscrit à plusieurs reprises, Léon Blum décide de nommer dans son gouvernement trois sous Secrétaires d’Etat pour des portefeuilles comme l’Education Nationale ou la Recherche scientifique, à savoir Irène Joliot-Curie, Cécile Brunschvicg et Suzanne Lacore.
Pour l’anecdote, les suffragistes, emmenées par Louise Weiss, venaient d’offrir aux sénateurs qui n’en finissaient pas de leur casser les pieds, de menus cadeaux pour l’hiver, sur lesquels elles avaient inscrit : « même si vous nous donnez le droit de vote, vos chaussettes seront raccommodées » ! Ailleurs, la photo (signée Willy Ronis) de l’ « insoumise » Rose Zéhner, déléguée CGT, haranguant les ouvriers de chez Citroën. Ou celle de Dolores Ibarruri, la « Pasionaria » communiste espagnole en visite chez Léon Blum.
L’exposition fait la part belle à l’émergence de mouvements artistiques d’avant-garde comme le groupe d’agit-prop Mars, et à l’admiration vouée notamment au poète Jacques Prévert, aux cinéastes Jean Renoir et Julien Duvivier. Le Front Populaire veut en effet « rendre l’art au peuple ». On peut voir ici que l’Exposition universelle de Paris, en 1937, permit à 30 millions de visiteurs de se familiariser avec de grandes découvertes scientifiques, d’admirer les réalisations du Corbusier ou de Raoul Dufy, mais aussi de prendre la mesure des grands conflits de l’heure ou à venir : le Guernica de Picasso est accroché dans le pavillon de l’Espagne républicaine et les pavillons russe et allemand se font face…
1936, c’est aussi l’Espagne et les aspirations des colonies françaises
Les passionnés d’histoire et les enseignants (auxquels le Musée propose un dossier pédagogique) seront probablement particulièrement intéressés par les documents mis ici en perspective à propos de la guerre civile en Espagne, de l’attitude du Front Populaire dans les colonies françaises et enfin des commémorations de la Commune.

Sur l’Espagne, il est question de l’immense mouvement de solidarité populaire à l’égard des antifranquistes, de la constitution des Brigades rouges, mais aussi de la décision de neutralité et de non-intervention officielle du Front Populaire.
Une frilosité qu’on retrouvera à l’égard des aspirations nationalistes dans les colonies de la France, en Afrique du Nord, au Sénégal et en Asie. Le Front Populaire y avait éveillé de grands espoirs, y avait donné des signes d’amitié et d’ouverture. Les lobbies coloniaux y avaient rapidement « mis bon ordre » au nom des intérêts du pays, la saisie de journaux, l’emprisonnement de leaders comme Bourguiba assombrissant l’aura dont le Front Populaire bénéficiait alors.
Quant à la filiation de 1936 avec l’action des insurgés de 1871, elle connut des interprétations tout en nuances, que l’exposition de Montreuil révèle avec toute la rigueur scientifique requise.
« 1936. Nouvelles images, nouveaux regards sur le Front Populaire ».
Une exposition, des conférences et animations, des interventions théâtrales.
Jusqu’au 31 décembre 2016 au Musée d’Histoire vivante de Montreuil.
www.museehistoirevivante.fr
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